En Suisse, la lutte antidopage marque des points
Antidoping Suisse, l’agence nationale de lutte contre le dopage, a réalisé un nombre record de contrôles en 2010. Si la lutte contre les tricheurs reste un défi colossal, la Suisse se profile désormais comme un élève modèle. En matière de recherche et de prévention également.
Après une mise en route tardive et semée d’embûches, Antidoping Suisse, l’agence nationale de lutte contre le dopage, semble sur les bons rails. Lundi, elle a tenu à Berne la troisième conférence de presse de sa jeune histoire.
Dotée d’un budget d’un million de francs supplémentaires, finalement accordé par le Parlement après un premier refus en 2008, Antidoping Suisse a pu pour la première fois réaliser des tests sanguins en 2010.
«La mise en marche n’a pas été facile car il a fallu débaucher du personnel qualifié. Les contrôles de sang sont très coûteux et nécessitent une logistique totalement séparée des contrôles urinaires. Mais, au final, ce fut une réussite, puisque nous avons pu augmenter le nombre de contrôles de près de 50%», souligne Matthias Kamber, le directeur de l’agence.
Cet accroissement du nombre de contrôles coïncide paradoxalement avec une diminution de plus de moitié des cas positifs enregistrés. «Je n’ose pas pour autant affirmer que le sport suisse est devenu plus propre, mais je l’espère», nuance Matthias Kamber.
La nouvelle loi sur l’encouragement du sport, qui devrait entrer en vigueur en 2012, doit également participer au renforcement de la lutte antidopage. «Nous souhaitons ardemment que les deux Chambres arrivent à régler leurs divergences lors de la session d’été. Car cette loi nous permettra d’échanger nos informations avec les services de douane et de police et de mieux combattre le trafic», affirme Corinne Schmidhauser, présidente du conseil de fondation d’Antidoping Suisse.
La guerre à la nicotine
En matière de recherche, Antidoping Suisse peut s’appuyer sur un partenaire de choix: le laboratoire d’analyse du dopage de Lausanne (LAD). Parmi ses axes de recherche actuels, celui de l’utilisation de la nicotine dans le sport fait toujours figure de priorité. En cause, la consommation de snus, cette poudre à chiquer qui possède à la fois des propriétés stimulantes et relaxantes.
Le LAD a récemment analysé plus de 2000 échantillons provenant de 30 sports. Les résultats sont en cours de validation, mais les responsables du LAD font déjà part de leur inquiétude. «Nous avons constaté que la prise de nicotine parmi les sportifs était supérieure à la moyenne observée dans la population suisse (environ 25%). Le tabac fumé présentant des désagréments pour la pratique sportive, cela nous fait penser que la nicotine sous sa forme non fumée est largement utilisée, et pas seulement dans le hockey sur glace», affirme Norbert Baume, responsable opérationnel du laboratoire.
Hormis son effet stimulant proche de celui des amphétamines, le snus produit une addiction très rapide. Et ses effets sur la santé ne sont pas aussi inoffensifs que l’industrie du tabac le prétend, souligne Norbert Baume. «Nous souhaiterions inclure la nicotine sur la liste des substances interdites de l’AMA, du moins dans le cadre du ‘monitoring program’. Mais, tout comme pour le cannabis, il est très difficile de distinguer entre l’utilisation qui est faite à but récréatif ou au titre d’amélioration des performances», concède Norbert Baume.
La chasse aux plastifiants
Autre cheval de bataille du LAD, celui de la détection des plastifiants (phtalates) dans l’urine. Un sujet d’actualité brûlant, suite à la révélation de la présence de résidus tel qu’on les retrouve dans les poches en plastique pouvant servir aux transfusions sanguines dans les urines de l’Espagnol Alberto Contador lors du dernier Tour de France.
«Depuis environ un mois, nous sommes capables de détecter les phtalates dans l’urine. Ce n’est pas une preuve directe de dopage mais une information additionnelle en cas de suspicion. Ces plastifiants sont utilisés dans des seringues, des poches de transfusion mais aussi des emballages de nourriture et migrent facilement dans le sang. Nous avons besoin de procéder à des études plus approfondies pour affiner nos résultats», explique Norbert Baume.
