La trajectoire brisée de Philipp Hildebrand
Le président de la Banque nationale suisse a à nouveau «comparu» lundi devant les médias. A la fois calme, grave, assuré et presque décontracté, cette fois-ci. Mais qui est cet homme à qui tout semblait réussir? Portrait d’un homme (trop?) discret.
Surnommé «rockstar» de la finance par le Tages Anzeiger, multimillionnaire à 35 ans, sacré parmi les Suisses de l’année 2010, Philipp Hildebrand a suivi un parcours étincelant avant son entrée à la Banque nationale suisse (BNS) et son accession à la présidence, caractérisée par un style nouveau qui lui aura peut-être, justement, coûté son statut.
Avec sa vie cosmopolite et son carnet d’adresse prestigieux, ce personnage ressortait sur la grisaille helvétique, trop, pour certains. Pas étonnant, puisqu’il a tâté à 16 ans du rêve américain. Lucernois né en 1963 à Berne, «Philipp M. Hildebrand» a passé son adolescence aux Etats-Unis, où son père travaillait pour IBM.
Sportif, le jeune Philipp a pratiqué la natation et remporté deux fois le Championnat suisse (1983/1984), avant, grand admirateur de Cassius Clay, alias Mohamed Ali, de se lancer dans la boxe. Après avoir passé sa maturité à Zurich, il a obtenu un baccalauréat canadien en 1988 à l’Université de Toronto. Un bac ès arts qui préfigurait peut-être l’intérêt partagé actuellement avec son épouse galeriste.
Une carrière brillante
Puis il a passé aux «choses sérieuses» avec des études qui l’ont emmené de Genève à Oxford, en passant par Florence et Harvard. Selon sa biographie officielle, le futur patron de la BNS a commencé sa carrière en 1994 au Forum économique mondial à Genève. Entré en 1995 chez Moore Capital Management, un hedge fund actif à Londres et New York, il en est deenu partenaire en 1997. Sa future épouse américaine née au Pakistan, Kashya Mahmood, travaillait comme trader pour la même société au début des années 1990 à New York.
En 1996, il a fait une première apparition médiatique en publiant dans l’hebdomadaire Finanz und Wirtschaft une critique contre… la politique monétaire «erronée» et «trop restrictive» de la BNS. Un article remarqué par Bruno Gehrig, lequel venait d’accéder au directoire de la banque centrale. Contact fut pris, et plus encore puisque Hildebrand succédera à son mentor à la vice-présidence en 2007.
En 2000, il a été engagé comme «chief investment officer» par le groupe Vontobel à Zurich, avant de rejoindre un an plus tard l’Union Bancaire Privée à Genève, en qualité de responsable des investissements et de membre du Comité exécutif.
En 2003, à 40 ans, il a été le plus jeune membre jamais élu au directoire de la BNS. Plutôt qu’un spécialiste de politique monétaire, l’institution cherchait alors une personnalité ayant l’expérience des marchés financiers. Sept ans plus tard, il se retrouvera à la présidence, succédant à Jean-Pierre Roth.
En novembre dernier, le président de la BNS a été nommé vice-président du Conseil de la stabilité financière (CSF), en charge de l’évaluation de la vulnérabilité macroéconomique. En pleine «affaire Dominique Strauss-Kahn» l’été dernier, son nom a même circulé pour la succession du Français à la présidence du Fonds monétaire international (FMI).
L’épreuve du feu
En 2008, Philipp Hildebrand s’est retrouvé en première ligne de la crise financière. Il a milité pour un renforcement des régulations bancaires internationales et une augmentation du niveau des fonds propres pour limiter les dégâts des actifs à risque. Après l’injection d’une soixantaine de milliards de francs pour sauver UBS, il a pesé de tout son poids pour un redimensionnement et une division des activités des grandes banques. Il est également derrière la réglementation «too big to fail» visant à limiter les risques que les banques peuvent faire courir à l’économie nationale.
Cette «interventionnite» n’a pas du tout été appréciée, surtout par les grandes banques UBS et Credit Suisse Group, plus habituées à avoir affaire à des théoriciens qu’à un spécialiste des hedge funds qui connaît toutes les facettes du métier.
Et cela a continué. En 2010, il accordait une garantie de 16,5 milliards de francs au FMI pour renforcer l’économie des pays européens. En outre, il intervenait pour éviter l’envolée du franc en achetant massivement des euros: à fin juin 2010, les réserves de devises de la BNS avaient plus que doublé pour atteindre 226,7 milliards de francs. Cette prise de risque a conduit à une perte comptable globale de plus de 21 milliards de francs, alimentant la polémique.
En 2011, Philipp Hildebrand a poursuivi son rôle de champion de la défense du franc face à l’euro en crise. Redoutant une interruption de la croissance, le 6 septembre dernier, il annonçait l’introduction du taux plancher de 1,20 franc pour un euro pour limiter les dommages causés par une monnaie «surévaluée». Mais voilà qu’après avoir reconquis sa popularité, le patron de la BNS voit aujourd’hui sa trajectoire brisée net par l’affaire d’achat de dollars par sa femme.
Riche, beau, mais discret
Riche, beau, puissant mais effacé, le couple (il a une fille de 11 ans) a toujours évité la publicité et le clinquant de la jet-set zurichoise. Les interviews sont rares sur leur vie privée. Il y a un pied-à-terre à Paris, un à New York, un terrain dans le Colorado. Il y avait aussi le fameux chalet de Gstaad revendu pour en acquérir un dans les Grisons. Mais ils préfèrent les voyages en Asie.
Elle, Kashya Hildebrand, 50 ans, avait abandonné sa carrière de courtière en devises pour le commerce d’art contemporain. Avec une première galerie en 2001 à Genève, une autre à New York. Ouverte en 2004 à Zurich, la Galerie Kashya Hildebrand présente de jeunes artistes internationaux, notamment de pays émergents comme l’Iran, l’Inde, la Chine et le Maghreb. Une femme discrète mais «une forte personnalité», selon les mots légèrement ambigus de son mari.
Né le 19 juillet 1963 à Berne, il passe sa maturité à Zurich.
1988: baccalauréat canadien ès arts à l’Université de Toronto.
1988-1990: études à l’Institut universitaire des hautes études internationales (HEI) à Genève.
1992: études à l’Institut universitaire européen (IUE) de Florence (Italie).
1993: Center for International Affairs (CFIA) de l’Université de Harvard et doctorat en études internationales à l’Université d’Oxford en 1994.
1994: engagé au Forum économique mondial (WEF) à Genève.
1995: entre chez Moore Capital Management, Londres et New York, il en est devenu partenaire en 1997.
2000: Chief Investment Officer du groupe Vontobel à Zurich, avant de rejoindre l’Union Bancaire Privée, à Genève en 2001, en qualité de responsable des investissements et de membre du Comité exécutif.
2003: nommé membre de la Direction générale de la BNS par le Conseil fédéral, il prend la tête du 3e département (marchés financiers, opérations bancaires, informatique).
2007: vice-président de la Direction générale et de chef du 2e département (finances, billets et monnaies, systèmes financiers, sécurité), à Berne.
2010: président de la Direction générale et de chef du 1er département (affaires économiques, affaires internationales, affaires juridiques et services), à Zurich.
Membre du conseil d’administration de la Banque des Règlements Internationaux (BRI) à Bâle et vice-président du Conseil de stabilité financière (CSF). En outre, il est membre du Groupe des Trente depuis 2008.
avec la presse suisse
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.