«Nous n’abandonnons pas le Liban»
Ambassadeur de Suisse en République libanaise depuis le mois de mars, François Barras fait le point sur le conflit au Liban avec swissinfo.
Selon le diplomate helvétique basé à Beyrouth, ce conflit ravage un pays à forte valeur symbolique, où les différentes communautés religieuses coexistent en bonne intelligence.
swissinfo: Les derniers citoyens suisses ont été évacués du Liban il y a deux jours. Quel bilan tirez-vous de ces évacuations ?
François Barras: Ce n’étaient pas des opérations d’évacuation mais plutôt de rapatriement des Suisses souhaitant quitter le pays. Il reste en effet pas mal de compatriotes ici. Du reste, nous avons fêté le 1eraoût, mardi dernier. J’ai invité 120 compatriotes.
swissinfo: Quels sont les principaux problèmes auxquels vous avez dû faire face et comment les avez-vous résolus ?
F. B.: Tout d’abord, nous avons eu beaucoup d’appels téléphoniques. Il a aussi fallu appeler les immatriculés. Nous avons dû organiser un système pour gérer cette situation avec des volontaires. Cela ne s’est pas trop mal passé.
Mais, le contact permanent avec les immatriculés, surtout du Sud-Liban, a été difficile. Certains d’entre eux étaient même isolés pendant quelques temps.
swissinfo: Maintenant que les citoyens suisses sont partis, quelle est votre priorité en tant qu’ambassadeur de Suisse à Beyrouth ?
F. B.: Nous sommes entrés dans une deuxième phase, celle de l’aide humanitaire. Une équipe de médecins, de spécialistes en eau et en logistique est sur le terrain depuis une dizaine de jours et travaille avec les autorités libanaises.
Ils ont notamment construit un camp pour des déplacés. On estime entre 700’000 et un million, le nombre de personnes déplacées. Tout le sud du pays a été vidé de ses habitants. Ils ont afflué sur le centre et le nord.
Notre message à travers cette aide humanitaire est: «nous n’abandonnons pas le Liban. Nous sommes avec vous dans ces moments difficiles».
swissinfo: Comment la Suisse se positionne-t-elle sur le terrain au niveau diplomatique et politique ?
F.B.: Nous avons un rôle particulier en tant que gardiens des Conventions de Genève. La Suisse est là pour dénoncer leurs violations. Je précise que cela n’a rien à voir avec la neutralité helvétique: c’est la défense d’un principe.
Nous avons aussi la chance d’avoir des contacts avec les différentes parties en conflit et nous sommes à leur disposition.
swissinfo: Vous qui êtes sur place, comment estimez-vous la situation actuelle ?
F.B: Durant les quinze premiers jours de la crise nous n’avons pas eu le temps de penser à ce qui se passait. Nous avons dû nous occuper des rapatriements et nous avons travaillé presque jour et nuit. Désormais, nous prenons peu à peu conscience de ce que le Liban est en train de vivre et c’est une véritable tragédie.
Il y a à peine trois semaines, c’était l’été et la période des festivals allait commencer avec la 50ème édition du Festival de Baalbeck. J’éprouve une très grande compassion pour les Libanais qui voient leurs efforts pour reconstruire ce pays une nouvelle fois anéantis après presque vingt ans de guerre civile et le récent assassinat de Rafic Hariri.
Les infrastructures sont détruites, c’est comme une malédiction et ça fait très mal car le pays du Cèdre à des valeurs très positives. Ce pays a une valeur de message dans cette partie du monde. Il y a 18 communautés qui coexistent, c’est une démocratie, c’est un pays qui voulait repartir et on lui assène un coup presque fatal.
swissinfo: mais quel est le quotidien de la population au niveau sécurité, accès à l’eau potable, à l’électricité, à la nourriture et aux médicaments ?
F.B.: Les situations sont très différentes en fonction des régions où vous vivez. A Beyrouth, les magasins sont encore approvisionnés mais il y a de longues files d’attente devant les stations d’essence car tout le monde a peur de manquer de pétrole à l’avenir. Le Liban est isolé par le blocus aérien et maritime et désormais ce sont les principales voies d’accès sur le terrain qui sont coupées.
swissinfo: Vous êtes en place au Liban depuis mars 2006, j’imagine que vous ne vous attendiez pas à cela ?
F.B.: Non effectivement. Je connais assez bien le Moyen-Orient, que j’aime beaucoup. Je savais les tensions et les dangers. Mais j’arrivais dans un pays qui était en train de relever la tête et qui essayait de faire cohabiter les communautés différentes dans une région du monde marquée par les extrémismes.
J’étais aussi en train de préparer le salon du livre qui devrait avoir lieu en octobre et où j’avais invité de nombreux professionnels du livre suisses. J’espère que celui-ci aura lieu car le message aujourd’hui est de dire au Liban que l’on ne l’abandonne pas.
Interview swissinfo, Mathias Froidevaux
– Depuis le début du conflit entre Israël et le Hezbollah, le 12 juillet, la Suisse a débloqué 5,2 millions de francs en faveur du CICR, envoyé 800 kg de médicaments et 7 tonnes de marchandises.
– Plus de 920 citoyens suisses ont été évacués du Liban. Quinze Suisses ont encore quitté le pays mercredi, lors de la dernière opération d’évacuation.
– L’aviation israélienne a bombardé vendredi quatre ponts sur la voie littorale rapide entre Beyrouth et le nord du pays, essentiels au trafic entre le Liban et la Syrie.
Né en 1952 à Sierre, dans le canton du Valais, il est licencié en droit de l’Université de Genève et docteur en anthropologie de l’Université de Londres.
Il est entré au service du Département fédéral (Ministère) des affaires étrangères en 1986.
En 1989, il devient responsable des affaires culturelles à Washington puis premier collaborateur du chef de Mission à Mexico. En 1999, il est nommé ambassadeur aux Emirats Arabes Unis.
Il devient ensuite Consul général de Suisse (avec le titre d’ambassadeur) à Hong Kong et Macao. Depuis le mois de mars 2006, il est ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire de Suisse en République libanaise.
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