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Pourquoi la chirurgie demeure la chasse gardée des hommes

Le personnel d'un bloc operatoire, procedent a une transplantation apres avoir fait un prelevement sur un donneur vivant d'un rein, dans un bloc operatoire des Hopitaux Universitaires de Geneve (HUG).
Keystone / Martial Trezzini

En Suisse, de nombreuses disciplines chirurgicales restent essentiellement masculines. Face au sexisme ambiant, aux conditions de travail et aux difficultés de concilier vie privée et vie professionnelle, les femmes choisissent encore peu cette voie.

La part des femmes médecins en Suisse est en constante augmentation. Elles sont même largement majoritaires dans certaines disciplines comme la gynécologie, la pédiatrie ou la pédopsychiatrie. La chirurgie, elle, reste à la traîne en matière d’égalité.

Alors que les femmes représentaient à peine 11,2% des médecins en exercice en 1960, ce pourcentage n’a cessé de grimper pour atteindre 46,6% en 2023, selon les données fournies par la Fédération des médecins suisses (FMH). Il y a fort à parier que la courbe poursuive cette croissance. En effet, depuis le début des années 2000, les étudiantes sont plus nombreuses que les étudiants à sortir des facultés de médecine en Suisse.

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La chirurgie résiste à cette arrivée massive de femmes. Parmi les chirurgiens en exercice, seules 23% sont des femmes et les chiffres varient énormément d’une spécialité chirurgicale à une autre. Il n’y a par exemple que 9,2% de femmes en chirurgie orale et maxillo-faciale.

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Un «effet boys club»

Selon Emma*, étudiante en 6e année de médecine à l’Université de Genève interrogée lundi dans La Matinale, le milieu chirurgical s’avère plus laxiste que d’autres services face au sexisme et aux comportements inappropriés: «En pédiatrie par exemple, les blagues sexistes sont très mal vues, alors qu’en chirurgie, il y a une forme de laisser passer.» Pour Emma, un «effet boys club», l’entre-soi masculin, entretient cette culture permissive.

«Ne pas choisir chirurgie, c’est un cadeau que je me fais.»

Marion*, étudiante en 6e année de médecine à l’UNIGE

Marion, une de ses camarades,abonde en son sens: «Il y a plein de remarques sexistes ou des blagues lourdes de la part des collègues masculins et de la hiérarchie. Je me dis vraiment que ne pas choisir chirurgie, c’est un cadeau que je me fais.»

Il n’existe pas de collecte de données qui documente le phénomène. Toutefois, «les éléments à disposition indiquent qu’il y aurait effectivement plus de plaintes dans certaines spécialités, mais ceci doit toujours être interprété avec précaution, tout en contextualisant», affirme Angèle Gayet-Ageron, professeure associée à la faculté de médecine de l’Université de Genève. «Nous pouvons imaginer qu’il y a plus de faits de harcèlement sexuel dans des milieux plus confinés», ajoute celle qui est aussi co-présidente du groupe facultaire «Médecine, genre et équité».

Le professeur Frédéric Triponez, chef du département de chirurgie des HUG, tire la même conclusion: «En chirurgie, il y a encore plus d’hommes que de femmes, donc il y a probablement encore un peu plus de comportements inappropriés qu’ailleurs.» Mais il l’assure: «Ces comportements ne sont ni tolérés, ni tolérables.» D’après lui, la situation est tout de même meilleure qu’il y a quelques années, comme l’attestent les évaluations que les stagiaires remplissent après chaque stage passé dans ses services, qui relèvent moins de cas.

Des motivations différentes pour les hommes et les femmes

Le sexisme ambiant peut donc expliquer en partie pourquoi les femmes choisissent peu la chirurgie, mais une enquête Lien externemenée en 2019 auprès d’étudiantes et d’étudiants des universités de Genève, Lausanne, Berne et Zurich a mis au jour d’autres raisons. Les hommes et les femmes se basent sur des critères différents pour choisir leur spécialisation. Les femmes sont notamment davantage attirées par la relation médecin-patient, l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et la pluridisciplinarité.

«Je ne retrouve pas le côté humain en chirurgie. J’ai l’impression qu’on répare les patients plus qu’on ne les soigne», affirme Lisa*, étudiante en 6e année à l’Université de Genève, au micro de la RTS. «Ce qui me plaît dans le rôle de médecin, c’est d’accompagner les patients, créer une relation avec eux.»

Les hommes, quant à eux, accordent plus d’importance au développement de carrière, à la compétitivité, à la sécurité financière ou encore à la recherche.

La chirurgie serait-elle donc une spécialité genrée? Frédéric Triponez ne prétend pas le contraire: «La plupart des femmes ont envie de faire des choses plus fines que couper de l’os. Et puis il y a des domaines plus difficiles physiquement, qui les attirent donc moins, comme la chirurgie orthopédique par exemple», affirme-t-il. Les données à disposition confirment le tableau dépeint.

