La Suisse bénéficie des divisions européennes
Aiguillonnée par une vaste affaire d'évasion fiscale vers le Liechtenstein, l'Allemagne réclame le durcissement de la directive européenne sur la fiscalité de l'épargne. Avec potentiellement un impact sur le secret bancaire suisse.
Une telle révision demanderait néanmoins que les vingt-sept pays de l’Union européenne (UE) s’entendent à l’unanimité sur le sujet. Ce qui est loin d’être acquis.
Une fois de plus, l’Oscar de la formule-qui-tue mérite d’être décerné à Jean-Claude Juncker, ministre luxembourgeois des Finances. Prenant la parole après son collègue allemand qui réclamait mardi au Conseil des ministres des Finances de l’Union européenne (UE) un durcissement des règles qui régissent la lutte contre l’évasion fiscale, Jean-Claude Juncker a lancé : «Ceci nous promet de longues années de débats fascinants».
Ce vieux routier de la construction européenne parle d’expérience: il sait que la première discussion qui a permis d’aboutir en 2005 à la directive (loi européenne) sur la fiscalité de l’épargne a duré… une quinzaine d’année.
«Et encore, nous étions quinze à l’époque. A vingt-sept, il faudra du temps pour arriver à une adaptation du texte», ajoute Didier Reynders, ministre belge des Finances.
Berne accepte
Cette révision était implicitement prévue dans l’accord de 2005 qui posait le principe de l’échange d’information entre administrations fiscales. Trois pays de l’UE avaient manœuvré pour échapper à cette obligation en échange d’une rétrocession forfaitaire des revenus de l’épargne des étrangers dans leurs banques.
Conscients que le système devait englober les pays tiers les plus proches de l’Union, les Européens avaient aussi impliqué la Suisse. Berne avait accepté d’appliquer la taxation forfaitaire de l’épargne des personnes physiques en échange d’autres accords bilatéraux, dont la participation suisse à l’espace Schengen.
Mais le scandale du Liechtenstein pousse les Allemands et quelques partenaires à accélérer le processus. Ce qui n’est pas pour déplaire à la Commission Européenne, qui s’est engagée à présenter son premier bilan sur le fonctionnement de la directive en mai-juin 2008. Soit quelques mois plus tôt que prévu.
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Secret bancaire
Seulement trois pistes
Trois propositions se dessinent: une extension de la législation aux dividendes et aux gains financiers autres que les revenus de l’épargne, l’inclusion des sociétés et fondations dans le champ d’application du texte, et l’obligation pour les «paradis fiscaux» de donner l’identité des détenteurs de comptes bancaires chez eux.
Mais il ne s’agit là que de pistes. Et comme nous le confiait mardi un Commissaire européen : «Le mandat de la Commission actuelle se termine en 2009. Il ne faut rien attendre de fort avant que la prochaine équipe soit en place. »
Et encore: il ne s’agirait là que d’une première étape. Compte tenu que les décisions de l’UE en matière fiscale se prennent à l’unanimité, il faudrait ensuite impérativement convaincre les Etats-membres réfractaires d’accepter un durcissement des règles. Ce qui est loin d’être gagné à en juger par les réactions d’hier.
Ni rapide, ni facile
Ainsi, le ministre autrichien des Finances Wilhelm Molterer a-t-il rappelé que l’accord sur la directive avait entériné le principe du secret bancaire autrichien. Il a ajouté que renégocier dans l’Union sans impliquer les pays tiers, n’aurait «aucun sens.»
Plus subtilement, Didier Reynders s’est déclaré ouvert à l’élargissement du champ d’application de la directive «aux produits d’assurance notamment». Mais il s’est empressé de réclamer une harmonisation de la fiscalité en général dans l’UE, citant particulièrement «l’assiette fiscale des entreprises». Or, ceci est inacceptable pour d’autres Etats-membres, dont l’Irlande… qui passerait donc immédiatement dans le camp des réfractaires.
Troisième difficulté pour les partisans du durcissement de la directive: faire asseoir les pays tiers à la table de négociation. La Suisse, qui n’a plus de «paquet» d’accords bilatéraux de poids à négocier, y aurait-elle intérêt? A la Commission, certains veulent le croire: «On a toujours tant de choses à négocier avec nos amis suisses», sourit un connaisseur.
Quoiqu’il en soit, la révision de la directive ne sera ni rapide, ni facile. Cela laissera du temps aux banques suisses pour anticiper les changements.
En attendant, Berlin affirme avoir obtenu ce qu’elle voulait: remettre la lutte contre la fraude fiscale sur l’échiquier européen et, comme l’indique un responsable allemand, «faire du tam tam» pour dissuader les apprentis fraudeurs de passer à l’acte.
swissinfo, Alain Franco, Bruxelles
L’Allemagne est confrontée à ce qui semble être le plus grand scandale de fraude fiscale de son histoire.
L’affaire a éclaté le 14 février 2008, lorsque le chef de la poste allemande Klaus Zumwinkel a été arrêté. Il aurait transféré près de 10 millions d’euros au Lichtenstein afin de les soustraire à l’imposition du fisc allemand.
Dans la foulée, la justice allemande a lancé des enquêtes sur près d’un millier de riches contribuables soupçonnés d’évasion fiscale. Dans l’ensemble, celle-ci pourrait atteindre 4 milliards d’euros.
Pour obtenir des informations et contourner le secret bancaire du Liechtenstein, les services secrets allemands auraient payé 5 millions d’euros (environ 8 millions de francs).
Otmar Hasler, chef du gouvernement du Liechtenstein, s’est dit prêt à un compromis avec l’Allemagne. Toutefois, pas question de renoncer à la distinction dans sa législation entre fraude et soustractions fiscales.
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