Fiscalité de l’épargne: l’Europe menace la Suisse
Les ministres européens des Finances demandent à la Commission européenne de préparer une liste de sanctions possibles à l'égard de la Suisse.
Kaspar Villiger refuse d’y croire. Entre «pays amis», estime le grand argentier suisse, cela ne se fait pas.
Réunis mardi à Luxembourg, les ministres européens des Finances ont constaté que les négociations avec la Suisse sur la fiscalité de l’épargne n’avaient guère progressé.
Devant le refus de Berne d’accepter le système d’échange automatique d’informations, les Quinze ont évoqué la possibilité d’appliquer des sanctions à l’égard de la Suisse.
Ils ont également demandé à la Commission européenne de préparer d’ici décembre une liste de sanctions possibles.
Pour atténuer leurs propos, les Quinze préfèrent parler de «mesures d’accompagnement» plutôt que de sanctions.
Trois types de sanctions
Néanmoins, trois types d’actions sont envisagés. D’abord, l’Union européenne (UE) pourrait suspendre les négociations bilatérales en cours avec la Suisse. Lundi déjà, la rencontre bilatérale sur les médias a été reportée. A la Commission, on parle de problème de calendrier. Une explication qui laisse perplexes certains observateurs.
Ensuite, l’UE pourrait rompre les accords bilatéraux qui sont entrés en vigueur en juin dernier.
Enfin, des mesures pourraient être prises pour limiter la libre circulation des capitaux. En effet, les articles 57 et 58 du Traité autorisent les Etats restreindre les mouvements de capitaux à destination ou en provenance de pays tiers dans certains circonstances.
Comme l’a souligné Frits Bolkestein, il faut encore vérifier si de telles mesures sont légales, notamment avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Par ailleurs, le commissaire responsable du Marché Intérieur a noté que ces mesures ne pourraient être appliquées qu’en 2010, après la période de transition.
«On ne va pas se montrer plus exigent à l’égard de la Suisse qu’envers les pays qui ont obtenu une période de transition», a expliqué le commissaire néerlandais.
Londres réclame des sanctions
En réalité, les Quinze sont divisés sur la manière de régler le dossier de la fiscalité de l’épargne. La Grande-Bretagne a plaidé avec virulence pour la prise de sanctions immédiates à l’égard de la Suisse. Cette position a notamment été défendue part la Finlande et la Suède.
Pour Londres, il n’est pas question de modifier le projet européen, adopté à Feira en juin 2000. Ce projet vise à instaurer un système d’échange automatique d’information: «nous avons choisi ce système, parce qu’il nous a semblé être le meilleur», explique Gordon Brown.
Et le ministre britannique de marteler: «notre projet concerne nos citoyens européens et les taxes que nos gouvernements sont en droit de percevoir; il n’est pas question de modifier le système suisse de taxation».
Gordon Brown ajoute encore que l’échange d’information est le modèle reconnu actuellement par la Communauté internationale.
Réticence du Luxembourg
Mais deux pays sont venus hier à la rescousse de la Suisse. Le Luxembourg et l’Autriche ont clairement exprimé leurs réticences quant au projet de sanctions à l’égard de la Suisse.
«Nous estimons que ces menaces sont contre-productives, déclare Luc Frieden, elles ne peuvent qu’inciter le gouvernement suisse à raidir sa position». Pour le ministre luxembourgeois du Trésor et du Budget, «quelles que soient les sanctions, la Suisse n’acceptera jamais l’échange automatique d’informations!»
Ainsi le ministre estime que «c’est à l’Union européenne de se montrer plus flexible» si elle veut parvenir à un accord avec la Suisse.
Finalement, le seul compromis qui apparaît aujourd’hui possible serait de revenir au projet initial de coexistence entre deux systèmes. Selon ce projet, les Etats pourraient choisir entre une retenue à la source ou un échange d’informations.
C’est aussi, semble-t-il, le sentiment de Frits Bolkestein. Le commissaire a rappelé que la Commission était chargée de négocier des mesures «équivalentes» avec les pays tiers. Et de souligner qu’équivalent ne signifie pas égal.
Le commissaire a également précisé que la position officielle des Etats-Unis n’était pas encore connue.
La Suisse a le temps
«Je ne comprends vraiment pas ces menaces de sanctions», commente Kaspar Villiger. Le chef du Département fédéral des finances a rencontré ses collègues européens au cours du déjeuner conjoint AELE/UE.
Kaspar Villiger leur a assuré que la Suisse voulait aider l’UE à lutter contre la fraude fiscale. Et il leur a expliqué, une fois de plus, l’offre suisse consistant en une retenue à la source. Une offre que le conseiller fédérale estime «équivalente, voire supérieure de notre point de vue, car ayant fait ses preuves».
«Nous sommes convaincus de présenter à l’UE une solution adéquate et généreuse», a répété Kaspar Villiger.
Chaque partie campe donc sur ses positions. L’UE menace la Suisse de sanctions. Mais celles-ci risquent de n’être appliquée qu’en 2010. Et, en plus, la décision doit être prise à l’unanimité.
«C’est le statu quo» résume le ministre luxembourgeois. Contrairement à l’UE, la Suisse n’est pas pressée: «nous pouvons encore discuter pendant vingt ans», répond calmement Kaspar Villiger.
swissinfo/Barbara Speziali à Luxembourg
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