Les rescapés suisses du «Samedi noir» australien
Trois semaines après le début des incendies qui ont coûté la vie à 210 personnes, le sud-est de l'Australie brûle toujours. L'alerte est même maximale depuis lundi soir. Des Suisses ont survécu aux premiers brasiers et racontent leur «Black Saturday».
«J’ai tout perdu: ma maison, ma voiture, vingt-cinq ans de ma vie ici… Heureusement, mon chien adoré est toujours en vie. C’est ce qui m’importe le plus.» La vie Marianne Glauser, 55 ans, a basculé le samedi 7 février.
Ce jour-là l’Australie a connu les pires incendies de son histoire. La catastrophe a été la plus meurtrière depuis cent dix ans. Les autorités avaient prévenu la population, mais personne ne s’attendait à une propagation si rapide.
Cachés au sous-sol
«J’étais chez moi lorsque j’ai vu une épaisse fumée noire par la fenêtre, raconte la Suissesse d’Aarau. Je suis vite sortie chercher mon chien. Les arbres du jardin étaient en train de brûler. C’était effrayant, mais je n’ai pas vraiment eu le temps d’avoir peur. J’ai couru me réfugier chez une amie. Nous avons passé la nuit dans le sous-sol de sa maison.»
Depuis trois semaines, Marianne vit dans l’un de ses deux cottages de vacances, un business qu’elle venait à peine de créer. Son village, situé à plus de 80 km de Melbourne, est en ruine.
«Une maison sur deux a brûlé. Tout est ravagé comme si une bombe avait explosé. Il n’y a toujours pas d’électricité, pas d’eau courante, les routes sont coupées.» Depuis trois semaines, la population est ravitaillée par hélicoptère. L’avenir de Marianne? Elle n’en sait rien. «Aucun touriste ne reviendra avant longtemps dans ce secteur.»
Bassines et serpillières
Si Marianne Glauser est la plus touchée parmi les dizaines de personnes contactées par le consulat, deux autres Suisses ont, eux, risqué leur vie pour protéger leurs biens. En moins d’une heure, le Neuchâtelois François Rossel et sa femme Anna ont vu leur propriété de 14 hectares cernée par un brasier. Les flammes ont rampé lentement sur une large ceinture d’herbe sèche autour de leur villa.
Les retraités se sont alors acharnés à créer une zone tampon humide. Sans eau courante à ce moment-là, ils ont eu recours au système D. «Heureusement, nous avions rempli la baignoire d’eau froide quelques jours plutôt, pour avoir plus de fraîcheur. J’ai fait des allers-retours avec des bassines pour jeter de l’eau sur l’herbe. J’ai aussi utilisé la serpillière.
Pendant ce temps, ma femme battait les flammes avec un râteau. Tous d’eux ont lutté pendant près de dix heures. «On n’a pas eu le temps d’avoir peur!» A 75 ans, François en a vu d’autres. Il a survécu à une attaque cardiaque il y a quatre ans, provoquée à la suite d’un incendie. Contrairement à leurs voisins, le couple n’a pas fui.
Fuir peut être mortel
«J’étais mieux ici, à défendre ma maison», justifie François. Le solide septuagénaire n’est pas fou. En Australie, on conseille aux habitants de rester chez eux pour mieux défendre leur demeure, à condition de disposer d’un système de protection efficace, comme un toit en tôle, une source d’eau, du gravier entourant la maison. Essayer de fuir à la dernière minute peut même s’avérer mortel, en raison de l’intensité de la chaleur.
Trois semaines après cet enfer, le couple vit au paradis, sur une île verte au milieu d’un océan de cendres. Leurs seuls visiteurs: une vingtaine de kangourous affamés qui broutent le peu d’herbe du jardin. «Bien sûr, nous sommes des survivants!», sourit l’homme à l’humour sans faille. Mais il y a une chose qu’il supporte mal désormais: «le bruit des 747 qui passent au-dessus de ma tête me rappelle celui du feu».
A nouveau l’alerte maximale
Les deux retraités suisses vivent à Taggerty, un village qui ne figure pas sur toutes les cartes. Pour s’y rendre, il faut traverser la vallée de Yarra – une destination touristique et viticole jusqu’à il y a quelques semaines – rouler à travers des forêts calcinées, contourner les routes barrées, avant d’arriver, après un détour de 80 km, au pied d’une colline. Ici, une dizaine de propriétés s’étalent sur une vingtaine de kilomètres carrés.
Comme des milliers d’Australiens, le couple Rossel a choisi de vivre dans une zone à risque. L’attrait des grands espaces est plus fort que tout. Et ce n’est pas le Suisse alémanique Urs Biedermann, officier de communication dans une brigade du feu d’une vallée située au nord de Melbourne, qui critiquera cet état d’esprit.
S’il est devenu pompier bénévole, c’est aussi pour défendre ses biens. Le sexagénaire a vécu la tragédie du 7 février au cœur du dispositif de secours.
«La population avait été avertie, les services du feu étaient prêts. Des moyens supplémentaires n’y auraient rien changé. L’ampleur des incendies était imprévisible et exceptionnelle.»
Depuis trois semaines, les feux n’ont jamais cessé. L’alerte est même de nouveau maximale aujourd’hui et demain, en raison de vents de plus de 100 km/h. Ces conditions dangereuses ont empêché plusieurs centaines de pompiers de lutter contre certains foyers. «C’est la guerre. Nous livrons une nouvelle bataille.»
swissinfo, Sophie Roselli, Melbourne
Les incendies ont déjà détruit 400’000 hectares de forêt dans l’Etat de Victoria, soit 10% de la superficie de la Suisse (les cantons de Vaud et de Neuchâtel).
100’000 habitants de 78 localités ont été touchés depuis le 7 février, selon les Autorités du feu de l’Etat de Victoria, et 7000 ont perdu leur maison.
Près de 4000 pompiers australiens, renforcés par des Néo-Zélandais, des Américains et des Canadiens, ont lutté contre 1500 feux.
Les dégâts sont estimés à 2 milliards de dollars.
La Croix-Rouge australienne a déjà reçu 210 millions de dollars, un montant qui dépasse celui destiné aux victimes du Tsunami en 2004.
Au total, 22’511 Suisses (en majorité bi-nationaux) résident en Australie, selon le Consulat général de Suisse à Sydney.
L’Etat de Victoria compte 5389 Suisses, soit la deuxième population d’expatriés avec le Queensland, derrière la Nouvelle Galles du Sud (Sydney) qui arrive en tête.
En contact: Plusieurs dizaines de Suisses résidant dans les zones affectées ont été contactées depuis trois semaines par le Consulat général de Sydney et la Consule honoraire de Melbourne.
La «Swiss society of Victoria» dispose de fonds d’urgence destinés aux Suisses en détresse. Les montants alloués varient en fonction des situations. Pour le moment, Berne n’a pas débloqué de fonds, aucune demande d’Australie n’ayant été formulée.
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