Euthanasie, la Suisse plus tolérante que d’autres
Selon une étude de l'Université de Zurich, l'euthanasie passive et l'aide au suicide seraient appliquées à sept malades en fin de vie sur dix, en Suisse alémanique.
En comparaison européenne, ces pratiques sont fréquentes. Le parlement souhaite d’ailleurs les réglementer.
Présentée mercredi à la presse, l’étude zurichoise s’inscrit dans un projet de l’Union européenne (UE) incluant six pays: la Belgique, le Danemark, les Pays-Bas, l’Italie, la Suède et la Suisse.
Du côté helvétique, elle a été menée par des chercheurs des instituts zurichois de médecine préventive et sociale, et de médecine légale. Et elle a été soutenue par l’Office fédéral de la formation.
«Cette étude a pour but de ramener la discussion, en général très émotionnelle, sur un plan plus rationnel», explique Karin Faisst, l’un des auteurs du texte.
Au total, des questionnaires anonymes concernant plus de 30 000 cas de décès ont été envoyés aux médecins des six pays concernés.
En Suisse alémanique, l’échantillon portait sur 5000 cas. Quelque 3350 questionnaires retournés ont été analysés.
Ce qui permet, selon les chercheurs, de tirer des conclusions «représentatives».
La Suisse en tête
Dans un cas sur deux, un médecin a pris la décision d’avoir recours à une forme ou une autre d’euthanasie.
Et cette proportion passe à sept cas sur dix, lorsqu’il s’agit de décès attendus, soit pour les malades en fin de vie.
La Suisse (alémanique) vient ainsi en tête du classement, avant les Pays-Bas. Alors que l’Italie, avec 23%, a le taux d’euthanasie le plus bas.
L’étude a mis en lumière des pratiques différentes selon les pays. En Suisse, par exemple, l’euthanasie passive (interruption de thérapies prolongeant la vie) est de loin la forme la plus répandue (28%).
La Suisse se place dans la moyenne (22%) en matière d’euthanasie active indirecte (thérapies qui soulagent les souffrances, mais qui sont susceptibles de raccourcir la durée de vie).
Le «Sonderfall»
En ce qui concerne l’aide au suicide, remarque Karin Faisst, la Suisse constitue un «Sonderfall».
D’abord parce que, avec un taux de 4%, cette forme d’euthanasie est particulièrement développée en Suisse alémanique (quelque 200 cas par an).
Ensuite, parce que le rôle des organisations d’assistance au suicide telles Exit ou Dignitas y est «unique».
Aux Pays-Bas et en Belgique (les deux autres pays où cette forme d’euthanasie a également été légalisée), ce sont les médecins qui assument la fonction et la responsabilité d’accompagner le patient pendant son suicide.
Alors qu’en Suisse, ces derniers se contentent de lui prescrire le médicament qui l’emmènera dans l’au-delà.
Euthanasie active
Parmi les pays considérés, deux seulement ont une législation qui va plus loin que celle de la Suisse.
Les Pays-Bas et la Belgique autorisent en effet l’euthanasie active directe, soit l’administration d’un médicament provoquant la mort du patient.
Mais, révèle l’étude zurichoise, si elle est interdite sur territoire helvétique, elle n’en est pas moins pratiquée.
La proportion de cas d’euthanasie active est de 0,3% à la demande du patient en fin de vie. Et elle est de 0,4% sans demande exprès de sa part.
Ce qui représente un total d’environ 300 cas annuels pour la Suisse alémanique.
Toutefois, les pays qui connaissent la législation la plus libérale sont aussi ceux où les médecins en discutent le plus avec leurs patients.
En Suisse, les malades qui ont encore tout leur discernement sont consultés dans 80% des cas.
Pour les autres, 70% des décisions ont été discutées avec la personne elle-même à une date antérieure, ou alors avec des proches.
Une zone grise
A noter que , du point de vue du droit helvétique, l’euthanasie se situe dans une zone grise.
Selon l’étude zurichoise, 60 000 décès par année seraient liés à l’euthanasie en Suisse. Mais, parmi ceux-ci, 420 seulement seraient le fait de l’euthanasie active.
A la différence de l’assistance au suicide, l’euthanasie active est punissable. Même lorsqu’elle répond à une demande exprès.
Selon Walter Bär, professeur de médecine légale à Zurich et co-auteur de l’étude, les cas d’euthanasie active ne peuvent être jugés en général,. Les questions juridiques doivent être examinées individuellement en fonction de chaque cas.
Quoi qu’il en soit, le phénomène de l’euthanasie a pris une telle ampleur en Suisse que le parlement a décidé de s’en saisir.
Pour preuve, cette semaine, les sénateurs ont demandé au gouvernement de prendre des mesures afin de réglementer l’euthanasie et pour encourager les médecines palliatives.
swissinfo et les agences
Légale, pas légale:
– Euthanasie active directe: homicide intentionnel dans le but d’abréger les souffrances. Punissable, même si la victime en fait la demande (art. 114 du Code pénal).
– Euthanasie active indirecte: administrer, pour soulager les souffrances, des substances, dont les effets secondaires peuvent réduire la durée de vie. Pas réglée par le Code pénal et admise par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM).
– Euthanasie passive: renoncer à mettre en œuvre ou interrompre des mesures de maintien de la vie. Pas réglée par la loi et admise par l’ASSM.
– Assistance au suicide: seul est puni celui qui s’y prête pour des motifs égoïstes (art. 115 du Code pénal). Les associations Dignitas et Exit fournissent à leurs membres incurables du natrium pentobarbital, une substance mortelle. Pas admis par l’ASSM.
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