L’ombre du 11 septembre plane aussi sur la Suisse
Cinq ans après les attentats de 2001, la guerre déclarée par les Etats-Unis au terrorisme a eu des conséquences sur les droits fondamentaux des citoyens, en Suisse aussi.
En durcissant la législation sur la sûreté intérieure, l’Etat empiète sur la sphère privée, y compris celle d’hommes et de femmes au-dessus de tout soupçon.
Six semaines après les attentats contre le World Trade Center à New York et le Pentagone à Washington, le président George Bush signait le «Patriot Act». Une loi qui mettait en œuvre des moyens accrus pour lutter contre le terrorisme à l’intérieur des frontières des Etats-Unis en annulant certains droits fondamentaux de la population.
Très critiquée mais toujours en grande partie appliquée, cette loi va jusqu’à obliger les compagnies d’aviation à fournir aux autorités américaines leurs listes de données sur leurs passagers.
En Suisse, la ministre de la Justice de l’époque, Ruth Metzler, s’empressa de conclure avec les Etats-Unis l’«Operative Working Arrangement» (OWA, arrangement de travail opérationnel). Ce document réglemente la coopération secrète des deux pays pour lutter contre le terrorisme ainsi que ses sources de financement.
Un instrument suffisant
Les autorités suisses n’ont pas fait de zèle et il n’y a pas eu d’atteinte aux droits fondamentaux comme aux Etats-Unis. «Il faut saluer le fait que la Suisse n’a pas fait montre du même réflexe sécuritaire», remarque le préposé à la protection des données Hanspeter Thür à swissinfo.
Au moment des attentats, cet ancien député au Conseil national (Chambre basse) n’était en fonction que depuis onze jours. Selon lui, les instruments de lutte antiterroriste que la Suisse s’est donnés se sont avérés suffisants, à peu de choses près.
Hanspeter Thür juge que c’est toujours le cas, même après les attentats de Madrid et Londres.
Revirement avec Europol
Pour Daniel Vischer conseiller national (député) écologiste, qui préside la commission juridique de la Chambre du peuple, le fameux OWA manifeste une certaine «sujétion aux Etats-Unis».
Selon lui, l’accord Europol signé en mars par la Suisse marque un tournant. «Berne sort de la réserve observée jusque-là quant il s’agissait de livrer des gens pour motifs politiques.» Daniel Vischer estime que c’est plier devant les Etats-Unis qui, sur la base de leur liste de terroristes, décident qui fait partie des méchants.
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Office fédéral de la police
Atteintes à la sphère privée
Autant le préposé à la protection des données ne s’est pas affolé lors des premières réactions après les attentats, autant il s’insurge aujourd’hui contre le projet de révision de la loi fédérale instituant des mesures visant au maintien de la sûreté intérieure (LMSI II), soumis en consultation en juillet par le gouvernement fédéral.
Le projet émane du Service d’analyse et de prévention (SAP), attaché à l’Office fédéral de la police (fedpol).
«Le projet de révision prévoit la surveillance des communications téléphonique, du courrier postal et électronique des citoyens, mais aussi des incursions dans la sphère privée», déclare Hanspeter Thür. Il juge particulièrement inacceptable que l’Etat procède à des écoutes sans la moindre preuve qu’un délit a été commis.
Mesures disproportionnées
Le préposé à la protection des données considère que ces mesures sont disproportionnées, surtout cinq ans après les attentats.
Hanspeter Thür estime cependant que «la pilule sera difficile à faire avaler» au Parlement et que le peuple pourrait même avoir à se prononcer.
Car les projets des services secrets sont très mal perçus, y compris dans le camp bourgeois et, d’autre part, l’affaire des fiches est toujours présente dans la mémoire des citoyens, même seize ans après.
Rappelons qu’au début des années 1990, les Suisses ont appris que le Ministère public de la Confédération et la police avaient fiché quelque 900’000 personnes soupçonnées d’activisme de gauche.
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Consultation
Plus de sécurité, moins de droits
Mais cet optimisme n’est pas partagé par Jörg Paul Müller, professeur de droit public à Berne. Celui-ci estime, lui, que l’affaire des fiches est oubliée. «C’est effrayant de voir ce que les gens sont prêts à accepter, par exemple lors des contrôles aux aéroports.»
Ce projet d’extension des moyens de surveillance démontre, une fois de plus, à quel point la Suisse a besoin d’un tribunal constitutionnel pour faire contrepoids.
Le juriste ajoute que cette tolérance des Suisses à l’égard de ces atteintes à leurs droits est dictée par la peur. On est prêt à céder un peu de sa liberté pour se sentir plus en sécurité.
Il impute la cause de cette peur à l’islam, dont les adeptes subissent une suspicion généralisée. «Les efforts pour une société multiculturelle sont manifestement anéantis», conclut, amer, Jörg Paul Müller.
swissinfo, Renat Künzi
(Traduction de l’allemand: Isabelle Eichenberger)
– Les investigations du Ministère public de la Confédération et de la police doivent se limiter à la sphère publique.
– La révision de la loi fédérale sur la sûreté intérieure (LMSI II) prévoit une diminution de la sphère privée, même sans qu’un délit soit commis.
– Le gouvernement a autorisé l’utilisation de drones pour surveiller les zones frontalières.
– Le ministre de la Justice Christoph Blocher a demandé aux cantons de prolonger la durée de conservation des bandes des caméras de surveillance à 48 heures au lieu de 24.
Attentats d’Al Kaïda aux USA et en Europe:
USA, 11 septembre 2001: 3000 morts.
Madrid, 11 mars 2004: 191 morts.
Londres, 7 juillet 2005: 56 morts.
Le Service d’analyse et de prévention (SAP) de l’Office fédéral de la police (fedpol) est l’organe fédéral qui veille à la sûreté de l’Etat.
Le 1er mai 2006, la Suisse a signé l’Accord Europol avec l’Union européenne.
Depuis 2005, elle fait partie de l’espace Schengen de l’UE.
En juillet 2006, la Suisse et les Etats-Unis ont signé un accord de coopération en matière de lutte antiterroriste.
Depuis septembre 2006, les nouveaux passeports suisses sont biométriques, en réponse aux exigences des Etats-Unis.
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