Pédocriminalité: une Marche Blanche contre l’innommable
Même lorsqu'ils ne font pas les gros titres de l'actualité, les délits sexuels contre les enfants continuent de briser chaque jour de nouvelles vies. Samedi, la Suisse a connu sa première Marche Blanche. 5000 personnes sont descendues dans les rues de huit villes du pays, pour proposer au monde politique huit mesures de lutte.
«L’enfance est un territoire intouchable. Qui le viole doit être exclu de la société des hommes, car celui qui détruit un enfant détruit l’humanité toute entière». Placée en exergue sur le site internet de l’association Marche Blanche Suisse, cette citation de l’humoriste français Michel Leeb donne le ton de la manifestation.
«On ne doit plus parler de pédophilie, ces horreurs n’ont rien à voir avec l’amour des enfants. Pour nous, il s’agit de pédocriminalité», précise Christine Bussat, présidente de Marche Blanche Suisse. Créée par des parents, cette nouvelle association se donne pour but de lutter contre les crimes sexuels commis sur des enfants, «par toutes actions citoyennes licites et toutes initiatives politiques pertinentes».
Pour cette première manifestation nationale, Marche Blanche s’est assuré le soutien de huit villes suisses, soit Bâle, Bellinzone, Delémont, Fribourg, Genève, Lausanne, Sion et Zurich. En tout quelques 5000 personnes sont descendues dans les rues. Un début modeste, mais tout de même satisfaisant pour les organisateurs.
Des mesures vigoureuses
Pour Marche Blanche, la Suisse doit «en pionnier mondial si nécessaire» reconnaître les crimes sexuels contre les enfants comme crimes contre l’humanité et exclure toute possibilité de prescription. L’association demande également la reconnaissance d’une sorte de statut de crime national, dont les auteurs seraient jugés exclusivement par le Tribunal fédéral.
Marche Blanche demande également un durcissement des peines prononcées contre les pédocriminels, l’obligation pour les institutions travaillant avec les enfants d’exiger de leurs collaborateurs un extrait de casier judiciaire, ainsi que davantage de moyens pour l’aide aux victimes et la prévention.
L’association veut aussi des études statistiques nationales réactualisées en permanence sur l’étendue du fléau. «On ne s’en rend pas assez compte, mais la pédocriminalité coûte très cher à la société, rappelle Christine Bussat. On sait par exemple que 80 à 85% des prostituées toxicomanes sont des femmes qui ont été abusées dans leur enfance. Ces victimes engendrent des coûts énormes pour les services sociaux ou l’Assurance invalidité, sans parler de l’alcoolisme, des suicides et des autres dégâts».
Traque sur internet
Marche Blanche s’insurge également de la disparition de la cellule de traque des sites pédophiles sur internet, qui, jusqu’à fin 99, employait deux policiers fédéraux à temps partiel (!) – alors que le seul Land allemand de Bavière, par exemple, en a 30 à plein temps.
A l’Office fédéral de la police, on explique que sa renaissance – avec des effectifs renforcées – est programmée, mais encore conditionnée à la question du financement.
Dans ce domaine, les interventions parlementaires n’ont pas manqué ces dernières années. Il y a trois semaines, la ministre de la justice Ruth Metzler a proposé de rejeter la motion de la conseillère nationale Regine Aeppli-Wartmann, qui demandait de renforcer les compétences de la Confédération dans la traque des pédophiles sur la toile.
Argument avancé: la police fédérale n’a que des compétences d’analyse et de coordination. Les enquêtes et les arrestations sont du ressort des cantons. Le Conseil national a néanmoins accepté la motion Aeppli, mais les Etats doivent encore se prononcer.
La motionnaire reste relativement optimiste. Dans un premier temps, la police fédérale va mieux coordonner les actions des cantons, pour éviter les situations absurdes qui voient parfois trois enquêtes ouvertes sur la même affaire par trois polices cantonales dont chacune ignore ce que font les deux autres.
«A terme, je pense que nous serons entendus, espère Regine Aeppli-Wartmann. Je sens une réelle volonté politique du Parlement de s’emparer de ce problème, mais pour l’heure, c’est l’administration qui freine».
Les artistes se mobilisent
En attendant, les Suisses ont pu se mobiliser pour cette première Marche Blanche, dont l’association compte bien faire un rendez-vous annuel, à chaque fois un peu plus important.
Les artistes, eux, l’ont déjà fait. A l’occasion de cette première manifestation sort un CD de 14 titres, où Michel Bühler, Jacky Lagger, Daniela Simmons et quelques autres chantent le message fondamental de cette action: le respect des enfants.
Marc-André Miserez
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