Le cristal rouge laisse un goût amer
Les Etats signataires des Conventions de Genève ont adopté le nouvel emblème de la Croix Rouge au terme d'une conférence houleuse de trois jours.
La délégation suisse s’est sentie trahie: l’opposition de certains pays du Moyen Orient a forcé la conférence à adopter le Cristal Rouge par un vote plutôt que par consensus.
Le vote est intervenu très tard dans la nuit de mercredi à jeudi, après trois jours de débats souvent très tendus. Le nouvel emblème est adopté par deux tiers des pays participant à la conférence. Ceux qui disent non sont principalement des pays arabes et musulmans, mais également la Chine, Cuba et la Corée du Nord.
Une opposition emmenée par la Syrie, qui voulait obtenir d’Israël le droit pour ses ambulances d’accéder au Plateau du Golan, toujours occupé. Face à l’intransigeance de l’Etat hébreu et à l’échec des négociations de la dernière chance, il était devenu clair que la conférence ne pouvait se terminer que sur un vote.
Les diplomates suisses qui ont passé neuf mois à négocier un accord sur le Cristal Rouge, sont bien sûr satisfaits de l’issue de cette affaire, mais ne cachent pas qu’elle leur laisse un goût amer dans la bouche.
«D’un côté, nous sommes satisfaits que le protocole ait été adopté aussi nettement, mais de l’autre, nous sommes déçus qu’il ne l’ait pas été par consensus», confie à swissinfo Didier Pfirter, représentant spécial de la Suisse à la conférence.
«Nous avons déployé des efforts considérables pour obtenir le consensus, poursuit-il. Nous avons vraiment fait tout ce que nous pouvions et nous sommes allés aux limites de ce qui était humainement possible».
Didier Pfirter explique que les Suisses ont été finalement contraints d’en arriver au vote pour éviter que cette conférence humanitaire ne soit «prise en otage» par les politiques.
Blaise Godet, ambassadeur suisse auprès des Nations Unies à Genève, ajoute qu’une fois qu’il était devenu clair qu’il n’y avait aucun moyen de combler le fossé, la seule option restante était le vote.
Durcissement de dernière minute
L’adoption par consensus du troisième emblème – après la Croix-Rouge et le Croissant-Rouge – semblait encore possible la semaine dernière, après la signature à Genève d’un accord entre les services de secours israéliens et palestiniens.
Cet accord ouvrait la voie pour la conférence qui au final permet donc à l’organisation israélienne Magen David Adom (MDA, Bouclier rouge de David) de rejoindre le mouvement de la Croix Rouge et du Croissant Rouge.
Le MDA est isolé depuis plus de 50 ans car il a toujours refusé d’utiliser l’un ou l’autre des symboles du mouvement, préférant l’Etoile de David. A l’avenir, il sera autorisé à placer son propre symbole à l’intérieur du Cristal Rouge.
La semaine dernière donc, on a pu croire que l’accord passé avec les Palestiniens allait adoucir l’opposition radicale de certains pays musulmans qui refusent tout compris avec Israël.
Mais l’absence d’un accord entre Tel Aviv et la Syrie les a amenés à durcir leur position à la dernière minute – à la grande déception des Suisses.
«Plusieurs pays nous avaient promis, à Madame Calmy-Rey (ministre suisse des Affaires étrangères) et à moi-même, que si les Palestiniens obtenaient satisfaction, ils ne s’opposeraient pas au protocole, note Didier Pfirter. Mais je constate que certains de ces pays ont voté non cette nuit».
Mercredi soir, Micheline Calmy-Rey a proposé ses bons offices pour faciliter le dialogue entre le MDA et la Syrie, mais cela n’a pas suffi.
Des louanges et des critiques
Jakob Kellenberger, président du Comité international de la Croix Rouge, estime lui aussi que le consensus eût été la solution idéale. Mais il ne craint pas pour autant que le mouvement en sorte affaibli.
Pour lui, l’adoption d’un troisième emblème est un événement «extrêmement positif», de nature à renforcer le droit humanitaire et l’universalité du mouvement de la Croix Rouge.
A l’opposé, Bachar Ja’afari, ambassadeur syrien aux Nations Unies est très critique envers les autorités suisses, qui auraient dû selon lui «préparer convenablement une conférence de cette envergure», afin d’arriver au consensus.
«Le protocole adopté à Genève n’est pas conforme au droit international humanitaire. Et cela ne se limite pas au cas du Golan, mais à toutes les populations vivant sous occupation étrangère», estime le diplomate, interrogé par swissinfo.
Bachar Ja’afari dénonce notamment le fait que le chef du Croissant Rouge syrien, présent à Genève cinq jours avant le début de la conférence, a attendu en vain l’arrivée de son homologue israélien, avec lequel il aurait dû pouvoir négocier, comme le lui avaient promis les Suisses.
Dans l’autre camp, Itzhak Levanon, ambassadeur israélien auprès de l’ONU, salue «une percée historique qui va permettre de rectifier une injustice envers la société de secours israélienne et lui permettre d’intégrer le mouvement à part entière».
La communauté juive de Suisse salue elle aussi l’adoption du Cristal Rouge et espère qu’un pas supplémentaire sera accompli en direction d’un rapprochement entre Israël et l’Autorité palestinienne par le biais de l’accord conclu entre le Croissant-Rouge palestinien et le MDA, il y a dix jours à Genève.
swissinfo, Adam Beaumont à Genève avec Mohamed Cherif et les agences
(traduction de l’anglais, Marc-André Miserez)
La Suisse est dépositaire des Conventions de Genève, qui fondent le droit humanitaire international et le mouvement de la Croix Rouge.
A la conférence de Genève, 98 pays ont voté pour le nouvel emblème, 27 ont voté contre et 10 se sont abstenus.
La plupart des pays qui ont refusé le Cristal Rouge sont des pays musulmans, mais on y trouve aussi la Chine, la Corée du Nord et Cuba.
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