Le rapport Bergier, un an après
Un an après sa publication, le rapport Bergier se heurte à une certaine indifférence.
Le document produit la Commission d’experts Suisse-Seconde Guerre mondiale répondait à de nombreuses questions. Mais il en posait aussi de nouvelles.
«C’est un bon rapport final et un bon rapport initial», commentait à l’époque le professeur Jean-François Bergier, président de la Commission indépendante d’experts Suisse-Seconde Guerre mondiale (CIE).
Mais un an plus tard, ces paroles méritent d’être vérifiées. D’un point de vue historique, le professeur Bergier reste convaincu que le travail de la CIE a ouvert de nouvelles perspectives.
«Nous avons produit un rapport qui répond à de nombreuses questions, mais qui en pose aussi de nouvelles», déclare-t-il.
Intérêt durable de l’opinion publique
Observateur attentif de l’activité de la CIE, Thomas Maissen, professeur d’histoire moderne à l’Université de Lucerne et journaliste à la Neue Luzerner Zeitung, souligne lui aussi l’importance du rapport.
«La vision de l’histoire suisse avait déjà changé à la fin des années 80 et 90, observe-t-il. Mais la CIE a eu le mérite de corriger une vision trop centrée sur la Suisse, que ce soit dans un sens positif ou négatif, et de la recentrer dans un contexte plus large.»
Mais reste à voir comment le rapport a été accueilli hors des milieux académiques. Le professeur Bergier, qui se dit surpris de l’intérêt durable de la presse et de l’opinion publique, avoue par contre une certaine «amertume» vis-à-vis du manque d’enthousiasme du monde politique.
Un débat tronqué
Quand, à la fin 1996, le gouvernement avait décidé la constitution de la CIE, les attentes étaient grandes.
La crise entourant le débat sur les fonds en déshérence et sur les relations entre la Suisse et le Troisième Reich demandait en effet une analyse du passé rigoureuse et sans concessions.
Mais la question a pris une autre tournure moins d’un an plus tard. En effet, en août 1998, un accord global intervenait entre les grandes banques suisses et les organisations juives, accord qui mettait fin aux aspects financiers de la controverse.
Dès lors, l’intérêt du gouvernement et du parlement pour les travaux de la CIE a fortement baissé. C’est seulement suite à des interventions répétées du professeur Bergier, et un an après la dissolution de la commission, que le Conseil fédéral s’est résolu à remercier officiellement les personnalités qui en avaient fait partie.
De son côté, le parlement n’a jamais débattu du rapport. En mai 2002, une motion du groupe parlementaire écologiste qui le demandait a été refusée par la commission juridique du Conseil national.
En fait, seule la réhabilitation de ceux qui avaient aidé des victimes du nazisme à se réfugier en Suisse, votée par le Conseil national en décembre 2002, peut être lue comme une conséquence politique directe du rapport Bergier. Le résultat est donc faible, vu le nombre de questions soulevées par la CIE.
Les tabous de la politique
«La commission a posé des questions de nature essentiellement politique, constate Jean-François Bergier. Mais, derrière elles, se cachent aussi des questions politiques qui, apparemment, représentent encore des tabous pour le monde politique.»
«Je pense par exemple à la signification de la neutralité, une question très actuelle, explique le professeur. Je pense aussi au problème du pouvoir et de la délégation des compétences. Malheureusement, le monde politique réfléchit souvent à court terme», observe encore le professeur.
Jean-François Bergier se dit également surpris par le peu de critiques exprimées par les politiciens: «Nous nous attendions par exemple à une vive opposition de la part des députés de l’Union démocratique du centre (droite dure), mais même eux n’ont pratiquement pas réagi».
«La politique agit selon des mécanismes qui lui sont propres, analyse de son côté Thomas Maissen. Les politiciens ne veulent pas se brûler les doigts avec un thème sensible qui ne leur fera pas gagner de voix.»
Une exposition sauvée de justesse
Le manque d’enthousiasme du gouvernement a aussi eu des répercussions sur l’exposition itinérante réalisée par la CIE et le Käfigturm (le forum politique de la Confédération mis sur pied par la Chancellerie fédérale et les services du parlement).
Après de premières étapes à Berne et à Liestal, l’exposition semblait condamnée à finir au fond d’un entrepôt par manque de moyens financiers.
Ce n’est finalement qu’après de longues hésitations et une question au parlement que le gouvernement s’est résolu à la financer pour deux années supplémentaires.
Actuellement, et jusqu’au 4 mai, cette exposition se trouve au Forum d’histoire suisse de Schwyz, une filiale du Musée national. Suivront d’autres étapes à Zurich, à Schaffhouse et probablement à Coire. Une bonne occasion pour ne pas se soustraire aux nouvelles questions posées par le rapport Bergier.
swissinfo, Andrea Tognina
(traduction: Olivier Pauchard)
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