La loi sur les étrangers entre intégration et durcissement
Le peuple se prononce sur la nouvelle Loi sur les étrangers. Ce texte est très contesté, notamment en raison du sort réservé aux étrangers jugés indésirables sur le territoire.
La gauche fait bloc pour faire échouer cette loi approuvée par le gouvernement et le Parlement. Mais à droite aussi des voix s’élèvent pour condamner le texte.
Le texte sur lequel le peuple se prononce le 24 septembre est très dense: 128 articles répartis sur 58 pages. La loi a en effet pour ambition de régler le statut juridique des étrangers de manière globale.
Elle traite des points habituellement abordés dans toute loi sur les étrangers. Notamment les conditions d’admission, de séjour et de renvoi, les passages de frontières, les documents de voyage et les visas.
Pas tous les étrangers
Les ressortissants de l’Union européenne (UE) et de l’Association européenne de libre-échange (AELE) ne sont cependant pas concernés, leur cas dépendant de l’accord sur la libre circulation des personnes. Quant aux demandeurs d’asile, ils sont soumis à la Loi sur l’asile.
Les autres étrangers visés par la nouvelle loi sont soumis à des règles bien plus strictes que les citoyens de l’UE et de l’AELE en matière d’établissement. La loi précise que leur admission en vue de l’exercice d’une activité lucrative doit servir les intérêts économiques de la Suisse.
Un étranger ne peut être admis que s’il est démontré qu’aucun travailleur suisse ou venant d’un pays avec lequel la Suisse a conclu un accord de libre circulation ne dispose du profil souhaité. La loi prévoit donc un ordre de priorité au marché du travail.
Quant à ceux qui n’exercent pas d’activité lucrative, ils doivent notamment prouver qu’ils disposent des moyens financiers pour séjourner en Suisse.
Priorité à l’intégration
Une autre grande préoccupation de la loi vise à permettre l’intégration des étrangers. De manière générale, le texte stipule que les chances d’une intégration durable sur le marché du travail et dans l’environnement social sont déterminantes.
La loi demande donc que les autorités créent des conditions propices à l’intégration. Mais les étrangers, de leur côté, doivent également faire des efforts pour s’acclimater avec une attention toute particulière mise sur la maîtrise d’une langue nationale. La loi stipule d’ailleurs qu’une autorisation de séjour peut être liée à la fréquentation d’un cours de langue.
Cette volonté de promouvoir l’intégration induit également un durcissement dans le domaine du regroupement familial. L’idée étant que plus on avance en âge, plus il est difficile de s’intégrer, le regroupement doit intervenir dans un délai de 12 mois suivant l’autorisation d’établissement pour les enfants âgés de plus de 12 ans.
Mesures de contraintes
La loi prévoit aussi les cas dans lesquels une autorisation d’établissement peut être révoquée. C’est notamment le cas lorsque l’étranger présente une menace grave pour la Suisse, lorsqu’il a été condamné à une longue peine de prison ou lorsqu’il dépend durablement et dans une large mesure de l’aide sociale.
Les renvois doivent être faits dans un délai dit raisonnable. Mais des expulsions et des mesures de contrainte sont également prévues lorsque l’étranger refuse de collaborer ou fait preuve d’insoumission. Dans les cas les plus graves, il peut être détenu en attendant son renvoi. Cette détention peut atteindre une durée maximale de deux ans.
A noter encore que des amendes très salées, voire même des peines de prisons, sont prévues également pour les personnes qui se rendraient coupables de délits tels que faciliter le séjour illégal d’un étranger, employer un étranger présent illégalement en Suisse, livrer de fausse informations aux autorités ou encore procéder à un mariage blanc pour obtenir une autorisation de séjour.
Un vaste front
Cette loi a suscité un véritable tollé dans les rangs de la gauche. Mais pas seulement. Les Eglises, les syndicats, les organisations de défense des étrangers et des réfugiés, diverses organisations non gouvernementales telles qu’Amnesty International et même certains politiciens en vue à droite se sont mobilisés.
Preuve de cette mobilisation, le référendum lancé contre la loi a recueilli 73’800 signatures valables, ce qui constitue un score assez élevé.
«C’est une loi discriminatoire envers les étrangers non-Européens, dénonce Ueli Leuenberger, député et vice-président des Verts. Il est inadmissible que les 700’000 non-Européens établis en Suisse soient frappés très durement, principalement au niveau du regroupement familial et de l’autorisation de séjour.»
Mais ce sont les mesures de contraintes qui scandalisent tout particulièrement les opposants. «Cette loi permet d’enfermer, dans un pays démocratique, une personne dont le seul crime est de ne pas pouvoir ou vouloir quitter la Suisse; c’est très grave», plaide Ueli Leuenberger.
Une opération gagnante-gagnante
Malgré ces vives critiques, le Parlement a assez facilement accepté la révision par 106 voix contre 66 à la Chambre basse et 33 contre 8 à la Chambre haute.
«L’ancienne loi, de 1931, est complètement dépassée, explique le député Yvan Perrin. Le vice-président de l’Union démocratique du centre (UDC / droite dure) remarque par ailleurs que la Suisse ne peut pas accueillir tous ceux qui le souhaitent et qu’elle doit pouvoir choisir son immigration.
Yvan Perrin réfute le reproche de discrimination. Pour lui, cette loi découle de l’accord sur la libre circulation des personnes que les citoyens ont accepté. «Ce qui est amusant, c’est que ceux qui utilisent cet argument pour combattre la loi sont aussi ceux qui ont soutenu les accords bilatéraux avec l’UE», ironise-t-il.
«Il faut aussi la soutenir parce que, pour la première fois, elle ancre le principe de l’intégration. Elle demande à la population étrangère de s’intégrer et aux Suisses de faire un pas vers les eux. C’est vraiment une opération gagnante-gagnante», conclut le député.
swissinfo, Olivier Pauchard
Selon l’Office fédéral de la statistique, les étrangers représentaient 20,6% de la population en 2004
A cette date, sur 1’321’981 étrangers, 875’339 étaient des ressortissants de l’UE et 3514 des pays de l’AELE
Les communautés les plus représentées sont les Italiens (301’736), les Serbes et Monténégrins (199’739) et les Portugais (160’249)
En 2005, il y avait 829’000 travailleurs étrangers sur un total de 3,97 millions d’actifs (un sur cinq)
Autrefois pays d’émigration, la Suisse est devenue progressivement un pays d’immigration. Le mouvement s’est accéléré depuis les années 50.
Quelques initiatives ont été lancées pour limiter le nombre d’étrangers.
La première a été lancée en 1965 par le Parti démocratique du canton de Zurich. Massivement refusée au Parlement, elle a été retirée.
L’initiative restée la plus fameuse est celle du député de l’Action nationale James Schwarzenbach qui demandait que part d’étrangers soit limitée à 10% dans chaque canton sauf Genève. La proposition a été rejetée par 54% le 7 juin 1970.
En 1974, une seconde initiative Schwarzenbach n’obtient que 33% des voix.
Le 24 septembre 2002, une initiative demandant que la proportion d’étrangers soit limitée à 18% de la population est rejetée par 67% des votants.
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