Les vols de renvoi de Nigérians à nouveau critiqués
Des incidents ont récemment émaillé un vol de renvoi de demandeurs d’asile nigérians. Raison pour laquelle les autorités souhaitent pouvoir recommencer à ligoter complètement les expulsés. Des accompagnants devraient suivre ces vols dès l’automne.
Les expulsions forcées de requérants d’asile déboutés suscitent la controverse depuis plusieurs années en Suisse.
En 1989, Khaled Abuzarifa, un Palestinien de 27 ans, était mort dans un ascenseur de l’aéroport de Zurich-Kloten, par étouffement, sur le trajet qui l’amenait vers l’avion. Il s’était débattu et les policiers qui l’accompagnaient l’avaient attaché sur une chaise roulante.
En 2001, le Nigérian Samson Chukwu est mort en Valais après une immobilisation de force, par des hommes d’une unité anti-terroriste, dans sa cellule. Le rapport d’enquête a conclu à une mort par asphyxie posturale.
Le dernier cas est celui d’un autre Nigérian, Joseph N. Chiakwa, en mars 2010. Il est mort sur le tarmac de l’aéroport de Kloten alors que des policiers l’emmenaient, ligoté, vers l’avion qui devait le ramener dans son pays d’origine. L’Office fédéral des migrations (ODM) avait ensuite suspendu les renvois vers le Nigéria.
Bagarres
Le 7 juillet dernier, les vols dits «spéciaux» ont repris vers le Nigéria. Entretemps, la Suisse a adopté un accord avec le pays africain, accord stipulant que les personnes expulsées peuvent être entravées aux mains et aux pieds uniquement.
Mais le vol du mois de juillet ne s’est pas déroulé comme prévu. Deux hommes refusèrent de monter dans l’avion. Les policiers les ont alors stoppés en les frappant. Les deux «révoltés» n’ont finalement pas été expulsés.
La Suisse a repris contact avec le Nigéria, indique l’ODM. Les deux pays se sont mis d’accord sur le possible emploi de mesures plus dures envers les expulsés qui résistent.
Il est question de reprendre les expulsions appelées de niveau 4: les détenus doivent mettre un casque et une protection devant la bouche, ils sont ligotés aux mains, aux bras, sur la poitrine, aux jambes et aux pieds, puis emmenés sur une chaise roulante dans l’avion.
Pour de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme, cette méthode peut être qualifiée de torture. L’ODM indique que le niveau 4 ne doit pas être utilisée systématiquement.
«Nous n’avons pas encore utilisé le niveau 4 pour le renvoi de Nigérians», indique Michael Glauser, porte-parole de l’ODM, à swissinfo.ch «Il y a des renvois, mais nous essayons bien sûr de tout faire pour utiliser le moins de mesures coercitives possible. Jusqu’ici, cela n’a pas été nécessaire.»
Mesures plus dures
La Fédération suisse des fonctionnaires de police (FSFP) a écrit à l’ODM pour exiger des mesures coercitives plus sévères lors des expulsions. Inquiète pour «l’intégrité physique des policiers», selon la lettre citée par Le Temps du 5 août, l’association demande à pouvoir recourir à l’utilisation de médicaments.
La FSFP voudrait aussi pouvoir utiliser des menottes en métal, au lieu de celles en plastique en vigueur actuellement. Elle en avait déjà fait la demande début 2010 dans une lettre aux directeurs cantonaux de justice et police.
Rien n’a changé et la situation est «inacceptable», critique la FSFP.
Dans une réponse adressée le 10 août à l’association des policiers, et que swissinfo s’est procurée, le directeur de l’ODM Alard du Bois-Reymond écrit avoir «de la compréhension pour les revendications concernant la sécurité des policiers qui accompagnent les renvois forcés dans des vols spéciaux.» Et il précise que la compétence pour juger de la justesse des mesures coercitives employées et de leur proportionnalité est aux mains des cantons.»
Le porte-parole Michael Glauser précise que la réintroduction du niveau 4 n’est pas une conséquence de la critique policière. «Non, on ne peut pas le dire ainsi. Mais il reste clair que les deux Nigérians qui n’ont pas été expulsés le 7 juillet en raison de l’incident finiront par être renvoyés.»
«Nous devons d’une part assurer la sécurité des policiers, poursuit Michael Glauser, et, d’autre part, ces détenus parfois très récalcitrants doivent être renvoyés. Dans les cas exceptionnels, la possibilité de mesures coercitives plus dures que le niveau 2 doit être donnée.»
