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«Guerre» des manuscrits entre St-Gall et Zurich

Les livres de la discorde. Dominic Büttner

Depuis 1995, les St-Gallois tentent de récupérer leur bien dérobé par les Zurichois, en vain. La Confédération a été appelée à la rescousse. Une première séance a eu lieu mercredi.

Zurich abrite en effet depuis 1712 des manuscrits volés à St-Gall pendant une guerre de religion.

C’est une vieille, très vieille histoire, de celles que l’on croit enterrées et oubliées, malgré les problèmes irrésolus.

En 1712, les Zurichois et les Bernois, venant en aide au Toggenburg en guerre contre les catholiques de St-Gall, s’emparaient du fameux monastère carolingien et emportaient avec eux quelque 10’000 manuscrits.

La paix signée, en 1718, voyait la restitution du butin à la bibliothèque st-galloise, qui n’était pas encore la salle rococo connue aujourd’hui (et construite en 1758).

Tout le butin? Non, les Zurichois gardaient cependant environ 1200 livres, dont une centaine de manuscrits de valeur. Selon les St-Gallois, ce butin forme «entre 5 et 10% de la composition historique de la bibliothèque».

Il a fallu une lettre de lecteur dans la presse st-galloise, en 1995, pour lancer les tentatives de récupération, menées de concert entre le canton et les autorités catholiques locales.

Echecs des discussions bilatérales

Dans un communiqué de septembre 2002 où il annonçait sa décision de faire appel à la Confédération, le gouvernement st-gallois rappelait que les Zurichois avaient rejeté de nombreuses offres d’arrangement à l’amiable.

«Le canton de Zurich a rejeté la proposition d’expertise commune en arguant d’une situation juridique et factuelle claire», écrivait le Conseil d’Etat, un brin amer.

Zurich ne s’est pas non plus laissé démonter par l’expertise juridique commandée par les St-Gallois en 2002 et qui donnait raison à leurs revendications de restitution.

Projet de fondation commune

En 1996, Zurich faisait pourtant un geste et proposait la création d’une fondation commune, avant de faire machine arrière.

Pour les Zurichois, il n’y a pas lieu de revenir sur une «acquisition» entérinée depuis longtemps, sous peine de déclencher une cascade de revendications similaires entre de nombreux musées ou collections, en Suisse et à l’étranger.

Le canton le plus peuplé de Suisse n’en démord pas: son statut de propriétaire de la collection doit être reconnu, explique-t-on au Département cantonal de la justice et de l’intérieur.

Les St-Gallois envisageaient alors de recourir au Tribunal fédéral, avant de demander au Conseil fédéral d’intervenir.

Première médiation

La nouvelle Constitution fédérale prévoit en effet explicitement les bons services du gouvernement en cas de conflit entre deux cantons. C’est la première fois que cette possibilité est utilisée.

Une première séance de médiation a eu lieu ce mercredi en fin d’après-midi à Berne, comme l’annonçait la NZZ am Sonntag dans sa dernière édition.

La médiation sera menée sous l’égide du Département de l’Intérieur (DFI) de Pascal Couchepin et de son secrétaire général, en collaboration avec le chef de la section «droit et international» de l’Office fédéral de la culture et du vice-directeur de l’Office fédéral de la justice.

Côté cantons, les délégations comprenaient également les secrétaires généraux des Départements concernés (justice et intérieur), ainsi que des collaborateurs juridiques et des représentants des deux bibliothèques.

Une réunion constitutive

«Il ne s’agit pas encore de prendre position sur le fond, explique Jean-Marc Crevoisier, porte-parole du DFI. C’est une séance constitutive, signe que les partenaires sont d’accord de se parler à nouveau.»

Le seul résultat, à ce stade, est la détermination d’une ligne de conduite: qui participera aux réunions, y aura-t-il des comités, sous-comités, etc.

«La procédure devra encore être approuvée par les Départements cantonaux concernés», précise le porte-parole.

A St-Gall, la responsable de la communication du gouvernement Hildegard Jutz rappelle que les «innombrables rencontres passées entre les deux cantons n’ont pas permis de trouver une solution.»

En outre, déclare la porte-parole, rejetant un reproche souvent formulé à Zurich, «il n’est pas exact que St-Gall n’a rien dit pendant des siècles avant de tout à coup réclamer son dû. Il y a toujours eu des tentatives, mais pas aussi soutenues que depuis 1995.»

Identité et intégrité

Pour les St-Gallois, il en va de l’identité de la région et de l’«intégrité» d’une collection reconnue sur le plan mondial, et qui doit pouvoir être vue et étudiée comme un tout.

«Ces manuscrits ont vu le jour à St-Gall et forment ainsi un témoignage culturel de première importance», rappelait le Conseil d’Etat l’an dernier.

A Zurich, le sous-secrétaire général du Département de la justice et de l’intérieur rappelle que ce sont les St-Gallois qui avaient donné un tour juridique à la discussion, en lieu et place du niveau politique qu’elle requiert.

«Nous ne sommes jamais opposés à la médiation. Nous pourrons désormais jouer cartes sur table», affirme Ernst Weilenmann.

Deux élues socialistes

A Zurich, les élections d’avril dernier ont peut-être aussi changé la donne. Le responsable de l’Instruction publique est, de par sa fonction, automatiquement président du Conseil de fondation de la Bibliothèque centrale.

Depuis mai dernier, la socialiste Regine Aeppli a remplacé le démocrate-chrétien Ernst Buschor, dont l’opposition à la création d’une fondation commune aux deux cantons était connue.

Les St-Gallois ne cachent pas que ce changement de personne pourrait contribuer à faire revenir la paix confédérale tant recherchée… La ministre st-galloise concernée, Kathrin Hilber, est également socialiste.

swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich

– Les Zurichois et les Bernois ont pillé la bibliothèque du monastère de St-Gall en 1712, lors de la deuxième guerre de Villmerger.

– En 1718, le butin a été restitué lors de la signature de l’accord de paix.

– Les Zurichois gardaient cependant environ 1200 livres, dont une centaine de manuscrits de valeur abrités aujourd’hui par la Bibliothèque centrale de Zurich.

– Les St-Gallois essayent de récupérer leur bien depuis 1995. En vain.

– En 2002, ils ont fait appel à la Confédération pour servir de médiateur.

– Le couvent de St-Gall a été placé en 1983 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

– Il fut, depuis le VIIIe siècle jusqu’à sa sécularisation en 1805, l’un des plus importants d’Europe.

– Sa bibliothèque, l’une des plus riches et des plus anciennes du monde, contient plus de 140’000 pièces, dont de précieux manuscrits, comme le plus ancien dessin d’architecture sur parchemin connu.

– De 1755 à 1768, le domaine conventuel a été reconstruit en style baroque.

– L’abbaye accueille quelque 100’000 visiteurs par année.

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