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L’arrestation de Karadzic n’est pas une simple revanche

Radovan Karadzic était en fuite depuis 13 ans. Keystone

L'arrestation du l'ancien leader des Serbes de Bosnie Rodovan Karadzic a soulevé une série de questions en rapport avec le pire massacre commis en Europe depuis la 2e Guerre mondiale. swissinfo s'est entretenu avec le politologue Thomas Fleiner pour comprendre ce que cette arrestation signifiait en pratique.

Thomas Fleiner n’est pas seulement connu pour être politologue. Il est également responsable de l’Institut du fédéralisme de l’université de Fribourg et a servi de conseiller au gouvernement serbe.

swissinfo: Le nouveau gouvernement de Belgrade n’est pas en place depuis très longtemps que déjà Radovan Karadzic a été arrêté. Est-ce à dire que le précédent gouvernement ne voulait pas de cette arrestation?

Thomas Fleiner: Je n’en sais rien. Je n’ai jamais abordé ce thème avec l’ancien président Kostunica.

Ce qui me surprend, c’est cette coalition formée entre les démocrates de Boris Tadic et les socialistes, c’est-à-dire l’ancien parti de Slobodan Milosevic. Or ce parti a été associé de près aux crimes de guerre – ou tout du moins à Slobodan Milosevic.

swissinfo: Que signifie cette arrestation pour cette coalition?

T. F. : Je ne sais pas jusqu’où les accords conclus avec les Américains et les Européens vont maintenant aller. Mais soudainement, les Etats-Unis ont accordé des visas d’entrée sur leur territoire à certaines personnalités serbes, ce qui n’était pas possible auparavant.

Certaines de ces personnalités, qui se sont enrichies sous le régime de Slobodan Milosevic, peuvent maintenant voyager aux Etats-Unis car l’interdiction de voyager a été levée après la formation de la coalition.

swissinfo: Et que signifie cette arrestation pour les victimes de la guerre?

T. F. : Pour elles, c’est très important. Ce n’est pas une question de revanche, mais la conviction qu’il existe malgré tout une justice et que les coupables devront répondre de leurs crimes.

swissinfo: Quelle est la probabilité d’assister maintenant à l’arrestation de Ratko Mladic, l’ancien chef militaire des Serbes de Bosnie?

T. F. : C’est très possible. Je suppose que celui-ci devra désormais être beaucoup plus prudent.

swissinfo: Carla del Ponte, l’ancien procureur du TPIY, avait accusé les Etats-Unis et l’Europe d’empêcher l’arrestation de Karadzic. Est-ce vraiment aussi de leur faute s’il a fallu autant de temps pour cette arrestation?

T. F. : C’est possible, car ils auront estimé que Karadzic aurait pu dire des choses qu’ils ne voulaient pas entendre en cas de procès.

swissinfo: Quelles sont les conséquences de cette arrestation pour la stabilité politique dans les Balkans?

T. F. : Je crois que cette arrestation est extrêmement importante à long terme. Mais il faut garder à l’esprit que d’autres criminels de guerre, comme l’ancien Premier ministre du Kosovo et leader de l’Armée de libération du Kosovo Haradinaj – que beaucoup de Serbes accusent d’avoir commis les mêmes crimes que Karadzic – ont été acquittés par manque de preuves.

Si un tribunal n’arrive pas à démontrer sa capacité à traiter tout les criminels de guerre de la même manière, l’arrestation de Karadzic n’apportera rien à la stabilité de la région et en particulier à la crédibilité de l’Etat de droit.

swissinfo: Pourquoi Karadzic bénéficie-t-il encore d’un soutien auprès d’une large frange de la population serbe?

T. F. : Pour les uns c’est un criminel de guerre, pour les autres un héros de guerre. C’est d’ailleurs toujours le cas avec les criminels de guerre dans les Balkans.

Pourquoi, par exemple, beaucoup d’Américains restent d’accord avec les bombardements atomiques sur Hiroshima et Nagasaki? C’est à cause de la fausse notion de «guerre juste».

Ce n’est que lorsque qu’on reconnaîtra qu’il n’y a pas de guerre justifiable et que les soit-disant dommages collatéraux sont tout simplement criminels que l’on commencera à comprendre que les chefs de guerre nationaux peuvent aussi être des criminels de guerre.

Des tensions peuvent survenir lorsqu’un camp se sent traité d’une manière totalement injuste.

swissinfo: Peut-on vraiment comparer Hiroshima avec la Serbie?

T. F. : Cette comparaison montre comment une situation peut être jugée de manière unilatérale. Je suis contre le fait que l’on rejette une faute sur tout un peuple. Il ne faut pas oublier que tous les peuples ont eu leurs problèmes au cours de l’Histoire.

swissinfo: L’arrestation de Karadzic est-elle le signe que la Serbie a pris de la distance par rapport à l’époque de la guerre?

T. F. : Prendre de la distance par rapport au passé n’est pas simplement une question de deux ou trois mois. Cela prendra beaucoup plus longtemps en Serbie.

Cela dépend aussi d’avec quelle honnêteté et quelle transparence les autres participants à la guerre – Américains et Européens compris – feront un retour sur leur action dans le cadre de la guerre dans l’ex-Yougoslavie.

swissinfo: Dans quelle mesure la Serbie admet-elle désormais sa culpabilité?

T. F. : Les médias devraient enfin comprendre qu’on ne peut pas mettre la faute sur un camp et par sur l’autre. Vous ne pouvez pas blâmer une nation entière. Beaucoup de Serbes ont risqué leur vie pour combattre Milosevic. C’est aussi une partie de la vérité qu’il faut reconnaître.

Interview swissinfo, Corinne Buchser
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

Né le 19 juin 1945 dans un hameau de montagne du Monténégro, Radovan Karadzic a grandi dans une famille pauvre et nationaliste hostile au régime communiste.

Son père, résistant nationaliste, a été blessé par les partisans de Tito pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Psychiatre de formation, amateur de poésie, nationaliste convaincu, il entre en politique et accède à la tête du Parti démocratique serbe de la République de Bosnie.

L’indépendance acquise, il est élu président des Serbes de Bosnie en 1992.

Entre 1991 et 1995, il est l’un des artisans du nettoyage ethnique qui a fait quelque 260’000 morts et 1,8 million de déplacés durant la guerre de Bosnie (1992-1995).

Inculpé en 1995 de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, il est notamment tenu pour responsable du siège de Sarajevo, où plus de 10’000 personnes ont perdu la vie.

Radovan Karadzic est aussi accusé du massacre de Srebrenica – enclave musulmane théoriquement sous la protection de l’ONU – dont la chute, en juillet 1995, a été suivie de l’exécution de quelque 8000 musulmans.

Thomas Fleiner est professeur de droit constitutionnel et administratif à l’université de Fribourg depuis 1971.

En 1984, il a participé à la création de l’Institut du fédéralisme dont il est aujourd’hui encore le directeur.

Ses cours comportent des aspects du droit humanitaire, la théorie du fédéralisme et les aspects légaux des conflits ethniques.

Thomas Fleiner a été professeur invité dans diverses universités, notamment à Jérusalem, Belgrade, Louvain, New York et Istanbul.

Il a également servi d’expert auprès du gouvernement suisse et du Conseil de l’Europe.

Plus récemment, il a conseillé le gouvernement serbe dans le cadre des négociations sur le statut du Kosovo.

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