Le prix de la criminalité économique
Au cours des deux dernières années, les criminels en col blanc ont frappé 37% des entreprises dans le monde. Et une société sur quatre en Suisse.
A chaque fois, selon une étude de PricewaterhouseCoopers, le préjudice moyen se chiffrerait à plusieurs millions de dollars.
Un mal qui progresse: c’est ainsi que le cabinet de conseils PricewaterhouseCoopers (PwC) qualifie la criminalité économique dans la deuxième étude internationale qu’il consacre à l’étendue du phénomène.
En 2001, le «PwC Crime Survey» s’était limité à l’Europe. Cette année, le cabinet a interrogé par téléphone les responsables de quelque 3600 entreprises représentatives, dans 50 pays différents. En Suisse, 89 sociétés ont répondu à l’appel.
L’Afrique en tête
Le résultat global montre une progression de 5% du nombre de cas de criminalité économique. En Europe de l’Ouest, 34% des entreprises disent avoir été victimes d’une fraude en 2002, contre 29% en 2001.
L’augmentation est plus marquée encore en ce qui concerne l’Europe Centrale et de l’Est: le taux de criminalité est passé de 26% à 37%.
L’Afrique affiche le plus fort pourcentage de réponses positives: 51% des entreprises sont touchées. Les Etats-Unis viennent ensuite, avec 41%, suivi de l’Asie et du Pacifique (39%), puis de l’Amérique Centrale et du Sud (39%).
24% des entreprises suisses
En Suisse, une entreprise sur quatre se dit touchée, soit beaucoup moins que la moyenne mondiale de 37%.
«Une explication possible réside dans le haut niveau de qualité de vie, qui peut empêcher les personnes tentées de passer à l’acte, parce qu’elles ont plus à perdre qu’à gagner», a déclaré John Wilkinson, un des deux auteurs de la recherche.
PwC s’est dit surpris de voir à quel point les entreprises sont confiantes en leurs capacités à détecter les problèmes: un tiers d’entre elles sont convaincues que leur système de surveillance est au point.
«Paradoxalement, ces mêmes entreprises sont également persuadées que la criminalité économique va augmenter», s’est étonné John Wilkinson.
«Il est impératif que l’économie sache prévenir ces risques et s’assurer contre eux. C’est un des défis de l’avenir», a recommandé le chercheur.
Grands plus fragiles
D’une manière générale, les grandes entreprises sont plus fragiles aux attaques de criminalité économique: «Des transactions plus complexes, des systèmes de contrôle plus difficiles à surveiller les rendent plus vulnérables», selon John Wilkinson.
Les malfrats en col blanc ont leurs domaines de prédilection: les services financiers, les assurances, les télécommunications et les médias annoncent davantage de cas que la construction par exemple.
Ces deux dernières années, une banque sur six a découvert un cas de blanchiment d’argent, annonce le rapport.
Bonne surveillance: davantage de cas
«Les chiffres peuvent ici induire en erreur, a mis en garde l’autre auteur de l’étude, Gianfranco Mautone: en Suisse en tout cas, ces domaines ont dû mettre en œuvre des mécanismes de surveillance qui détectent donc davantage de cas que dans les secteurs moins bien surveillés.»
Des raisons semblables expliquent que le blanchiment d’argent est nettement plus dénoncé en Suisse (15% des entreprises) qu’en moyenne mondiale (3%).
«C’est un thème omniprésent sur la place publique helvétique. L’estimation du risque est donc élevée», précise Gianfranco Mautone.
Plus de corruption que prévu
Les chercheurs se sont en revanche dit surpris par les 18% d’entreprises annonçant des cas de corruption (14% en moyenne mondiale). Explication possible, selon les chercheurs: la trop grande proximité entre acheteurs et vendeurs.
Le délit le plus fréquent, en Suisse comme dans le monde, reste cependant l’escroquerie, qui représente 60% de tous les cas. La cybercriminalité arrive en deuxième position avec 20% des cas.
Le piratage et les falsifications sont responsables de 13% des fraudes, les falsifications de bilan de 10%, et l’espionnage industriel intervient dans 8% des affaires annoncées.
Des coûts énormes
Le coût des malversations pèse lourdement sur les budgets des entreprises, quand il est chiffrable, soit dans deux tiers des cas seulement.
PwC a calculé qu’une escroquerie coûtait en moyenne 1,4 million de dollars à l’entreprise qui en est victime, tandis qu’un cas de corruption est estimé en moyenne à 3,8 millions de dollars.
La plupart des sociétés ne recouvrent jamais leurs biens. 9% d’entre elles seulement ont indiqué avoir pu récupérer quelque 80% du dommage.
Importance de l’effet préventif
«Malheureusement, découragés par une démarche longue à l’issue incertaine, les lésés renoncent souvent à lancer des poursuites judicaires. L’effet préventif est nul. Au contraire, les auteurs des délits peuvent même se sentir encouragés», déplore Gianfranco Mautone.
De plus, la criminalité économique a des effets «collatéraux» et influe négativement sur la motivation des employés et sur la réputation de l’entreprise.
Les indications étant fournies par les entreprises elles-mêmes, les deux chercheurs sont convaincus qu’une zone d’ombre cache des pans de criminalité économique. Mais ils estiment qu’il est impossible d’estimer son importance.
swissinfo, Ariane Gigon Bormann, Zurich
– 37% des entreprises du monde entier et 24% des sociétés suisses se disent touchées par la criminalité économique.
– La premier délit en importance est l’escroquerie (60% des cas). Puis viennent, en Suisse, la cybercriminalité (20%), la corruption (18%), le blanchiment d’argent (15%), le piratage et les copies (13%), les falsifications de bilan (10%) et l’espionnage économique (8%).
– Les services financiers sont le secteur le plus visé. Ces deux dernières années, une banque sur six a annoncé un cas de blanchiment d’argent.
– Les délits ont des conséquences financières graves pour les entreprises: un cas coûte en moyenne 2,2 millions de dollars à une entreprise.
– L’étude se base sur 3623 interviews dans 50 pays. En Suisse, 89 sociétés ont répondu.
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