Le plafond de verre

Mais les raisons avancées n’expliquent qu’en partie la faible proportion de femmes dans certains services. Plus l’on monte dans la hiérarchie, moins les femmes sont présentes, et cela quelle que soit la discipline médicale (voir graphique ci-dessous). Parmi toutes les disciplines confondues, les femmes ne représentent que 18% des médecins chefs. Alors que la psychiatrie en compte 44%, il n’y en a que 4,7% en chirurgie.

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Ce manque de représentation féminine aux plus hauts postes a beaucoup interpellé Marion, étudiante en 6e année de médecine, lorsqu’elle a réfléchi à la spécialisation à choisir: «En chirurgie, nous n’avons pas assez de modèles féminins. A qui peut-on s’identifier? Qui peut nous dire que cette carrière est compatible avec une maternité par exemple? Ou comment réagir face au harcèlement?»

Barbara Wildhaber est cheffe du département de chirurgie pédiatrique des HUG, la discipline chirurgicale qui a la proportion de femmes la plus élevée en Suisse (45%). Elle souligne elle aussi l’importance des modèles féminins et se félicite de pouvoir en être un pour son équipe: «Le fait qu’il y ait des chirurgiennes donne envie à d’autres femmes de le devenir et leur prouve qu’il est possible de faire ce métier.»

La difficulté de concilier vie privée et vie professionnelle

L’envie de fonder une famille peut encore constituer un obstacle dans une carrière de chirurgienne. C’est en tout cas ce que ressent Sara*. Il y a deux ans, dans un hôpital romand, son supérieur l’avait mise en garde: «Il m’a dit qu’il était hors de question que je tombe enceinte.»

«J’aurais choisi une autre discipline si j’avais su tout ce qu’elle impliquait au niveau personnel.»

Sara*, chirurgienne orthopédique dans un hôpital romand

Elle considère que la chirurgie n’est pas adaptée aux femmes et à un projet d’enfant: «Il faut beaucoup opérer pour se faire la main. Tomber enceinte, cela équivaut à ne pas opérer durant plusieurs mois et cela fait peur. Deux de mes connaissances ont arrêté en milieu de parcours, estimant qu’elles n’arriveraient jamais à avoir des enfants. Quant à moi, je me suis parfois dit que j’aurais choisi une autre discipline si j’avais su tout ce que la chirurgie impliquait au niveau personnel.»

La professeure Barbara Wildhaber, elle, l’assure: «C’est possible d’être à la fois mère et chirurgienne et je le rends possible pour mes collègues. J’ai plusieurs femmes dans mon équipe et elles sont nombreuses à avoir des enfants.» Elle admet toutefois être consciente que tous les services ne bénéficient pas de telles conditions: «Il faut que le patron ou la patronne s’adapte aux femmes et rende possible le fait de concilier vie professionnelle et vie de famille. La crainte liée au fait de s’absenter plusieurs mois pour un congé maternité vient de l’environnement que nous créons.»

En faire plus que les hommes

Et quand les femmes choisissent la voie chirurgicale, doivent-elles prouver et travailler plus que leurs collègues masculins? «En 2024, malgré toute ma positivité, je ne peux toujours pas dire qu’une femme doit juste faire le travail comme un homme», ajoute-t-elle. La faute notamment aux préjugés qui pèsent encore sur elles: les menstruations, la maternité et une vie de famille.

Devoir en faire plus que les hommes, Marion, étudiante en dernière année de médecine, l’a remarqué en stage dans un service de chirurgie: «Une des cheffes de clinique, dans une spécialité très masculine, avait une attitude beaucoup plus dure, plus violente, comme si face à ses collègues hommes, elle devait encore plus prouver qu’elle avait aussi sa place. Être témoin de ça ne m’a pas du tout donné envie de faire chirurgie. Devoir sans cesse prouver que l’on a sa place doit être épuisant au quotidien.»

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Les femmes sont très présentes dans les disciplines médicales les moins bien payées. Selon l’OFS, le salaire moyen en psychiatrie (68,4% de femmes) s’élevait à 137’317 francs en 2021 et à 108’635 francs en pédopsychiatrie (66,9% de femmes). La gynécologie-obstétrique (69,6% de femmes) fait exception, avec un revenu moyen de 248’275 francs en 2021. En chirurgie orthopédique, qui compte seulement 12,7% de femmes, le salaire moyen s’est élevé à 364’028 francs cette même année.

Selon plusieurs études, les femmes s’avèrent moins payées que leurs collègues masculins, quelles que soient les disciplines médicales. Plusieurs raisons peuvent expliquer cela. Selon une étude parue en 2021, à productivité égale, les femmes sont moins souvent et moins rapidement promues que les hommes. En outre, elles reçoivent de moins bonnes évaluations de la part de leurs supérieurs. De plus, des études menées sur plusieurs spécialités dans d’autres pays montrent que les femmes choisissent et facturent des procédures moins chères que les hommes et se retrouvent donc moins rémunérées.

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