Le Suisse qui transforme en or les nageurs australiens

Sa méthode est enviée dans le monde entier... L'entraîneur suisse Stephan Widmer transforme les talents des nageurs australiens en or. L'Etat du Queensland lui a renouvelé sa confiance jusqu'en 2012, date des JO de Londres.
Le rendez-vous est donné à la piscine de Brisbane. Sauf que dans cette ville australienne de deux millions d’habitants, il y en a 180… Le temps de trouver la bonne adresse, celle de Chandler, principal lieu de préparation aux compétitions dans l’Etat du Queensland, et la rencontre de 6 heures tombe à l’eau avec le coach saint-gallois Stephan Widmer.
Repêchage au training de 16 heures. C’est sûr, on ne marque pas de points avec ce maître de la discipline, l’un des meilleurs entraîneurs mondiaux de natation. Le stratège sportif a de nouveau reçu le soutien du gouvernement du Queensland, jusqu’en 2012, date des JO de Londres. Son objectif: obtenir la sélection de ses protégés et entraîner l’équipe olympique de natation, pour la troisième fois de sa carrière.
Rencontre autour d’un bassin aussi animé qu’une boîte de nuit avec musiques et clips sur écran géant. Une mère l’attend ici. Avec l’espoir que son fils rejoigne l’escouade… Aujourd’hui, Stephan Widmer fait rêver, mais il n’a pas toujours été sollicité. A l’âge de 29 ans, l’ex-nageur a pris le risque de tout plaquer en Suisse pour se lancer dans un tour du monde des nations de natation. Terminus en Australie, pour y tenter sa chance.
«J’ai d’abord travaillé avec le coach Scott Volkers comme assistant, entre 1997 et 2000, puis je me suis lancé. Quand j’ai commencé, je n’avais pas de ‘nom’, on ne voulait pas me rejoindre», se rappelle le quadragénaire.
«Et puis Libby Trickett (née Lenton, ndlr) est arrivée, suivie de Leisel Jones. Elles ont grandement contribué à ma réputation». Les deux adolescentes, quasiment inconnues sur la scène internationale, ont très vite raflé une série de titres mondiaux et ont remporté chacune dans différentes catégories trois médailles d’or olympiques, à Athènes et à Pékin.
Entraîneur de natation de l’année
Depuis, Stephan Widmer a contribué au rayonnement sportif de l’Australie en lui apportant quatre médailles d’or olympiques, quinze du même métal aux championnats du monde, vingt records mondiaux individuels. La liste est encore longue… Nommé trois années consécutives jusqu’en 2007 «entraîneur de natation de l’année» down under, le binational au palmarès abyssal reste pourtant inconnu du grand public.
Le secret du faiseur de champions australiens? Stephan Widmer privilégie une «approche globale». «Je crée ce que j’appelle une «opportunité d’apprentissage» afin que les athlètes progressent à un rythme assez rapide. Mon programme comprend moins de longueurs par semaine que celui des Américains par exemple, mais il est plus intense et de cette façon, les nageurs s’entraînent dans les conditions très proches de celles d’une compétition. D’un autre côté, je crois à l’approche mentale».
Le micro-management psychologique
Ainsi, lorsque Leisel Jones l’a contacté, il lui a posé deux questions. Si tu pouvais assister à tes propres funérailles, comment voudrais-tu que les gens parlent de toi? Qu’est-ce que tu vois quand tu te regardes dans un miroir? Les réponses de la nageuse représentaient le point de départ de sa préparation.
«Le plus important était de lui donner confiance en elle, de l’aider à trouver son identité», dit Stephan Widmer. Constamment à l’écoute de ses protégés, il fait marcher son intuition. «J’appelle cela le micro-management psychologique. Si je vois dans les yeux d’un athlète que ce n’est pas son jour, est-ce que je dois le laisser entrer dans l’eau ou discuter avec lui pour qu’il prenne les choses différemment, dans l’espoir que son entraînement soit performant?»
L’approche du mentor peut surprendre, comme l’explique l’un de ses quatorze élèves, Christian Sprenger, 23 ans. «Certains nouveaux venus se disputent avec lui au début, mais cela ne dure jamais longtemps. Ils comprennent vite l’intérêt de son enseignement».
Voilà huit ans que le médaillé d’argent à Pékin s’entraîne avec le Suisse, qu’il considère comme le meilleur de ses coaches, «parce qu’il croit en ces trois éléments: la natation, l’éducation et la socialisation.»