Des observateurs des Eglises protestantes
La Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS) est chargée d’observer le déroulement des vols de renvois, dans un premier temps pour une phase pilote de six mois. En octobre 2010, la Croix-Rouge suisse avait refusé de le faire.
L’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) et Amnesty International Suisse demandent des accompagnants neutres dans les avions assurant les vols de renvoi depuis plusieurs années.
«Nous n’avons encore suivi aucun vol, indique Simon Weber, porte-parole de la FEPS. Nous sommes en train de mettre en place un organe spécialisé et de recruter des observateurs, puis de les former. Les premiers accompagnements se feront en automne.»
Quant aux accompagnants, il s’agira de «personnalités, parmi lesquelles des professeurs de droit, d’anciens conseillers d’Etat, soit des gens qui savent de quoi il retourne», précise le porte-parole.
La Confédération demande aux accompagnants de ne rien communiquer de leurs observations. La FEPS se retrouve-t-elle les mains liées?
«Non, je ne crois pas, répond Simon Weber. Il s’agit d’assurer que ces vols se déroulent correctement et on ne peut pas faire une conférence de presse après chaque renvoi. Nous devons donc travailler soigneusement sur les conséquences de nos observations et sur les recommandations que nous en tirerons, avec les accompagnants et avec notre futur organe spécialisé.»
Le porte-parole peut comprendre que certaines organisations de défense des droits de l’homme décrivent le niveau 4 comme «relevant pratiquement de la torture.» «Nous nous demandons aussi, bien sûr, si ce type d’attaches sur tout le corps est proportionnel au but à atteindre et si cela est compatible avec les droits de l’homme. Nous voulons voir pour juger. C’est aussi pour cela que l’UE a adopté des lignes directrices.»
La FEPS ne se voit pas comme un instrument de la Confédération pour cautionner une pratique inhumaine. «Nous sommes connus en tant que partenaire transparent et critique. C’est précisément notre indépendance et l’accord de confidentialité qui nous permettront de dire notre avis en toute liberté à l’ODM», assure Simon Weber.
Critiques de l’UE
En novembre 2010, l’Union européenne a critiqué le fait que la Suisse ne mette en place des observateurs neutres dans les avions spéciaux qu’à partir de l’été 2011. Selon les lignes directives du traité de Schengen / Dublin, que la Suisse a signé, les Etats-membres devaient le réaliser en janvier 2011.
Un report de la mise en place de ces accompagnants pourrait motiver Bruxelles à lancer une procédure de violation de contrat, indiquait l’Union européenne. L’ODM n’a pas connaissance d’une telle procédure. «Nous travaillons à ces accompagnements en préparant la phase pilote», répond Michael Glauser.
Le retard s’explique, poursuit le porte-parole de l’ODM. «Il ne faut pas oublier que, dans un système fédéraliste comme celui de la Suisse, il est souvent difficile de trouver un consensus. De nombreux partenaires sont impliqués. Ces négociations ont pris du temps.»
En 2010, près de 2000 Nigérians ont déposé une demande d’asile en Suisse. 700 ont été renvoyés dans un autre pays de l’espace Schengen où ils avaient déjà fait une première demande.
165 d’entre eux sont rentrés volontairement dans leur pays et 121 ont été raccompagnés de force.
Les Nigérians n’ayant contracté aucune dette en Suisse et n’ayant pas été placés en détention en vue d’un renvoi peuvent escompter
une aide financière
allant jusqu’à 6000 francs. La Confédération la leur octroie au titre d’aide à recommencer une nouvelle vie dans leur pays
Quelque 25’000 réfugiés officiellement reconnus comme tels vivent en Suisse.
23’000 personnes sont admises provisoirement
En 2010, 15’567 réfugiés ont déposé une demande d’asile, soit 2,7% que l’année précédente. La majorité des requêtes émanent de ressortissants du Nigéria, Erythrée, du Sri Lanka et de la Serbie.
Les autorités de migration ont traité l’an dernier plus de 20’000 dossiers pendant, mais près de 9000 demandes sont toujours en attente.
Près d’un cinquième de toutes les demandes est accepté, un quart débouche sur un statut provisoire. Près de la moitié sont rejetées.
De janvier à mai 2011, 8120 personnes ont demandé l’asile en Suisse, dont 2254 en mai, soit 51% de plus qu’en avril. Elles émanaient avant tout de ressortissants érythréens (1645), suivis par les Tunisiens (758).
Le nombre de demandes est actuellement presque aussi élevé qu’en 1999, pendant la guerre des Balkans et celle du Sri Lanka.
Traduction de l’allemand: Ariane Gigon
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