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«Il faut réguler l’approvisionnement d’eau»

Dans la région de Roghun, au Tadjikistan, où la banque mondiale participe à un vaste projet de barrage. Keystone

Les changements climatiques et la pression démographique croissante font de la gestion de l’eau l’un des principaux défis pour la planète. Interview de Julia Bucknall, responsable du Département eau de la Banque mondiale.

En 2000, 407 millions de personnes dans le monde étaient touchées par la pénurie d’eau. Selon des prévisions de l’ONU, si rien n’est entrepris, d’ici 2025, leur nombre pourrait passer à 3 milliards.

La problématique de l’eau était au cœur d’une conférence organisée la semaine dernière à Berne par la Direction du développement et de la coopération (DDC). L’eau «joue un rôle crucial dans la lutte contre la pauvreté», a déclaré le directeur de la DDC, Martin Dahinden. C’est la raison pour laquelle il s’agit de l’un des domaines d’intervention prioritaire de la coopération suisse.

Entre 2003 et 2009, les efforts conjugués de la DDC et du Secrétariat d’Etat à l’Economie (SECO), ont permis à près de deux millions de personnes d’accéder à l’eau potable et de profiter d’infrastructures d’épuration des eaux usées. De plus, des systèmes d’irrigation efficaces ont été fournis à 150’000 petits agriculteurs.

La Suisse est également active sur le plan bilatéral. C’est le cas notamment, grâce à sa coopération avec la Banque mondiale, institution au conseil d’administration de laquelle, la Confédération occupe un siège permanent.

Selon Julia Bucknall, spécialiste en chef de la gestion des ressources, responsable du Département ‘Eau’ de la Banque mondiale, il est indispensable de se doter des moyens nécessaires afin d’emmagasiner l’eau et de parvenir à gérer au mieux l’impact des variations pluviométriques.

swissinfo.ch: Parmi les objectifs du Millénaire des Nations Unies, figure la diminution de moitié, à l’horizon de 2015, du nombre de personnes dans le monde qui n’ont pas accès à l’eau potable et à des structures hygiéniques. Où en sommes-nous?

Julia Bucknall: Concernant le premier point, nous sommes sur la bonne voie, et l’objectif devrait être atteint. Mais il reste néanmoins 800 millions de personnes qui n’ont pas accès à l’eau. Il faut également préciser que dans la définition de qui «a accès à l’eau», sont inclus ceux qui, par exemple, peuvent s’approvisionner à un puits. Dans de telles conditions, on ne peut certes pas parler d’un accès optimal à l’eau potable. De plus, la qualité des services d’approvisionnement hydriques n’est pas toujours satisfaisante. Parfois, l’accès à l’eau est limité à dix heures par jour seulement.

En ce qui concerne l’assainissement (ce terme englobe non seulement les structures sanitaires, mais aussi les infrastructures d’évacuation des eaux usées, ndlr), nous sommes loin d’avoir rejoint la moitié de l’objectif fixé, et nous ne pensons guère y parvenir. C’est aussi une question arithmétique, puisque actuellement, près de 2,5 milliards de personnes n’ont pas accès à de tels services. Ce but est très difficile à atteindre, puisque le problème touche un tiers de l’humanité. Néanmoins, les nouvelles approches, basées sur l’encouragement à l’action sociale, afin de stimuler la demande d’assainissement, ont un potentiel énorme. Et je pense que nous parviendrons à de bons résultats.

swissinfo.ch: Quels sont les domaines d’action prioritaires pour votre institution?

J.B.: Il y a en a principalement deux. Le premier concerne, comme nous l’avons déjà évoqué, l’assainissement. Le second vise l’adaptation aux changements climatiques, c’est-à-dire l’emmagasinement d’eau, l’intensification de l’utilisation de l’eau afin d’irriguer et de protéger les pôles urbains contre les inondations et la sécheresse.

swissinfo.ch: Durant la conférence, vous avez insisté à plusieurs reprises sur l’importance de l’emmagasinement de l’eau. Pour quelles raisons?

J.B.: Je crois – pour utiliser des termes religieux – que les pêchés d’omission sont tout aussi graves que ceux liés à la commission d’actes interdits. Il ne faut pas se voiler la face, plusieurs recherches ont démontré que la pauvreté est étroitement liée aux variations pluviométriques. Or, à l’avenir, celles-ci vont encore augmenter en raison des changements climatiques.

