L’œil critique d’Amnesty sur la Suisse
Cette année encore, le rapport de l'organisation internationale n'épargne pas la Suisse, montrée du doigt notamment pour son nouveau droit d'asile.
Amnesty International critique également le nouveau droit censé protéger les victimes de violence conjugales, mais qui pourrait signifier l’expulsion pour certaines femmes migrantes.
Rendu public mercredi, simultanément à Londres et à Moscou, le rapport 2007 d’Amnesty International fournit une vue d’ensemble sur la situation des droits de l’homme dans plus de 150 pays. Et comme chaque année, il consacre quelques paragraphes à la Suisse.
Après l’adoption par le peuple des révisions des lois sur l’asile et sur les étrangers en septembre 2006, Amnesty constate de nouvelles restrictions des droits des requérants et des migrants. Ainsi, selon l’organisation, les dispositions prévues en matière de détention «ne sont pas conformes aux engagements internationaux souscrits par la Suisse».
Danger pour les femmes
La critique porte notamment sur le fait que les étrangers ne disposant pas de papiers d’identité valables peuvent se voir refuser l’accès à la procédure d’asile.
Les étrangers ayant pénétré illégalement sur le territoire peuvent désormais être détenus durant deux ans lorsqu’une procédure de renvoi est déclenchée, jusqu’à ce que leur identité soit établie.
Et la durée de détention pour les mineurs peut être d’une année entière, ce qui selon Amnesty est contraire aux normes internationales.
Autre reproche adressé à la Suisse: les violences contre les femmes. Le parlement a récemment approuvé une disposition modifiant le Code civil qui permettra d’expulser du logement l’auteur des violences.
Or, cette disposition qui doit protéger les victimes peut aussi avoir un effet pervers. Les femmes immigrées résidant en Suisse depuis moins de cinq ans risquent ainsi de perdre leur droit de séjour si elles cessent de cohabiter avec la personne dont le nom est inscrit sur le titre de séjour.
Nuances de l’Office des migrations
Du côté de l’Office fédéral des migrations (ODM), on rejette «en bonne partie» ces critiques. «Elles ne nous semblent pas tout à fait correctes», a indiqué à swissinfo Dominique Boillat, porte-parole de l’ODM.
«On dit par exemple que les femmes migrantes battues qui ne peuvent pas faire valoir cinq ans de vie en commun avec leur mari risquent d’être expulsées. Or, c’est exactement le contraire qui est prévu dans la nouvelle loi sur les étrangers qui entrera en vigueur en 2008», relève-t-il.
Selon lui, ce texte prévoit d’une part qu’au bout de trois ans déjà, la femme peut bénéficier d’un permis de séjour. Et d’autre part qu’elle peut également bénéficier d’un permis si elle fait valoir une raison personnelle grave – et c’est notamment le cas lorsqu’elle est battue.
Quant à la non entrée en matière pour les requérants d’asile qui ne présentent pas de documents, Dominique Boillat tient par ailleurs à rappeler à Amnesty que la loi prévoit des exceptions qui permettent «d’éviter les décisions hâtives».
C’est le cas notamment si la personne a de motifs excusables – c’est à dire si elle peut expliquer pourquoi elle n’a pas de documents -, si elle fait valoir des indices de persécution ou enfin si son cas nécessite des clarifications supplémentaires.
Comportements racistes
Reste que lors de sa visite en Suisse l’an dernier, Doudou Diène, rapporteur spécial des Nations Unies, a constaté que «le racisme, la xénophobie et la discrimination s’étaient banalisés dans le débat politique suisse».
Il avait en outre relevé des preuves de comportements racistes au sein de structures institutionnelles, y compris dans la police, souligne Amnesty.
A l’époque, le gouvernement avait rejeté ces conclusions, parlant d’extrapolations à partir d’incidents isolés. Mais il avait tout de même annoncé son intention d’examiner sérieusement le rapport et d’intensifier les efforts pour combattre le racisme et les discriminations.
Plus généralement, Amnesty International demande aux gouvernements de ne pas céder à la tentation d’utiliser la politique de la peur et d’investir dans des institutions de défense des droits de l’homme et dans l’état de droit.
swissinfo et les agences
Dans son rapport de 300 pages, Amnesty International montre du doigt la guerre contre le terrorisme lancée par les Etats-Unis, qui amène Washington à considérer le monde «comme un gigantesque champ de bataille».
«Comme au temps de la Guerre froide, écrit Irène Khan, secrétaire générale de l’organisation, les décisions prise s’inscrivent dans un climat de peur, suscité et alimenté par des dirigeants sans scrupules».
L’impératif de la sécurité nationale devient ainsi un prétexte pour réprimer les oppositions, que ce soit en Afrique du Nord, au Proche-Orient ou en Russie, note Amnesty, qui insiste sur la situation au Darfour «une plaie ouverte qui ensanglante la conscience du monde».
Le rapport dénonce également le fossé qui se creuse entre musulmans et non musulmans et la condition des femmes, trop souvent victimes de «terrorisme sexuel».
L’organisation a été fondée en 1961 par l’avocat britannique Peter Benenson.
Sa campagne contre la torture lui a valu en 1977 le Prix Nobel de la Paix.
Selon son rapport 2007, Amnesty International peut compter sur 2,2 millions de membres et de sympathisants dans plus de 150 pays.
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