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Perinçek: un verdict et ses réactions

Perinçek est prêt à recourir jusqu'à Strasbourg. Keystone

La condamnation de Dogu Perinçek est saluée en Suisse, où certains s'interrogent pourtant sur la norme antiraciste. En Turquie, par contre, c'est la déception, voire la colère.

Perinçek a écopé vendredi à Lausanne de 90 jours-amende (à 100 francs par jour) avec sursis pendant deux ans et à une amende de 3000 francs pour négation du génocide arménien.

Vendredi, le ministère turc des affaires étrangères a dit «regretter» le verdict prononcé par la justice suisse contre Dogu Perinçek. Ankara espère que la procédure en appel (le condamné est prêt aller jusqu’à la Cour européenne de Strasbourg) permettra de réparer une «injustice».

Perinçek, qui avait été traité de «négationniste» en Suisse, «était déjà condamné avant même le procès», a indiqué le ministère, selon la chaîne de télévision CNN-Türk.

Pour les autorités turques, les médias suisses ont rendu compte de manière partiale dans cette affaire, en affichant un parti-pris contre l’accusé.

«Plein de haine»

Le verdict de vendredi a pris une place importante dans les médias turcs. Les chaînes d’information ont fait défiler une bande annonçant la sentence durant leurs programmes.

«Dans la personne de Perinçek, c’est la nation turque qui est punie. Par un tribunal plein de haine» écrit le quotidien de droite Yeni Cag.

Pour le journal nationaliste Gözcü, ce jugement traduit bien la «tartuferie» des Européens, «qui se gargarisent de liberté d’expression, mais qui condamnent les expression dissidentes».

Plus modéré, le quotidien bourgeois Hürriyet se borne à rapporter les propos incendiaires de Perinçek lui-même à sa sortie du tribunal, mais rappelle toute de même que ce procès a ouvert un débat en Suisse sur la norme antiraciste.

Protection de la mémoire

En Suisse, le quotidien Le Temps se demande si le travail des juges est de faire de l’histoire. Pour l’éditorialiste, le jugement de Lausanne ne va pas jusque là, il étend simplement «aux Arméniens la protection de la mémoire déjà reconnue aux victimes de la Shoah».

Mais le journal romand rappelle que «l’opportunité d’ancrer cette protection dans la loi pénale est contestée», et même «au-delà des cercles révisionnistes». D’où le danger de faire de l’histoire «non un questionnement, mais une affirmation».

Pour la Berner Zeitung, ce jugement n’est rien moins que «juste. Le massacre des Arméniens était un génocide, on en a suffisamment de preuves historiques et celui qui le nie ici doit être puni».

La Basler Zeitung, quant à elle, a interrogé quelques Turcs de Suisse, imprégnés des deux cultures. La plupart se désintéressent de cette affaire, mais ceux qui ont souhaité s’exprimer admettent qu’un tel jugement est nécessaire pour que l’on parle du génocide.

Ils regrettent toutefois une certaine agressivité dans la manière dont la Suisse s’intéresse au passé de la Turquie.

Blocher: no comment

De son côté, le ministre suisse de Justice et Police Christoph Blocher n’a fait aucun commentaire sur la condamnation de Dogu Perinçek. «C’est une décision de la justice», a-t-il déclaré vendredi devant les médias à Berne.

Le ministre UDC (droite nationaliste) n’avait pourtant pas manqué lors d’une récente visite en Turquie de dire combien la norme pénale antiraciste, lui faisait «mal au ventre». Et peu avant le procès, il avait rencontré à Berne son homologue turc Cemil Cicek.

Le procès n’était pas «un thème officiel» lors de cette rencontre, a assuré Christoph Blocher. Le réexamen de la norme antiraciste, que le ministre avait lancé après son voyage à Ankara, est en cours et des propositions seront faites au gouvernement ce semestre encore, a-t-il précisé.

Selon Christoph Blocher, les relations entre la Suisse et la Turquie, qui se sont améliorées et qu’il qualifie de stables, ne sont pas directement menacées par l’issue de ce procès. Et de rappeler que Perinçek ne fait pas partie des milieux proches du gouvernement turc, «au contraire».

L’Europe n’a pas attendu la Suisse

La condamnation de Dogu Perinçek est une première mondiale mais elle n’aura pas d’impact particulier à l’étranger, estime quant à lui Marcel Niggli, professeur de droit pénal à l’Université de Fribourg.

«Sur les 18 pays européens qui punissent le négationnisme, une dizaine d’entre eux appliquent cette condamnation à tous les génocides», explique le professeur, citant les cas de la France, de l’Espagne, du Portugal et de la Slovénie.

Les autres nations européennes ne sanctionnent que la négation de l’Holocauste. Certains pays de l’Est condamnent également la négation de crimes des régimes communistes.

Mais Bruxelles n’a pas attendu le procès Perinçek pour tenter d’unifier la pratique en la matière. «L’Union européenne est en train de préparer une disposition qui obligera ses pays membres à condamner pénalement la négation de tous les types de génocides», indique Marcel Niggli.

swissinfo et les agences

Dogu Perincek, président du petit Parti des travailleurs turc (moins de 1% des voix aux dernières élections), répondait d’atteinte à la norme pénale antiraciste. En été 2005, il avait prononcé des discours dans les cantons de Vaud, Zurich et Berne sur la question arménienne et déclaré que le génocide arménien de 1915 était un «mensonge international».

En Suisse, la Chambre basse du Parlement ainsi que les parlements genevois et vaudois ont reconnu le génocide arménien, ce qui a provoqué des tensions diplomatiques entre la Suisse et la Turquie.

La norme pénale antiraciste a été approuvée à 54,7% des voix lors d’une votation populaire en 1994.

Depuis le 1er janvier 1995, l’article 261bis CP interdit la discrimination et l’atteinte à la dignité d’une personne ou d’un groupe de personnes en raison de leur appartenance raciale, ethnique ou religieuse. L’article rend notamment punissable le négationnisme.

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