Pour cette raison, j’estime qu’il est important et inévitable de devoir faire tout ce qui est possible afin de réguler l’accès à l’eau. Bien sûr, il s’agit d’une problématique très délicate. Il faut prendre en considération les droits des personnes évacuées, de celles qui vivent dans une région qui sera inondée suite à la construction d’une digue. Mais nous ne pouvons pas ne pas intervenir. Il est nécessaire de trouver les bonnes méthodes d’accumulation d’eau et naturellement, de réussir à impliquer toutes les parties en cause.

swissinfo.ch: Ne risque-t-on pas de se concentrer exclusivement sur les grandes infrastructures, au détriment des projets plus modestes, mais qui fournissent de bons résultats?

J.B.: Les deux sont nécessaires. Ainsi, l’emmagasinement d’eau dans les nappes souterraines, qu’il faudrait parvenir à remplir rapidement par des moyens artificiels, est essentiel. L’agriculture qui profite de ces ressources a un potentiel supérieur à celle qui s’appuie sur une irrigation de surface. La construction de petites digues aussi joue un rôle décisif.

Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les glaciers de l’Himalaya servent à approvisionner la moitié de l’humanité. On ne peut donc pas faire l’impasse sur la question de l’aménagement de réserves d’eau à grande échelle. De plus, il faut également prendre en considération le potentiel énergétique – et pas de n’importe quelle énergie, mais d’énergie renouvelable – que permettent les barrages.

swissinfo.ch: Pour l’opinion publique, la Banque mondiale est souvent synonyme de grands projets, qui suscitent davantage de problèmes qu’ils n’en résolvent. Que répondez-vous à ces critiques?

J.B. : Le 87% de nos projets dans le domaine de l’eau s’est révélé être un succès. En Tunisie, où j’ai été responsable d’un projet, celui-ci a permis d’introduire un système d’irrigation au compte-goutte dans une grande région du pays, grâce au soutien de la Banque mondiale, et permet aujourd’hui au 90-95% environ de la population de cette région isolée d’avoir accès à l’eau. Mais ce qui est importe encore plus, c’est que grâce à cette intervention, les communautés parviennent aujourd’hui à gérer elles-mêmes leurs eaux souterraines.

En Egypte, pays très centralisé, des groupes de gestion de l’irrigation ont été formés, aussi grâce au soutien de la Suisse. Les agriculteurs n’ont pas seulement augmenté les rendements de leurs récoltes, mais ont aussi pris en main d’autres secteurs. Ainsi, ils savent désormais mieux gérer leurs déchets solides, leurs routes….construire un grand barrage est certainement important. Réussir à faire en sorte que les gens prennent en main leur avenir l’est encore d’avantage. Et c’est ce que nous voulons.

L’eau douce constitue 2,5% des ressources hydriques de la planète.

Le 70% de ce volume est absorbé par l’agriculture, 22% par l’industrie et 8% par les besoins domestiques.

Chaque être humain a besoin de 20 à 50 litres d’eau propre par jour pour satisfaire ses besoins de base (boisson, cuisine, hygiène corporelle et nettoyage).

Plus d’une personne sur six au monde, soit 894 millions de personnes, n’ont pas accès à cette quantité minimale d’eau salubre.

La pénurie d’eau potable et le manque d’hygiène sont à l’origine de 80% des maladies qui frappent les pays en voie de développement.

Près de 1,8 million d’enfants meurent chaque année des suites de la dysenterie, due à la qualité de l’eau et de l’hygiène.

Selon une étude de la Direction du développement et de la coopération, chaque franc investi dans un projet de dérivation de l’eau ou dans l’aménagement de structures sanitaires, génère un bénéfice de trois à cinq francs.

Lorsque l’eau potable alimente un village, les femmes ne sont plus obligées de parcourir de longs trajets pour se fournir et l’économie de temps ainsi réalisée peut être investie dans une autre activité.

De plus, la consommation d’eau propre réduit de manière notable l’apparition de pathologies liées à la diarrhée, et partant, permet de réaliser des économies sur les frais médicaux.

Traduction de l’italien: Nicole della Pietra

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