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Les jeunes cyclistes fragiles face au dopage

Une enquête révèle que les jeunes cyclistes comprennent qu'on puisse être amené à faire usage de produits dopants imagepoint

Malgré les scandales des dernières années et des contrôles de plus en plus sévères, les jeunes espoirs du cyclisme suisse sont toujours tentés par le dopage. Et les risques sanitaires ne leur font pas peur, révèle une étude de l'université de Lausanne.

Quelle nouvelle affaire de dopage affectera le monde de la Petite Reine cette année? A l’aube de la saison cycliste 2009, la question est légitime. Depuis 1998, millésime du scandale Festina qui a mis en exergue les pratiques généralisées de prises de produits interdits au sein du peloton, les cas de contrôles positifs ne cessent de défrayer la chronique.

La jeune génération n’est pas épargnée par ces problèmes. Vanessa Lentillon-Kaestner, psychologue du sport, chargée de cours et de recherche à l’Institut des Sciences du Sport et de l’Education Physique (ISSEP) de l’université de Lausanne, a mené l’enquête pour mieux comprendre l’attitude et le positionnement des jeunes espoirs du cyclisme suisse face au dopage.

swissinfo: Pourquoi une telle étude?

Vanessa Lentillon-Kaestner: Il existe de nombreuses enquêtes sur le dopage dans le cyclisme professionnel. Mais aucune ne s’est encore attachée à comprendre ce qui se passait lors du passage du milieu amateur au milieu professionnel.

J’ai réalisé la partie suisse d’une étude comparative entre la Belgique, la France et la Suisse financée par l’Agence mondiale antidopage et dont le rapport final doit être rendu pour septembre 2009. Dans cette optique, j’ai interrogé 8 jeunes cyclistes âgés de moins de 23 ans en attente d’un contrat professionnel ou qui venaient d’intégrer une équipe professionnelle.

swissinfo: A-t-il été facile de faire parler ces jeunes cyclistes?

V.L-K.: Oui, j’ai été assez surprise, aucun n’a refusé de répondre à mes questions. Ils m’ont parlé assez ouvertement des pratiques dopantes des autres cyclistes qu’ils connaissaient, mais moins souvent directement de leurs expériences personnelles.

L’avantage en Suisse, c’est que le milieu du cyclisme est très petit. En leur garantissant un anonymat absolu, j’ai pu recouper les renseignements obtenus et ainsi me faire une bonne idée de ce qu’il se passait dans le milieu.

swissinfo: Vous avez mis en évidence le fait que ces jeunes cyclistes ne sont pas réfractaires à se doper un jour ou l’autre durant leur carrière. Ces résultats vous ont-ils surpris?

V.L-K.: J’ai été étonnée de voir le peu de réticences qu’ils manifestaient à l’égard du dopage. Ils sont très curieux, en parlent entre eux et demandent beaucoup de conseils aux anciens coureurs, qui se sont souvent eux-mêmes dopés par le passé. Pour eux, le dopage est un choix personnel et ils comprennent tout à fait qu’on puisse amener à en faire usage durant sa carrière.

swissinfo: Cette attitude est-elle spécifique aux coureurs suisses?

V.L-K.: En France et en Belgique, le discours des jeunes cyclistes face au dopage est beaucoup plus ferme et négatif. Ceci peut être expliqué par un encadrement insuffisant en Suisse. Les jeunes vont chercher des informations où ils peuvent, sur internet et auprès d’anciens coureurs qui prônent l’usage de produits dopants. La prise de conscience n’a pas encore véritablement eu lieu dans le microcosme du cyclisme suisse.

swissinfo: Les risques sanitaires ne freinent-ils pas les ardeurs de certains cyclistes?

V.L-K : Non, aucun des jeunes cyclistes ne m’a dit que le dopage était dangereux pour la santé. L’un d’eux m’a même affirmé que c’était plus risqué de ne rien prendre que d’utiliser des produits dopants. Le problème, c’est que la prévention est quasi inexistante en Suisse. Ils n’ont pas conscience des risques sanitaires encourus.

swissinfo: Ne vaudrait-il pas mieux libéraliser le dopage au lieu de vivre dans un environnement hypocrite?