L’assistant de Stephan Widmer confirme que cette vision est parfois mal comprise. «Mais il n’a rien d’un dictateur!» Le professeur affiche simplement un sérieux imperturbable, teinté d’une pointe «d’humour à la papa» qui semble parfois… faire plouf, à en croire son groupe d’élèves.
Sa promesse: la douleur
Sa swiss touch? «Le perfectionnisme!», s’exclame aussitôt Melanie Schlanger, médaillée de bronze à Pékin. «Il nous dit de donner 100% de nous-mêmes à chaque fois, et si c’est le cas, il est content».
Cette recherche permanente de l’excellence serait d’ailleurs son seul point faible, de l’avis même de l’intéressé. «Je dois apprendre à ralentir…», avoue-t-il, chrono en main et baskets aux pieds pour suivre le rythme de ses nageurs.
Et puis, «Stevo Widi», comme on le surnomme pour «faire plus Australien», ne leur ment pas. «Ce que je promets chaque jour à mes nageurs, c’est la douleur… C’est vraiment dur pour eux. Selon moi, l’entraîneur doit mettre en place un environnement pour entraîner des êtres humains et non pas des robots».
Le développement sportif et personnel, voilà la clé de la «méthode Widmer». Devenue un modèle à Brisbane, cette stratégie fait des émules jusqu’aux Etats-Unis, au Canada, en Chine, en France, en Italie et même en Suisse.
Songe-t-il d’ailleurs à retourner dans sa patrie d’origine pour la faire émerger? «J’ai essayé pendant trois ans, mais j’ai dépensé trop d’énergie. Les enfants sont plus stressés par l’école qu’en Australie. S’ils s’entraînent trois fois par semaine, c’est déjà trop aux yeux de leurs parents, alors qu’il faudrait suivre dix sessions. La Suisse n’a pas la culture de la natation. Changer les mentalités, convaincre les gens, c’est comme se taper la tête contre un mur», résume l’ex-coach de l’élite du club de natation d’Uster, dans le canton de Zurich.
S’il surfe aujourd’hui sur la vague du succès, le stratège souhaiterait à l’avenir nager dans d’autres eaux. Il pourrait mettre ses compétences au service d’entraîneurs sportifs ou plus largement, de managers dans le monde des affaires. En attendant, l’éducation de son fils de seize mois lui offre un autre challenge.
Sophie Roselli, Brisbane, swissinfo.ch
En 2008, plus de la moitié des médailles olympiques en natation (11 sur 20) ont été remportées par des athlètes de l’Académie du sport du Queensland, auquel Stephan Widmer est rattaché.
Cette fabrique de champions, basée à Brisbane, contribue clairement au rayonnement sportif de l’Etat du Queensland qui a obtenu 65% des médailles dans cette discipline aux derniers JO.
Si cet Etat australien excelle dans ce sport, c’est notamment grâce à trois coaches: Dennis Cottrell, Michael Bohl et Stephan Widmer.
Leisel Jones, quatre fois médaillée aux JO de Pékin:
«Stephan est le seul qui a tout rendu possible, faisant de chaque jour une expérience positive plutôt que de se concentrer sur le négatif.» «The Australian», 22 mars 2006.
Judy Spence, ministre des sports dans l’Etat du Queensland:
«Je suis contente que Stephan ait choisi de rester dans le Queensland et je suis impatiente de voir les résultats qui viendront sûrement de sa nouvelle vision inspirée.» Communiqué de presse du gouvernement du Queensland en juillet 2008.
Etat civil: 42 ans. Double nationalité Suisse et Autralienne. Marié et père d’un fils.
Etudes: Master en science et Bachelor en Education physique à l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich.
Performances comme nageur: Membre de l’équipe nationale suisse de natation de 1983 à 1993. Détenteur de sept records suisses. Finaliste en 1993 au Championnats d’Europe comme membre de l’équipe suisse de relais quatre nages.
Fonctions en Suisse: Responsable des entraînements au Club de natation d’Uster (ZH).
Réalisations en Suisse: Entraîneur de l’équipe suisse aux championnats d’Europe à Vienne en 1995, aux championnats du monde à Rome en 1994. Ses nageurs ont décroché huit records suisses individuels.
Fonctions actuelles: Coach à l’Académie des sports du Queensland.

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