La Suisse veut imposer un code aux mercenaires
La Suisse organise en novembre à Montreux une rencontre internationale d'experts sur le mercenariat pour tenter de clarifier les resposbailités des pays qui y font recours.
Actives dans une centaine de pays, les sociétés militaires et de sécurité privées réalisent aujourd’hui un chiffre d’affaires annuel de quelques 100 milliards de dollars. Il devrait doubler d’ici 2010.
Le Conseil fédéral (gouvernement) a lancé avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) un processus destiné à donner un cadre juridique à un «métier» pas comme les autres.
Moins frileuse que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne ou la France, la Suisse met sur pied en novembre prochain à Montreux la première réunion internationale d’experts sur le mercenariat.
Y «seront invités un maximum d’experts gouvernementaux», note Christine Schraner, vice-directrice de la direction du droit international public au Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).
La réunion vise trois objectifs: examiner des modèles de réglementation sur le plan national et international, clarifier les obligations internationales des Etats dans le domaine du droit humanitaire et des droits de l’homme, et promouvoir un dialogue interétatique sur le mercenariat.
Des Suisses réputés
Tout le monde part d’un constat. Le mercenariat est l’un des plus vieux métiers du monde, depuis que les hommes se battent entre eux. La Suisse en sait quelque-chose.
L’ancienne Confédération a gagné dans l’art de la guerre certains titres de gloire. Et l’on estime à 2 millions le nombre de Suisses qui se sont illustrés sur les champs de bataille à l’étranger.
Ce n’est toutefois pas pour cela uniquement que le Conseil fédéral se penche depuis 2004 sur les sociétés militaires et de sécurité privées (SMP), ces nouveaux prestataires de guerre qui prolifèrent dans les zones de conflit.
L’Irak à lui seul, par exemple, compterait 20 à 25’000 mercenaires employés par DynCorp, CACI International, Titan ou Global Risks. Dans un premier temps, la Suisse a en fait voulu savoir si ces entreprises militaires privées n’étaient pas domiciliées sur son territoire.
Un rapport du gouvernement
Car cela pourrait mettre en difficulté sa politique de neutralité si des entreprises guerrières installées à Zurich ou à Genève étaient accusées de graves violations du droit international public!
Or, le risque existe bel et bien. Selon un rapport gouvernemental publié en décembre 2005, le canton de Bâle-Campagne «compte trois entreprises qui opèrent dans des zones de guerre ou de troubles (…). Deux de ces entreprises ont leur siège en Suisse; la troisième a son siège à l’étranger et une succursale en Suisse».
Une enquête des autorités de Bâle-Campagne indique aussi que «douze autres entreprises ont déclaré que dans le futur, elles pourraient opérer dans des zones à risque».
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Neutralité
Des mercenaires sud-africains
Si ce marché semble encore marginal en Suisse, il risque de prendre de l’ampleur. «Il n’est pas exclu que des entreprises installent leur siège sur le territoire suisse pour bénéficier de la bonne image de notre pays, en particulier en relation avec notre politique de neutralité», constate le rapport.
Qui plus est, la Suisse reconnaît qu’elle doit «recourir occasionnellement aux services d’entreprises de sécurité privées» à l’étranger dans les zones de conflit. Notamment à Bagdad, où le bureau de liaison était protégé par Meteoric Tactical Solutions, une société de sécurité sud-africaine très controversée.
Une guerre non déclarée
Un nouveau marché se développe donc. Il le fait alors que les SMP en question profitent parfois d’un «no man’s land» juridique.
Ainsi, alors que les militaires américains, coupables de s’être livrés à des actes de torture en Irak, ont été condamnés à de la prison, les mercenaires de CACI et de Titan, coupables des mêmes crimes, échappent à toute sanction.
Car pour être passibles de la Cour martiale, le Congrès américain aurait dû, au préalable, déclarer formellement la guerre à l’Irak. Seulement voilà, les Etats-Unis n’ont pas fait.
«Nous avons donc été amenés à réfléchir sur ce sujet, pas seulement au niveau de la Suisse mais sur le plan international, indique Christine Schraner. En janvier 2006 déjà, un atelier de travail organisé par les Affaires étrangères a réuni 9 pays concernés par le mercenariat».
Réflexion menée avec le CICR
«Il ne s’agit pas de cautionner le mercenariat, mais de constater qu’il ne peut plus être ignoré», explique pour sa part Claude Voillat, chargé des relations avec le secteur privé à la direction des opérations du CICR.
«Tout le monde utilise ces sociétés, les multinationales comme les ONG et les journalistes, note ce spécialiste. Notre tâche consiste à favoriser une régulation du secteur, afin qu’il se dessine une frontière entre les sociétés militaires privées véritablement professionnelles, qui respectent le droit humanitaire, et les autres».
swissinfo, Ian Hamel
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Comité international de la Croix-Rouge
28 septembre 1995: un Suisse est mêlé au coup d’Etat de Bob Denard aux Comores.
1er juin 2004: première intervention parlementaire sur le mercenariat.
16 décembre 2004: motion parlementaire sur le recours de la Suisse à des entreprises militaires privées.
Eté 2005: premières rencontres organisées par Berne avec des experts étrangers.
Janvier 2006: atelier de travail réunissant 9 pays autour de la Suisse.
Novembre 2006: première conférence internationale à Genève sur les SMP.
Entre le XIVe siècle et le XIXe, 2 millions de Suisse se sont engagés comme mercenaires. Et depuis 1831, 60’000 Suisses ont été recrutés dans la Légion étrangère française.
CACI International, fondée en 1962 en Virginie et cotée en Bourse, emploie 10’000 personnes et réalise un chiffre d’affaires proche du milliard de dollars.
Un mercenaire gagne 3 à 10 fois plus qu’un soldat. Jusqu’à 1000 dollars par jour en Irak. Le marché mondial du mercenariat est aujourd’hui estimé à 100 milliards de dollars. Il doublera d’ici 2010.
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