Pourquoi une Suisse réputée libérale réprouve la «capsule à suicide» Sarco
Les concepteurs de Sarco ont la ferme intention d’utiliser leur capsule d’aide au suicide en Suisse. Ils doivent toutefois faire face à des vents contraires, entre report de la première utilisation et scepticisme des autorités cantonales ainsi que des autres organisations d'aide au suicide. Explications.
Un intérêt médiatique rare. Durant tout juillet ou presque, les médias suisses se sont épanchés sur la capsule d’aide au suicide Sarco. À l’étranger, nombre de leurs homologues ont suivi le filon. Sur le terrain, après la menace d’une action pénale brandie par le canton de Schaffhouse, le Valais a fait une croix sur Sarco.
Sarco est le petit nom d’une capsule habitable, imprimée en 3D, qu’on jurerait tout droit sortie d’un roman de science-fiction. Par simple impulsion sur un bouton, elle donne la mort en quelques minutes. Paisiblement ou en éprouvant une légère euphorie, explique son concepteur. Connue aussi comme la «Tesla de l’euthanasie», Sarco existe depuis cinq ans déjà. Mais jamais encore elle n’a été utilisée.
Une conférence de presse et beaucoup d’interrogations
Cela pourrait changer. En pleine controverse, ses concepteurs ont tenu une conférence de presse à Zurich. Objectif avoué: corriger «les informations erronées qui circulent».
La présentation de Sarco à Zurich relatée par le téléjournal de la RTS du 17 juillet 2024:
L’occasion aussi d’annoncer la création d’une nouvelle organisation basée en Suisse: The Last Resort. Un organisme chargé de l’utilisation de la capsule en question. Plusieurs cantons avaient été contactés dans cette perspective.
Comme dans d’autres domaines, les cantons disposent en matière de santé de compétences étendues à la faveur du système fédéral. Mais leur souveraineté n’est pas limpide dans le cas précis.
Report de la première utilisation
Une Américaine avait été sélectionnée pour être la première personne à utiliser la capsule le 17 juillet dernier. Toutefois, dix jours plus tard, Exit International et The Last Resort ont annoncé dans une déclaration commune le report de la mort de cette personne, motivé par «des inquiétudes croissantes quant à la détérioration de sa santé mentale, notamment à la lumière des informations virales diffusées par les médias sur Sarco en Suisse».
Deux jours plus tard, les deux organisations ont annoncé que la femme était décédée dans une clinique en Suisse à la suite d’un suicide. Les organisations ont expliqué que la femme avait disparu après s’être vue refuser l’accès à Sarco et qu’elle s’était adressée à Pegasos, une organisation suisse d’aide au suicide.
L’organisation n’a pas donné davantage d’information sur une prochaine utilisation possible. «Il est tout à fait possible que d’ici quelques semaines ou quelques mois, quelqu’un utilise effectivement l’appareil», avait cependant indiqué Florian Willet, co-président de The Last Resort, lors de la conférence de presse de mi-juillet.
Un concepteur en retrait
Sarco est le résultat d’une collaboration entre le médecin et militant pour l’euthanasie australien Philip Nitschke et l’ingénieur hollandais Alex Bannink. En 1997, le premier a fondé en Australie l’organisation d’euthanasie volontaire Exit International – laquelle n’a pas de lien avec Exit en Suisse. Sa compagne Fiona Stewart participe elle aussi aux activités d’Exit International.
Techniquement, Sarco donne la mort par hypoxie à l’azote. Après réponses fournies à une série de questions au sein même de la capsule, l’utilisateur ou l’utilisatrice déclenche la libération d’un vaste volume d’azote qui fait chuter le taux d’oxygène de 21% à 0,05% en moins de trente secondes.
Selon Philip Nitschke, la personne perd conscience après deux respirations et meurt sans souffrance en cinq minutes. Le taux d’oxygène dans la capsule et la fréquence cardiaque de l’individu sont vérifiés à distance, a-t-il précisé à Zurich devant les médias. Une conférence de presse où, fait notable, l’Australien connu pour ses déclarations souvent sujettes à controverse n’est apparu qu’en toute fin.
Une mort presque gratuite
Lancé en 2012, son projet Sarco aurait englouti plus de 600’000 francs. L’impression 3D d’une capsule reviendrait à 15’000 francs. Le but étant qu’elle soit accessible à toutes et tous (indépendamment de la richesse), son utilisation est gratuite, selon Fiona Stewart. L’achat de l’azote cependant, dix-huit francs environ, est à charge de la personne qui l’utilise.
Les fonctionnalités techniques de ladite capsule ont fait l’objet de tests réitérés, comme l’an dernier à Rotterdam, aux Pays-Bas, indique The Last Resort.
Les personnes de plus de cinquante ans qui font preuve de clarté de jugement doivent pouvoir recourir à Sarco, selon l’organisation. C’est aussi le cas des plus jeunes, atteintes de maladie incurables. Au contraire des organisations helvétiques, aucune affiliation n’est facturée.
Une Suisse supposée libérale
Le militant australien n’a pas choisi la Suisse par hasard. En comparaison internationale, le régime juridique helvétique est libéral. Selon le code pénal, aider une personne à mourir n’y est pas punissable en l’absence de motif égoïste.
La FMH, association faîtière des sociétés médicales suisses, a élaboré un code d’éthique concernant l’assistance au suicide. Il prévoit qu’une personne en santé ne doit pas être aidée à mourir et qu’un médecin est censé mener deux entretiens dans la perspective d’une assistance. Un code toutefois qui n’a juridiquement rien de contraignant.
