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Le droit à l’asile pour les persécutions non étatiques

Keystone

Les étrangers victimes de persécutions dans leur pays peuvent obtenir l'asile même si ce n'est pas l'Etat qui en est l'auteur.

La Commission suisse de recours en matière d’asile a pour la première fois accepté de reconnaître ce droit. La Suisse rejoint ainsi d’autres pays qui ont déjà accepté la «théorie de la protection».

Dans une décision publiée jeudi, la Commission de recours en matière d’asile (CRA) a décidé d’accorder l’asile à un Somalien torturé par une milice privée. Sa jurisprudence rejoint ainsi celle des autres pays signataires de la Convention de Genève sur le statut de réfugié.

C’est dans un jugement de fond rendu le 8 juin que la CRA a révisé sa jurisprudence: la théorie de la protection prime désormais sur celle de l’imputabilité appliquée jusque-là. Selon l’ancienne pratique, le requérant devait être persécuté par un Etat ou l’Etat devait être indirectement responsable des persécutions, pour que la Suisse puisse lui accorder le statut de réfugié.

Un Somalien torturé

Le Somalien à l’origine de ce changement de cap helvétique avait été fait prisonnier dans son pays par une milice privée. Contraint au travail forcé, l’homme avait subi des mauvais traitements.

Après l’échec d’une première tentative de fuite, il avait été torturé et mutilé au point que de perdre partiellement l’usage de ses mains. Il avait ensuite pu gagner l’Ethiopie avant de rejoindre la Suisse. En juin 2005, l’Office fédéral des migrations (ODM) avait refusé de lui accorder l’asile.

Dans sa décision de principe diffusée ce jeudi, la CRA annule donc ce veto. Elle reconnaît que l’interprétation de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés aboutit à reconnaître un droit à la protection des victimes de persécutions, même si les sévices ne proviennent pas, même indirectement, de l’Etat.

«Théorie de la protection»

D’autres Etat signataires de la Convention de Genève ont déjà accepté la «théorie de la protection», indique la CRA.

Le revirement aura des conséquences pour les réfugiés qui proviennent de pays incapables d’assurer une protection ou d’Etats qui sont de facto inexistants.

Selon la pratique en vigueur, ces personnes pouvaient rester en Suisse, mais avaient uniquement droit à une admission provisoire, dans la mesure où leur renvoi était illicite. En revanche, elles ne pouvaient pas obtenir le statut de réfugié.

La question de l’adoption de la théorie de la protection est débattue depuis plusieurs années, explique la CRA. Dans son message concernant la dernière révision de la loi sur l’asile, le Conseil fédéral a soumis cette question aux Chambres fédérales, qui ne se sont pas opposées à ce changement de pratique.

Dorénavant, les autorités devront examiner si une personne en danger peut bénéficier d’une réelle protection dans son pays, indépendamment de son sexe ou de son appartenance ethnique.

Cette protection doit en principe être assurée par l’Etat. Celle accordée par un clan ou une famille élargie n’est pas suffisante. En revanche, la CRA a laissé ouverte la question de savoir si une telle protection peut être accordée par des organisations internationales.

«Contraire au droit international»

La décision de la CRA met fin à une pratique exceptionnellement dure par rapport aux autres pays européens, contraire aux exigences du droit international, et dont les femmes étaient souvent les premières victimes, se félicite l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR).

Les jeunes filles menacées d’excision, torturées par des chefs de guerre ou violées par des bandes criminelles n’avaient à ce jour aucune chance d’obtenir l’asile, rappelle l’OSAR.

Celle-ci critique par ailleurs «une joute peu reluisante menée aux dépens de personnes exilées» par les services de Christoph Blocher, ministre de Justice et Police.

L’OSAR souligne que la Suisse porte atteinte à des standards internationaux sur plusieurs points de sa législation en matière d’asile. L’entrée en vigueur de la révision de la loi sur l’asile, au menu des votations du 24 septembre, renforcerait ce constat.

swissinfo et les agences

La décision de la CRA intervient à un moment où les lois révisées sur les étrangers et sur l’asile (acceptées en décembre dernier par le parlement fédéral) sont au centre de la controverse.

Le peuple se prononcera d’ailleurs le 24 septembre prochain sur la question à travers deux référendums.

La nouvelle loi sur l’asile supprime l’aide sociale aux demandeurs refusés et double à deux ans la période de détention en attente de leur renvoi forcé. L’admission pour motif humanitaire est abandonnée.

La nouvelle loi fédérale sur les étrangers donne clairement la priorité aux citoyens venant de l’Union européenne alors que l’immigration venant des pays extracommunautaires est limitée au travailleurs qualifiés. Les dispositions permettant le regroupement familial et l’obtention du permis de travail ont été durcies.

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