La justice des mineurs face à la violence
Des gangs à Yverdon, Neuchâtel, et maintenant à Bulle. La délinquance juvénile a doublé en Suisse et la violence augmente.
A contre-courant de la politique du bâton qui se généralise, la Suisse vise d’abord la protection et l’éducation des jeunes.
Après Yverdon, Soleure, Neuchâtel ou Olten, Bulle a été confrontée à son tour à la logique des gangs. Ces nouvelles «tribus urbaines» que l’on croyait réservées aux grandes cités des pays voisins.
Il y a dix jours, la petite ville fribourgeoise a failli être le théâtre d’une bataille rangée entre 60 jeunes. Depuis lors, la police a saisi un véritable arsenal: couteaux, baïonnettes, battes de base-ball, cocktails Molotov et pistolets à bille…
La délinquance juvénile a doublé
Signe de ces temps difficiles et incertains, l’intolérance et la violence augmentent partout.
Dans son rapport 2001, le canton de Neuchâtel tirait la sonnette d’alarme: le nombre de mineurs dénoncés a augmenté de 67 % en 2000. Un délit sur trois est le fait d’un mineur.
La violence physique des mineurs augmente: 92 interpellations pour violence contre 23 en 1996. En outre, ils sont de plus en plus jeunes.
Sur le plan suisse, le nombre de jeunes dénoncés à la justice a passé de 7000 à 14 000 de 1990 à 2000. Jean Zermatten, président du Tribunal des mineurs du Valais, confirme l’augmentation de la violence: «Il y a moins de vols ou d’atteintes à la propriété mais une aggravation des infractions contre la vie et l’intégrité corporelle». Contre la personne.
La carotte ou le bâton?
A cette donne nouvelle, il faut donc apporter des réponses nouvelles. Mais pas question de céder à l’affolement.
Comme d’autres intervenants, la police fribourgeoise estime par exemple que «globalement les jeunes vont bien, hormis 5 % d’entre eux». Beaucoup de cas difficiles sont étrangers, mais il y a aussi des Suisses. Le problème est global.
Il faut donc adapter le code pénal et créer des structure d’accueil pour ces «cas lourds». Actuellement, faute de mieux, les mineurs en détention préventive sont souvent détenus dans des maisons d’arrêt ou des prisons pour adultes. Sans aucun encadrement éducatif. Ce qui contrevient aux traités internationaux sur les droits de l’enfant.
Soigner la cause plutôt que le symptôme
La Suisse se refuse à se laisser entraîner par le réflexe sécuritaire qui entraîne de nombreux pays voisins (anglo-saxons, ainsi que la France ou l’Italie de Berlusconi) dans le sillage des Etats-Unis, où les enfants partagent les mêmes prisons que les adultes.
Le Code pénal suisse des mineurs, qui date des années 40, doit être adapté à la nouvelle donne. Mais le projet de nouveau droit pénal des mineurs, actuellement examiné par le parlement, reste sous-tendu par le même principe d’éducation et de prévention.
Jean Zermatten: «La Suisse a choisi un système qui vise la protection, avec des objectifs d’éducation, de soins et de prévention, et non pas la sanction.
Une politique de privation de liberté est très dangereuse car elle ne vise pas agir sur les causes du mal mais sur les symptômes. C’est une politique du bâton à court terme».
C’est le cas de la France, qui a durci sa législation en créant la possibilité de placer des délinquants en milieu fermé dès 13 ans. De même, le président du Tribunal des mineurs du canton du Valais critique la décision de la France de nommer des «juges de situation» sans formation spécifique. C’est ce qui inquiète le plus Jean Zermatten.
Créer des structures adaptées
La nouvelle «loi fédérale régissant la condition pénale des mineurs» prévoit notamment l’obligation d’envoyer les jeunes dans des établissements appropriés lors d’une détention préventive de plus de 14 jours et de créer des «milieux éducatifs fermés» pour les cas graves.
Pour la détention après le jugement pour fautes graves, le nouveau droit prévoit des peines allant jusqu’à 4 ans. Actuellement, la limite supérieure est de un an, sauf cas exceptionnels.
La nouvelle loi devrait entrer en vigueur vers 2004. Elle donne dix ans aux cantons pour créer des milieux éducatifs fermés. Les responsables romands et tessinois estiment les besoins futurs à quelque 100 places pour la détention après jugement et le placement en milieu éducatif fermé.
Une structure intercantonale d’accueil des adolescents devrait voir le jour. Elle est onéreuse, car elle repose sur l’appui d’un personnel spécialisé. Reste à la financer. Car, les discours politiques restent souvent des discours, lorsqu’il s’agit de voter des budgets.
swissinfo/Isabelle Eichenberger
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