L’amélioration du passeport biologique, «un produit maison», comme le rappelle Norbert Baume, ainsi que le développement d’un passeport stéroïdien et endocrinologique, qui doit permettre de mieux détecter la prise d’hormones de croissance, figurent parmi les autres priorités du LAD.
Un programme modèle
Si le resserrement des mailles du filet est nécessaire, le travail doit également se faire en amont. «Les contrôles constituent certes un pilier central de la lutte contre le dopage, mais il faut également mieux prévenir et éduquer», plaide Matthias Kamber. Parmi les actions entreprises, celle de Clean Water fait office de modèle. Mise en place conjointement avec la Fédération suisse de natation, le projet vise à accompagner un groupe de 7 à 8 nageurs jusqu’aux JO de Londres en 2012.
Des contrôles réguliers permettent d’établir des profils individuels (stéroïdiens et sanguins) qui attestent de la probité des athlètes. Un suivi serré qui aurait de multiples vertus, selon Martina Van Berkel, l’une des nageuses participant volontairement au programme: «Ces contrôles médicaux permettent de mieux connaître notre organisme et de détecter d’éventuelles irrégularités. De plus, ça permet de prouver à mes sponsors que je suis réellement propre».
En comparaison internationale, la Suisse fait figure de pionnière: «Le passeport biologique (sanguin) n’est pas encore utilisé dans la natation et nous le regrettons. Nous sommes en avance sur la Fédération internationale, soutient Steffen Liess, chef des performances de la Fédération suisse. A moyen terme, ce projet-pilote doit devenir une évidence pour tous les athlètes de haut niveau».
Création. L’agence suisse contre le dopage a été créée le 1er juillet 2008. Son siège est à Berne. Fin spécialiste de la lutte antidopage, Matthias Kamber en est le directeur. Le conseil de fondation, qui réunit des personnalités issues des milieux de l’économie, de la politique, de la médecine et du sport, est présidé par l’ancienne skieuse bernoise Corinne Schmidhauser.
Budget. Le budget 2010 de l’agence a atteint pour la première fois 5 millions de francs. Son financement est assuré par Swiss Olympic, l’organe faîtier des fédérations sportives suisses (1,9 million), par la Confédération (2,7 millions) et par des sponsors privés. Après un premier refus en 2008, le parlement a décidé d’octroyer fin 2009 un million de francs supplémentaires à l’agence, ce qui lui a permis de pratiquer pour la première fois des contrôles sanguins et d’ainsi répondre aux normes internationales.
LAD. Antidoping Suisse travaille étroitement avec le Laboratoire suisse d’analyse du dopage de Lausanne (LAD), qui est l’un des 35 laboratoires d’analyse de l’Agence mondiale antidopage (AMA). Il compte une vingtaine de collaborateurs. Le laboratoire est spécialisé dans l’EPO, les hormones de croissance, la testostérone et le dopage sanguin. Son directeur, Martial Saugy, est collaborateur scientifique des commissions antidopage de plusieurs associations sportives internationales.
Contrôles. En 2010, Antidoping Suisse a réalisé au total 2734 contrôles, dont 443 contrôles sanguins. Le nombre de cas de dopage a diminué de plus de moitié par rapport à l’année précédente, passant de 24 à 11. Cinq concernent la prise de cannabis, une substance utilisée avant tout de manière récréative et que la Suisse aimerait déjà depuis plusieurs années voir disparaître de la liste des produits interdits de l’Agence mondiale antidopage (AMA).
Enquête. L’agence a réalisé une enquête auprès de 1044 athlètes suisses de haut niveau afin d’évaluer la qualité des contrôles antidopage en Suisse. Les résultats sont globalement positifs (plus de 80%). La transmission d’informations aux sportifs et le déroulement des contrôles doivent toutefois encore être améliorées.
Projets. Pour 2011, Antidoping Suisse veut encore développer ses contrôles sanguins, perfectionner son système électronique de gestion des informations de localisation et accroître ses programmes de prévention, notamment auprès des sportifs amateurs. L’agence veut également exporter son savoir en formant des contrôleurs sur le continent africain.
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