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L’asile au coeur d’un bras de fer

Enormément de réfugiés arrivent en Suisse par le poste-frontière de Chiasso. Keystone Archive

Lors de sa session extraordinaire qui a débuté lundi, la Chambre basse du Parlement se penche sur la nouvelle loi sur les étrangers et la révision de la loi sur l'asile.

La question de l’asile divise l’opinion publique depuis plusieurs années. Et les récentes déclarations du conseiller fédéral Christophe Blocher n’arrrangent rien.

Le droit d’asile a été l’un des arguments les plus débattus de cette dernière décennie. Il est même devenu le cheval de bataille de la droite et, en particulier, de l’Union démocratique du centre (UDC / droite dure).

Pendant des années, l’UDC a pointé un doigt accusateur contre la politique d’asile qu’elle juge trop permissive et coûteuse. Et ce parti n’a jamais manqué de dénoncer les abus commis par certains requérants d’asile.

La gauche, qui n’a jamais épargné ses critiques, estime pour sa part que le droit d’asile actuellement en vigueur est par trop restrictif.

Plusieurs refus

Les arguments de la droite ont exacerbé les craintes d’une grande partie de la population. En novembre 2002, les électeurs avaient rejeté de justesse une initiative de l’UDC qui demandait l’introduction de la «règle de l’Etat tiers».

Sur la base d’une telle règle, à leur arrivée en Suisse, les réfugiés ayant transité par un pays considéré comme sûr ne pourraient pas déposer de demande d’asile. Et devraient être refoulés vers le pays de transit.

En 1996, une autre initiative de l’UDC visant à refuser le droit d’asile aux demandeurs entrés clandestinement en Suisse a été repoussée par 53,6% des électeurs. En 1999, un référendum de la gauche contre l’actuelle loi a essuyé le refus de plus du 70% des votants.

Tour de vis

Mais les résultats de ces consultations populaires n’ont pas été sans influence sur l’évolution du droit d’asile en Suisse.

Dès le 1er avril 2004, à cause du tour de vis le plus récent donné dans le cadre du programme d’épargne 2003 de la Confédération, les requérants d’asile frappés par une décision de non-entrée en matière n’ont plus droit à l’assistance sociale.

Par ailleurs, la révision de la loi sur l’asile, actuellement en discussion, contient beaucoup de propositions avancées par la droite.

Le projet du gouvernement

Le projet de révision présenté par le Conseil fédéral en 2002 propose une nouvelle fois la règle de l’Etat tiers. Mais cette variante prévoit quelques exceptions, par exemple pour les demandeurs d’asile qui ont des parents proches en Suisse.

La proposition du gouvernement a, en outre, pour but d’accélérer les procédures des demandes d’asile et des recours.

Financièrement parlant, la révision comprend un système de soutien pour inciter les cantons à appliquer rapidement les décisions prises par l’administration fédérale. Elle prévoit aussi une taxe spéciale pour les requérants d’asile qui exercent une activité lucrative.

Motifs humanitaires

Pour suivre l’évolution en cours au sein de l’Union européenne (UE), le gouvernement offre d’améliorer le statut des personnes fuyant une guerre civile ou une grave situation de menace.

Même si elles ne remplissent pas les conditions pour obtenir l’asile politique pour des motifs humanitaires, ces personnes ne pourront être refoulées vers le pays d’où elles proviennent.

Cette catégorie de requérants devrait aussi pouvoir, à l’avenir, accéder plus facilement au marché du travail et obtenir le regroupement familial. Cette proposition risque toutefois de provoquer d’âpres débats au Parlement.

«Il s’agit pour nous d’un article inacceptable qui donne un signal totalement erroné», s’indigne Hans Fehr, conseiller national UDC et directeur de l’Action pour une Suisse neutre et indépendante (ASIN).

«L’admission pour raisons humanitaires est l’un des rares points positifs de cette révision», rétorque pour sa part Jürg Schertenleib.

Le porte-parole de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) va plus loin: «si l’admission humanitaire ne passe pas la rampe, la révision doit être rejetée».

Les restrictions de la CIP

Car d’autres restrictions de la loi, demandées par la majorité de la Commission des institutions politiques (CIP) du Conseil national, renforcent l’opposition de Jürg Schertenleib à une bonne partie du paquet proposé par le gouvernement.

Dans les faits, la CIP demande notamment que la Confédération bloque l’aide au développement en faveur des Etats qui entravent le retour de leurs citoyens dont la demande d’asile a été repoussée par la Suisse.

Elle souhaite aussi que les autorités helvétiques prennent contact avec les pays d’origine des requérants dès que tombe la décision négative de première instance. Ceci afin d’obtenir les documents nécessaires au rapatriement.

Enfin, les procédures de première et de seconde instance devraient également être accélérées et les décisions de la Commission de recours en matière d’asile devraient être prises par un seul juge, au lieu des trois actuels.

Combattre les abus, secourir les personnes persécutées

Durant le plénum, la version votée par la CIP va se heurter aux multiples amendements présentés aussi bien par la droite que par la gauche.

«Dans son ensemble, le projet nous semble insuffisant», explique Hans Fehr. Nous pourrions accepter la révision uniquement si nos principales propositions passent la rampe.»

L’UDC ne se contente pas seulement de repousser l’admission pour motifs humanitaires. Elle veut que les coupes dans le domaine de l’assistance sociale touchent aussi les requérants dont la demande a été rejetée et elle souhaite que la règle de l’Etat tiers soit appliquée sans exceptions.

Mais Hans Fehr ne croit pas que son parti puisse l’emporter sur toute la ligne. «Il ne nous restera dès lors qu’à lancer, cet été, notre troisième initiative sur l’asile.»

Pour sa part, le porte-parole de l’OSAR espère que quelques articles pourront être améliorés. Comme par exemple celui concernant l’application du droit d’asile aux personnes qui ne sont pas persécutées par un Etat mais par des milices illégales ou par des membres de leur famille.

«Désormais, explique Jürg Schertenleib, presque tous les pays européens acceptent ce principe. Ce serait embarrassant que la Suisse fasse exception.»

Blocher en veut plus

Seule certitude, le débat sur l’asile n’a pas fini de déchaîner les passions. Pour preuve, Christophe Blocher a fait savoir vendredi dernier qu’il songeait déjà à de nouvelles mesures.

Le nouveau chef de Département de Justice et Police – figure emblématique de la ligne dure de UDC en matière d’asile – juge le système actuel et les réformes engagées par son prédécesseur (Ruth Metzler) dépassé.

Selon lui, de «nouveaux instruments» sont notamment nécessaires afin de lutter contre les requérants d’asile qui dissimulent leur identité et pour justifier plus facilement des détentions en vue de l’exécution d’un renvoi.

swissinfo, Andrea Tognina
(traduction et adaptation: Gemma d’Urso)

Requérants d’asile reconnus à fin 2003 en Suisse : 24’729
Personnes accueillies provisoirement en Suisse : 24’467
Personnes en attente d’une décision définitive en Suisse : 41’272

– L’issue finale de cette révision de la loi sur l’asile dépendra
des positions du centre-droite, en particulier pour ce qui est de
l’article sur l’admission pour motifs humanitaires.

– Le vote des députés du Parti radical (PRD), autre formation de l’aile bourgeoise, sera déterminant. Celui des membres du Parti démocrate-chrétien (PDC) devrait être un vote de soutien à un projet voulu par Ruth Metzler (ex-conseillère fédérale PDC).

– Après le Conseil national (la Chambre basse du Parlement), le Conseil des Etats (la Chambre haute) se penchera sur la question.

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