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Pourquoi les enfants ont disparu des rues de nos villes

Des enfants marchent dans la rue
Un urbanisme pensé en priorité pour les voitures a contribué au retrait des enfants de la ville. Keystone / Salvatore Di Nolfi

Les enfants ont progressivement disparu des espaces urbains ces dernières décennies. Une tendance qui s’observe dans de nombreux pays et qui pose certains problèmes. Plusieurs villes à travers le monde, dont Bâle en Suisse, ont ainsi mis en place des projets pour repenser l'espace public à hauteur d’enfant.

Au-delà des cours de récréation, il est de plus en plus rare de croiser des enfants en train de jouer dans la rue ou de se rendre à l’école à pied de manière autonome.

On parle parfois aussi de «génération banquette arrière», en référence à ces enfants qui voient la ville à travers la vitre des voitures. Sans parler des lieux ou événements «no kids» – cafés, hôtels ou mariages – où ils ne sont officiellement plus les bienvenus.

Mobilité et numérisation

«Sur la fin du 20e siècle et le début du 21e siècle, un processus de longue durée de retrait des enfants des espaces publics s’est poursuivi», confirme le sociologue Clément Rivière, auteur du livre «Leurs enfants dans la ville» (Presses universitaires de Lyon, 2021), dans l’émission «Tout un monde» de la RTS.Lien externe

Les causes de ce désinvestissement sont multiples. La voiture est très souvent citée: les villes ont été progressivement façonnées de manière à permettre à un maximum de véhicules de circuler aux heures de pointe. Et dans cette optique, les piétons, en particulier les personnes à mobilité réduite et les enfants, n’ont pas la priorité.

La numérisation est aussi évoquée. Les réseaux sociaux permettent de communiquer et de se retrouver entre amis sans se déplacer, tandis qu’avec l’essor du jeu vidéo, par exemple, les loisirs à domicile ont gagné en diversité. Les différents services disponibles en ligne augmentent aussi la tendance à rester à la maison.

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Une aversion accrue aux risques

La société a aussi une sensibilité plus grande aux risques encourus par les enfants. «C’est quelque chose qui s’est beaucoup renforcé en Europe, notamment suite à l’affaire Dutroux en Belgique dans les années 1990, souligne Clément Rivière. Ça a créé une très forte visibilité sociale de cette figure du pédophile et une crainte très vive (…) que les enfants fassent une mauvaise rencontre dans les espaces publics.»

De manière générale, les enfants ont été «de plus en plus perçus comme des êtres vulnérables» au cours du 20e siècle, précise Clément Rivière. Les normes de parentalité ont évolué. Le sociologue dit avoir échangé avec des parents qui se souvenaient avoir traversé seuls des grandes villes dans leur enfance, mais qui n’envisageraient pas de laisser leurs enfants en faire de même. «Le regard social sur ces pratiques, par les autres parents, l’institution scolaire ou les discours publics, a évolué vers une sensibilité beaucoup plus forte aux risques.»

Mais selon lui, cette dynamique est problématique, notamment parce qu’elle retarde le moment où les jeunes deviennent autonomes en ville. «Ça veut dire que leur rayon de mobilité a diminué, tout comme le temps qu’ils passent en autonomie dans les espaces publics», explique-t-il.

Cette évolution n’est pas une fatalité. Différentes communes dans le monde ont mis en place ces dernières années des projets pour «rendre la ville aux enfants» et proposer un espace public inclusif, pensé par eux et pour eux, et adapté à la réalité des pays concernés, à l’image du projet «Les yeux à 1m20Lien externe» lancé à Bâle en 2019.

En Suisse, Bâle a lancé en 2019 «Les yeux à 1m20Lien externe», un projet d’adaptation du mobilier urbain et des panneaux à la taille des enfants. Il s’agit aussi de réécrire avec eux les règlements d’immeubles, en prenant en compte leurs suggestions.

La ville de Fano, en Italie, propose quant à elle des commerces-relais marqués d’un logo où l’enfant sait qu’il peut demander de l’aide et se sentir accueilli en sécurité. «Il y a une pastille repérable par les enfants où ils savent que s’ils veulent demander leur chemin ou aller aux toilettes, ces commerçants s’engagent à les aider», explique Sylvain Wagnon, professeur en sciences de l’éducation à l’Université de Montpellier.

En Espagne, la ville de Barcelone a créé dans certaines rues des îlots verts, semi-piétons, que les habitants peuvent investir à leur manière. Les activités y seront donc différentes dans un quartier avec beaucoup d’enfants ou à l’inverse une zone plutôt peuplée de personnes âgées.

Créativité et sentiment d’aventure

Une ville plus adaptée aux enfants, ce sont aussi des lieux polymorphes dont les usages ne sont pas dictés par les urbanistes ou les autorités. 

L’architecte parisienne Madeleine Masse, qui travaille sur ces enjeux d’inclusion, explique que certaines choses reviennent souvent dans les entretiens qu’elle mène avec des enfants: «Ils parlent de couleurs, de végétation, de petit talus… Le fait qu’il y ait du relief, qu’ils puissent monter sur des promontoires, se cacher derrière un arbre, mais aussi bouger du mobilier, transformer l’environnement, dessiner des choses. (…) Le paysage de la ville est très minéral et n’offre pas vraiment ces espaces de liberté ou d’aménagements.»

Une fillette joue sur une place de jeux
Les aires de jeux en ville ne permettent pas réellement aux enfants de s’approprier l’espace urbain, estime l’architecte parisienne Madeleine Masse. Keystone / Petra Orosz

Selon elle, les aires de jeux urbaines ne répondent pas à ces attentes. «Cela reste des espaces clos dans lesquels les enfants sont amenés et surveillés par des adultes, et des espaces limités et hyper codifiés», où les enfants ne souhaitent pas forcément spontanément se rendre, dit-elle.

«Ce qu’ils demandent surtout, c’est de se sentir un peu autonome, de pouvoir se rendre à un endroit seul, ou en tout cas d’avoir l’impression de le faire seul. Ce sentiment d’aventure et de fierté est vachement important», explique Madeleine Masse.

Un enjeu très politique

Selon les spécialistes, penser la ville pour les enfants est un investissement qui nourrit un cercle vertueux, car en tant que citoyens de demain, ils prendront davantage soin de leur ville s’ils ont pu l’investir à leur goût. Et cela pose aussi une question très politique, rappelle Clément Rivière: celle de la rencontre, de la mixité sociale et du vivre-ensemble.

Et le sociologue de poursuivre: «C’est dans l’espace public que l’on rencontre l’autre, en termes de religion, de couleur de peau ou de classe sociale. Et si on est de plus en plus chez soi et de moins en moins exposé aussi à cette diversité, avec le temps, cela peut poser un problème démocratique.»

Cela s’inscrit aussi dans un contexte plus large d’inclusion de différents groupes sociaux, historiquement moins dominants, dans la ville. Et de repenser l’espace public comme un refuge climatique pour la population, en particulier celles et ceux qui vivent dans de petits appartements.

Sujet radio: Isabelle Cornaz (RTS) Adaptation web: Pierrik Jordan (RTS)/dbu

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