L’insécurité menace la multiculturalité à Genève
Des centaines de petits délinquants violents et de trafiquants de drogue risquent d'endommager le tissu multiculturel du quartier des Pâquis et ternissent l'image de Genève.
Politiciens, policiers et habitants du quartier se cassent la tête pour trouver une solution à l’insécurité qui persiste dans ce quartier populaire et, surtout pour trouver une solution au problème des récidivistes.
Entre le lac Léman et la gare, les Pâquis sont connus pour offrir une mosaïque culturelle avec ses restaurants et boutiques branchés, ses cinq étoiles, ses prix abordables et aussi pour être le quartier chaud de Genève la calviniste.
Mais depuis deux ans, le secteur est devenu de plus en plus miteux et dangereux, après l’arrivée de quelque 200 petits délinquants nord-africains qui s’en prennent aux touristes et aux passants du quartier, et à peu près autant de trafiquants de drogue, pour la plupart des Africains de l’Ouest venus d’autres cantons suisses.
Opérations coup de poing
Après des mois de lamentations des habitants du quartier, la police a exécuté trois opérations coup de poing la semaine dernière. Bilan: 186 personnes interpellées et interrogées et 12 incarcérées pour trafic de drogue ou atteinte à la loi sur le séjour des étrangers.
Les Pâquis semblent avoir temporairement retrouvé le calme, mais pour combien de temps, se demande Alain Bittar, propriétaire de la librairie arabe L’Olivier, à la rue de Fribourg.
«Ces rafles étaient un signal adressé aux habitants, déclare-t-il. Si le canton, la ville et les autorités judiciaires s’y mettent tous rapidement pour trouver des réponses adéquates à la situation, je pense qu’on peut régler le problème.»
Jalel Matri, patron de bistrot, constate ce renforcement de la présence policière mais il a l’impression que le pouvoir politique est «impuissant» et «incapable de trouver une solution à long terme».
Alain Bittar ajoute qu’il a commencé à alerter les autorités pour une raison bien précise. «Ma librairie existe depuis 30 ans et, pendant 29 ans, je n’ai jamais entendu une seule insulte raciste. Et voilà que, tout à coup, un petit groupe provoque des tensions communautaires.»
Trafiquants contre délinquants
Selon la police, les trafiquants sont plutôt des requérants d’asile qui viennent d’autres cantons aux réglementations plus sévères. «Ils connaissent parfaitement le système et ce n’est pas un hasard s’ils viennent vendre de la drogue aux Pâquis», affirme Eric Grandjean, porte-parole.
Alain Bittar fait une distinction entre trafiquants et petits délinquants, les plus dangereux à son avis. «Certains dealers seraient bien contents de trouver du travail. Si vous les saluez, ils vous répondent, et si vous ne le faites pas, ils vous ignorent, ils sont transparents, relève-t-il. Mais il n’y aurait pas de dealers s’ils n’avaient pas de clients, ça, c’est un autre problème.»
Cet autre commerçant renchérit. «Les trafiquants ne posent pas de problèmes particuliers. Si je leur demande de ne pas rester devant mon magasin, ils s’en vont sans agressivité, explique-t-il. Mais avec les Algériens, c’est différent: ils sont arrogants, agressifs, bagarreurs et souvent armés de couteaux.»
Ils vivent de vol à la tire, de vol de voitures et donnent de fausses identités, se disant Palestiniens ou Irakiens, par exemple, indique encore Alain Bittar.
Pour la police, ces délinquants ont cherché refuge en Suisse après avoir été expulsés d’Italie et de France, où la sécurité est plus sévère. «Ici, ils profitent tous du système, qui leur permet d’être appréhendés, arrêtés puis libérés, car il est impossible de renvoyer chez eux la plupart d’entre eux», explique Eric Grandjean.
Situation sous-estimée
Les habitants accusent les autorités d’avoir sous-estimé la situation et de se rejeter la pierre.
Ce que conteste Monica Bonfanti, cheffe de la police cantonale. «Je suis simplement un élément dans une chaîne, a-t-elle déclaré mardi dans Le Matin. Si je n’ai pas de moyens légaux pour renvoyer des délinquants sans papiers… il y a d’autres personnes qui y travaillent.»
Selon l’Office fédéral de la migration (OFM), la Confédération a signé quelque 46 accords de réadmissions de requérants d’asile et 20 autres sont en préparation.
Ces accords devraient théoriquement faciliter l’expulsion des fauteurs de troubles. Le problème, c’est que, dans le cas de l’Algérie, l’accord est entré en vigueur en 2007 mais ne sera applicable qu’après la signature d’un protocole additionnel, probablement en juin prochain. D’autres pays africains sont accusés de traîner les pieds quand il s’agit de négocier ce genre d’accord.
Détention administrative
Mais, en l’absence d’un accord de réadmission, il y a une autre solution, estime Edouard Gnesa, directeur de l’OFM. «Avec la nouvelle loi sur les étrangers, il est possible de combattre ce genre d’abus au moyen de la détention administrative», a-t-il expliqué à RSR La Première.
C’est l’option légale qui permet d’emprisonner les récidivistes jusqu’à 24 mois, le temps de préparer leur renvoi. En 2008, 2500 personnes ont été détenues ainsi dans le pays, mais Genève ne recourt pas souvent à cette possibilité.
René Longet, président du Parti socialiste genevois, estime que l’internement administratif n’a aucun sens. «Vous enfermez des gens pendant 24 mois et ensuite? Vous les renvoyez. C’est un traitement indigne et cela équivaut à créer une sorte de Guantanamo à Genève», a-t-il déclaré au Temps.
Le Code pénal
Le Parti radical genevois ainsi que Daniel Zappelli, procureur général du canton, soutiennent l’option de la détention administrative. Ce dernier souhaite même que le code pénal suisse soit modifié.
«La loi actuelle est beaucoup trop douce pour ces cas-là. Le système des jours-amende calculé en rapport avec les revenus du délinquant ne sert à rien», a-t-il indiqué à la RSR.
Pendant que les uns et les autres se rejettent la pierre, les habitants des Pâquis croisent les doigts pour qu’une solution à long terme soit trouvée.
«Mais je ne me fais pas d’illusions, dit encore Alain Bittar à swissinfo, nous sommes un élément de la campagne électorale pour les élections de novembre prochain. Tout ce que nous demandons, c’est de nous sentir des citoyens à part entière, comme ceux des quartiers des banques ou des zones résidentielles.»
Simon Bradley à Genève, swissinfo.ch
(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)
Selon la police genevoise, la criminalité locale a augmenté de 2,5% de 2007 à 2008.
Le nombre de cambriolages ou de tentatives a augmenté de 21,6% à 6000.
Le nombre de crimes violents (meurtres, hold-up) est resté stable, comme les coups et blessures, alors que les agressions sexuelles ont légèrement diminué.
Les vols de voiture ont baissé en 2008 et les arrachages de sacs ou autres vols à la tire ont légèrement augmenté.
Les délits liés à la drogue sont restés stables, mais la police va poursuivre ses opérations antidrogues en 2009 au Pâquis et aux Eaux-Vives, de l’autre coté du lac.
En 2008, 81 policiers des deux sexes ont été blessé au cours de leur travail, alors que le nombre de plaintes contre la police a diminué.
Genève est une ville-canton enclavée sur territoire français avec une frontière commune de 103 km , contre 4,5 km seulement de lien avec la Suisse.
La ville compte 185’000 habitants et le canton 445’000.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.