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En conférence de presse, le co-président Florian Willet a confirmé que «la Suisse est le meilleur endroit pour l’utilisation de Sarco, sachant que le pays dispose d’un système juridique libéral». Chez The Last Resort, on ne cache pas sa confiance. Sacro devrait pouvoir être utilisée en toute légalité d’ici peu.
Selon l’organisation, la capsule souscrit aux trois conditions qui déterminent une euthanasie légale. À savoir qu’utilisateurs et utilisatrices appuient eux-mêmes sur le bouton, qu’ils et elles doivent faire preuve d’une bonne capacité de jugement et que l’organisation ne le fait pas pour des motifs égoïstes.
«Nous avons obtenus de nombreux conseils juridiques de différents spécialistes ces deux dernières années, assure Fiona Stewart. De notre point de vue, aucun obstacle juridique ne s’oppose à l’utilisation de Sarco.
Ces centre viennent en aide 24h/24 aux personnes qui vivent un crise suicidaire et à leur entourage:
En Suisse
Conseil téléphonique de La Main Tendue: téléphone 143
Conseil téléphonique de Pro Juventute (pour les enfants et les adolescents): téléphone 147
Autres contacts et informations: www.parler-peut-sauver.chLien externe
En France
Écoute professionnelle et confidentielle: téléphone 3114
Une zone grise légale
En Valais, le médecin cantonal a estimé l’inverse en se référant à Swissmedic, l’institut chargé de surveiller le marché des produits thérapeutiques, qui n’a pas délivré d’autorisation pour la capsule.
Mais l’institut en question ne s’estime pas compétent en l’état puisqu’il n’assimile pas Sarco à un dispositif médical. «Nous sommes arrivés à la conclusion que la finalité d’une capsule de suicide ne correspond à aucun objectif médical spécifique que prévoirait la loi. Provoquer la mort n’est ni un traitement ni une manière de soulager de la maladie, de blessures ou d’un handicap», précise pour swissinfo.ch le porte-parole de Swissmedic, Lukas Jaggi.
Précédemment, le ministère public du canton de Schaffhouse avait pour sa part brandi la menace de poursuites pénales, pointant notamment les insuffisances en matière d’informations entourant la capsule.
Réplique de Fiona Stewart? «En cas de divergences d’opinions légales, les tribunaux trancheront.»
Inquiétude des organisations
Pour leur part, les organisations helvétiques d’assistance au suicide reconnues rejettent toutes la capsule. Elles reprochent à The Last Resort d’écarter les médecins du processus de suicide assisté.
Recourir à Sarco nécessite une expertise psychiatrique venant confirmer la capacité de discernement. Au-delà, aucune intervention du corps médical n’est prévue par ses exploitants. En Suisse, l’azote n’est pas délivré sur ordonnance et s’obtient en vente libre.
Selon le droit suisse, l’assistance au suicide est légale si la personne dispose de sa capacité de discernement, si elle exprime un désir persistant de mourir et si elle se suicide elle-même. Les organisations suisses d’aide au suicide posent les conditions additionnelles suivantes. La personne:
– souffre de douleurs intolérables et incoercibles ou/et
– souffre d’une maladie aboutissant à la mort ou/et
– souffre d’un handicap intolérable.
A l’inverse, le modèle helvétique d’assistance au suicide, pratiqué depuis le début des années 1980, prévoit bien l’implication d’un médecin. Il en va de même dans d’autres pays autorisant l’euthanasie. Les Pays-Bas par exemple.
Cela s’explique puisqu’en Suisse, on recourt au pentobarbital de sodium comme médicament donnant la mort. Sa prescription est possible sur seule décision médicale. Raison pour laquelle l’assistance au suicide y repose sur des conditions impérieuses comme celle de «souffrir d’une maladie incurable». La mort assistée n’intervient qu’après entretien avec le médecin et à condition que ce dernier donne son aval.
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Selon Dignitas, l’assistance médicale professionnelle au suicide est assumée par un personnel qualifié. Active dans le domaine, cette association précise à swissinfo.ch que chaque suicide assisté est scruté par les autorités (ministère public, police et autorités médicales).
«Compte tenu de cette pratique juridiquement sûre, établie et éprouvée, nous n’imaginons pas qu’une capsule technologique conçue pour une fin de vie autonome puisse s’attirer une large acceptance et/ou de l’intérêt en Suisse», estime Dignitas.
Médecin et présidente de l’organisation bâloise Lifecircle, Erika Preisig ajoute que l’implication du professionnel de santé offre un filtrage qui permet d’éviter les suicides inutiles.
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«Je ne veux tuer personne»
«Je crains que les gens ne soient accompagnés vers la mort de manière peu scrupuleuse, insuffisamment informés sur les alternatives au suicide et sans mûre réflexion quant à leur souhait», précise-t-elle.
Qui plus est, Sacro est décrite comme «inhumaine» par les associations suisses. Elles notent que la personne est condamnée à mourir séparée de ses proches, «seule» dans une capsule fermée.
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Dans une prise de position, Exit, la doyenne et plus importante association suisse d’assistance au suicide assure que ses membres et leurs proches apprécient de «ne pas être séparés les uns des autres au moment de la mort, mais de pouvoir le cas échéant se toucher et se tenir pendant les dernières minutes». La capsule, qui ne le permet pas, est contraire à ses principes, précise Exit.
Une crainte se fait jour aussi: Sarco pourrait menacer le régime libéral d’assistance au suicide à la sauce helvétique. Ou du moins enclencher un mouvement de régulation. «J’en viens à penser que toute organisation d’accompagnement au suicide devrait obtenir une licence pour être active en Suisse», confie Erika Preisig. Ce qui éviterait peut-être de revivre les affres de ce mois de juillet.
Texte relu et vérifié par Marc Leutenegger, traduit de l’allemand par Pierre-François Besson
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