La fin des téléphones portables anonymes
Se procurer une carte de téléphone mobile sans décliner son identité ne sera bientôt plus possible en Suisse.
Le parlement a décidé de mettre fin à cette pratique pour lutter contre le terrorisme et les autres crimes organisés.
L’art de prendre un virage à 180 degrés!… Les députés du Conseil national (la Chambre basse du parlement) viennent de nous en faire une belle démonstration.
Deux ans après avoir refusé d’obliger les opérateurs téléphoniques à identifier les clients de cartes à pré-paiement, ils ont finalement donné leur feu vert mercredi.
S’alignant sur la position déjà adoptée par les sénateurs du Conseil des Etats (la Chambre haute du parlement), les députés ont en effet décidé de forcer les opérateurs à conserver les données de leurs clients durant deux ans au moins.
L’affaire Al Qaïda
Ce vote s’inscrit dans le cadre de l’adoption par la chambre basse de deux conventions des Nations Unies. Qui permettent de réprimer le financement du terrorisme et les attentats à l’explosif.
Alors qu’est-ce qui a fait changer d’avis les députés? Il y a, bien sûr, la volonté générale de barrer la route au terrorisme depuis les attentats anti-américains du 11 septembre 2001.
Mais, il y a également les fameuses cartes suisses à pré-paiement utilisées par des membres du réseau terroriste Al Qaïda.
Une affaire récemment révélée par la presse. Qui a, entre temps, été confirmée officiellement par les autorités helvétiques.
Une mesure nécessaire
«En obligeant le client à donner ses coordonnées personnelles, estime le député libéral genevois Jacques-Simon Eggly, on pourra remonter une piste. Même s’il fournit un faux nom.»
«L’enregistrement des données concernant les utilisateurs n’est pas la panacée, dit la démocrate-chrétienne argovienne Doris Leuthard. Mais il compliquera la vie des criminels, sans pour autant ouvrir la voie à un Etat policier.»
Et d’ajouter que «les transmissions d’images et l’accès à Internet par le biais des téléphones mobiles ne font que renforcer la nécessité de prendre une telle mesure.»
Nécessité? Les chiffres avancés par le ministère de la Justice et de la Police sont éloquents.
En 2002, des cartes à pré-paiement de téléphones mobiles ont été utilisées dans 528 affaires de crime organisé.
Et près de 100% des personnes liées au trafic de drogue recourent à ces mêmes cartes, dans l’anonymat le plus total.
L’opposition de la gauche
Pour autant, mercredi, quelques députés écologistes et socialistes se sont opposés à l’enregistrement obligatoire de données qu’ils trouvent «disproportionné».
«Le Parlement a agi sous la pression du Ministère public de la Confédération et des médias qui brandissent l’épouvantail d’Al Qaïda», commente Anne-Catherine Ménétrey.
«Ni le terrorisme, ni le blanchiment d’argent, ajoute l’écologiste vaudoise, n’appartiennent aux délits spontanés que la police espère pouvoir combattre grâce à l’identité des utilisateurs de cartes à pré-paiement.»
En clair, pour la majorité des opposants, ce n’est pas en enregistrant les noms des clients que l’on portera un coup sévère au terrorisme.
Quoi qu’il en soit, la Suisse a finalement décidé de prendre une mesure qui est d’ores et déjà en vigueur en Allemagne, en Italie et en Hongrie. Mais que le reste de l’Europe n’applique toujours pas.
Swisscom est sceptique
En Suisse, deux millions de ces cartes à pré-paiement ont déjà été vendues, dont 1,3 million par Swisscom seulement. Du côté du principal opérateur de téléphonie mobile, c’est le scepticisme qui prévaut.
«Nous doutons de l’efficacité de cette mesure, dit Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom. Nous attendons avec impatience ce que le gouvernement va proposer pour l’appliquer.»
Christian Neuhaus fait en l’occurrence allusion à la récupération des données de plus de deux millions d’utilisateurs. Une mission quasi impossible.
«Quant aux données des futurs clients, ajoute le porte-parole, elles risquent d’être vite périmées. Ils peuvent déménager. Voire donner leur portable à une autre personne.»
«D’ailleurs, insiste Christian Neuhaus, les Américains sont conscients de ces difficultés. Au point qu’ils ont renoncé à ce type de contrôle.»
Enfin, les terroristes auront toujours le loisir de se procurer une carte anonyme, notamment en France voisine.
Même son de cloche du côté de Sunrise pour qui cette mesure n’apportera rien à la lutte contre le terrorisme, affirme le porte-parole de l’opérateur Matthieu Janin.
En revanche, l’opérateur Orange se monte plus réservé et «prend note de la décision».
«Nous attendons les instructions, dit la porte-parole Marie-Claude Debons. Une fois informés, nous agirons le plus rapidement possible.»
La mort des cartes à prépaiement?
Reste à savoir si cette décision signera l’arrêt de mort de ces cartes dont la vente enregistre un boom extraordinaire, en Suisse comme ailleurs.
«Probablement pas», répond Christian Neuhaus. Et de citer le cas de l’Italie et de l’Allemagne qui en vendent toujours plus malgré les contrôles.
Et puis, conclut le porte-parole de Swisscom, il faut être vigilant. Car la prohibition engendre inévitablement un trafic.
La preuve par l’Italie, par exemple, où un véritable marché noir des cartes à pré-paiement s’est développé.
swissinfo, Jean-Louis Thomas
-Deux millions de cartes à prépaiement circulent en Suisse.
-En Europe, seules l’Allemagne, l’Italie et la Hongrie pratiquent ce contrôle.
-Le contrôle des cartes n’existe pas aux Etats-Unis.
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