V.L-K : Je suis totalement opposée à une libéralisation du dopage et les jeunes cyclistes aussi. Sans législation, il n’y aurait plus de limites et cela conduirait assurément à des drames. Actuellement, les contrôles rendent les coureurs prudents. Le fait que les produits soient interdits en rend par ailleurs l’accès plus compliqué.

swissinfo: La situation est-elle identique en matière de dopage dans les autres sports?

V.L-K. : Dans le milieu du cyclisme, il existe clairement une culture du dopage. Mais les autres sports ne sont pas épargnés. Dans d’autres sports, il y a bien moins de transparence et certaines fédérations cachent souvent leurs affaires de dopage. Le cyclisme est donc très certainement surreprésentée de manière négative dans les médias.

swissinfo: Et qu’en est-il du sport amateur?

Nous avons une autre étude en cours mandatée par l’Office fédéral de la santé publique. Nous avons interrogé 1810 sportifs amateurs âgés de 16 à 22 ans. Les premières analyses montrent que se sont les sports de duels qui sont le plus touchés. Le judo arrive en tête (6,7% des sportifs) devant la boxe. Suivent les sports de plein air, comme le ski, le snowboard ou l’escalade, puis les sports collectifs (football, hockey)

Le cyclisme arrive seulement en 14e position. Dans le cyclisme amateur, les premières expériences de dopage sont souvent liés à l’utilisation abusive de cortisone prescrite dans le cadre des autorisations d’usage à des fins thérapeutiques, les fameuses AUT.

Interview swissinfo: Samuel Jaberg

Contexte. L’article Conduites dopantes chez les jeunes cyclistes du milieu amateur au milieu professionnel a été publié dans la revue Psychotropes 2008/1. La psychologue du sport Vanessa Lentillon-Kaestner s’est occupée de la partie suisse d’une enquête comparative mandatée par l’Agence Mondiale antidopage (AMA) et dont le rapport final doit être remis au mois de septembre 2009.

Conclusion. Les jeunes cyclistes suisses sont pour la plupart tentés par le dopage et ne sont pas contre le fait de prendre un jour des produits dopants, mais uniquement lorsqu’ils seront devenus professionnels, conclut l’étude. La santé n’est pas un frein au dopage et les jeunes sont prêts à se doper si c’est le moyen de faire carrière dans le cyclisme.

Solution. Vanessa Lentillon-Kaestner prône la mise en place d’actions de prévention sur les risques sanitaires liés au dopage. L’entourage des cyclistes devrait également être davantage sensibilisé.

Extraits des entretiens menés par Vanessa Lentillon-Kaestner

«Tenté, disons curieux d’essayer. Mais jamais vraiment sur le point de le faire. Il y a toujours une curiosité de se demander si c’est vraiment efficace».

«Par exemple, à un moment, moi j’ai hésité quand même à le faire. Je commençais à avoir de bons résultats, j’étais bien, mais je sentais qu’il me manquait toujours 10 ou 5% par rapport aux autres pour gagner la course ou bien pour être au moins dans les dix premiers».

«Pour l’instant, je sais que je n’ai jamais rien pris, mais je ne dis pas que je ne prendrai rien quand je passerai professionnel».

«Parfois, je me dis que c’est peut-être mieux pour ma santé de prendre certaines choses que de ne pas en prendre. Parce qu’après le Tour X, je suis allé faire mon taux d’hématocrite. Normalement, j’ai 47, 46 tout le temps. J’avais 34, 35, j’était cramé, j’étais mort».

«Si tu avais été dans une équipe dans laquelle le médecin t’avait proposé des produits dopants, où d’autres coureurs se dopaient, est-ce que tu l’aurais fait? Oui, je pense».

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