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Les ONG suisses espèrent l’ouverture des archives

La plainte sud-africaine est soutenue en Suisse par plusieurs organisations partenaires de «Jubilee 2000».

Leur espoir: l’action en justice pourrait obliger les entreprises suisses à ouvrir leurs archives, ce que le Parlement a jusqu’ici refusé.

Pour de nombreuses organisations d’aide à l’Afrique du Sud, le dépôt de la plainte par Michael Hausfeld marque une étape importante.

«L’avocat Ed Fagan avait déjà marqué un grand coup en juin en déposant une première plainte, explique Urs Sekinger, un des coordinateurs suisses du dossier. Mais il l’avait fait sans consulter personne.»

Collaboration

«Michael Hausfeld a au contraire recherché la collaboration la plus vaste possible. Mais ce qui est important, c’est que la plainte émane des victimes elles-mêmes. Les avocats ne doivent être vus que comme des intermédiaires.»

Ethnologue de formation, Urs Sekinger est membre de Solifonds, une des organisations partenaires en Suisse de la «Campagne pour l’annulation des dettes et les réparations en Afrique du Sud», appelée plus sobrement «Jubilee 2000».

Créé en 1983, Solifonds, de son nom complet «Fonds de solidarité pour les luttes de libération sociale dans le tiers monde» est basé à Zurich et soutenu notamment par l’Union syndicale suisse et le Parti socialiste.

Les autres acteurs du mouvement sont l’«Action place financière suisse», à Bâle, et diverses œuvres d’entraide religieuses.

Egalement impliqué, le «Groupe de recherche Suisse-Afrique du Sud», instauré par Solifonds en 2000, se veut un organe d’enquête historique indépendant. Quelques études ont déjà été publiées, sur la politique étrangère de la Suisse pendant l’apartheid par exemple.

Refus parlementaire

Principale difficulté pour ces organisations: les archives des entreprises ayant travaillé en Afrique du Sud pendant l’apartheid ne sont pas accessibles.

«Nous avons créé le Groupe de recherche après le refus du Parlement, en 1999, d’instaurer une commission d’enquête indépendante, réclamée par une initiative parlementaire de Pia Hollenstein (Verts/SG)», rappelle Urs Sekinger.

Selon lui, le lancement d’un programme national de recherche (PNR 42+) ne compense que partiellement ce rejet, puisque les archives restent inaccessibles.

Vu de Suisse, l’enjeu de l’action en justice réside précisément dans l’accès aux archives. «Si les plaintes sont jugées recevables, les entreprises devront ouvrir leurs dossiers. C’est notre seul espoir, car les chances de la deuxième initiative Hollenstein, déjà rejetée en commission, sont minces.»

Quant à une possible responsabilité des autorités, le coordinateur de Solifonds ne croit pas en la possibilité d’une action judiciaire.

«Il faudrait pouvoir établir des chaînes causales. Mais sans documents, c’est impossible. De plus, on sait que l’ancien chef des Services de renseignements, Peter Regli, a eu le temps de nettoyer son bureau avant de quitter ses fonctions. Il est à peu près sûr qu’il a détruit des documents importants.»

Appel au Conseil fédéral

Dans un communiqué, les partenaires suisses de Jubilee 2000 demandent au Conseil fédéral «de ne pas défendre les intérêts particuliers des banques et des entreprises confrontées à la plainte en réparation. Ce serait une répétition honteuse de l’attitude déjà adoptée pendant l’apartheid.»

Pour les ONG suisses, l’action en justice découle du refus répété des représentants de l’économie de s’asseoir autour d’une table pour discuter.

«Nous n’avons pas exploré la voie judiciaire dès le début, dit Urs Sekinger. Mais nous avons toujours pensé que ce serait inéluctable, si les victimes ne pouvaient pas faire valoir leurs droits.»

En Afrique du Sud non plus, note l’ethnologue, les victimes n’ont pas été dédommagées. C’est pourquoi une plainte a été déposée contre le gouvernement sud-africain.

Urs Sekinger tient aussi à préciser qu’il ne s’agit pas de réclamer des millions de francs pour quelques individus en particulier.

«Les violations des droits de l’homme n’étaient pas des faits isolés, mais étaient érigées en système étatique. Les entreprises suisses ayant collaboré avec cet Etat ont contribué, même indirectement, aux torts commis. Il faut qu’il y ait réparation.»

Guerre froide

La Suisse a-t-elle eu une attitude particulièrement problématique avec le régime de l’apartheid, par rapport à d’autres Etats occidentaux?

«Non. Il ne faut pas oublier que la première banque citée dans la plainte d’Ed Fagan n’est pas suisse, mais américaine, puisque c’est City Bank», rappelle Urs Sekinger.

«Les liens privilégiés, de même que l’attitude du gouvernement, s’explique par une volonté d’avoir en Afrique un contre-poids à Moscou pendant la guerre froide, mais aussi, sûrement, par un certain racisme.»

swissinfo/Ariane Gigon Bormann

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