Procès de passeurs suspectés de liens avec Al-Qaïda
C'est la première fois qu'un procès portant sur le soutien d'activités terroristes liées à la mouvance Al Qaïda a lieu en Suisse. Cela dès ce lundi, et exceptionnellement, à Lugano.
Dans cette affaire, le Ministère public de la Confédération est sous pression: des critiques ont déjà été formulées quant à la minceur des preuves…
Ce sont 7 personnes (d’origine yéménite, irakienne ou somalienne) qui comparaissent devant le Tribunal pénal fédéral. Ils répondront principalement de participation à une organisation criminelle. Une organisation montée par l’accusé principal, un Yéménite de 59 ans, suspecté de soutien à Al Qaïda ainsi qu’un autre accusé.
Selon l’acte d’accusation du Ministère public de la Confédération, l’accusé principal (domicilié depuis plusieurs années dans la région biennoise) aurait tenté de fournir de faux papiers à Abdullah el Rimi, un terroriste impliqué dans l’attentat commis en octobre 2000 contre le navire de guerre américain USS Cole, ainsi que dans ceux qui avaient touché la capitale saoudienne, Riyad, en 2003.
Outre ses liens supposés avec la nébuleuse Al Qaïda, le quinquagénaire est suspecté d’avoir, seul puis avec l’aide de ses coaccusés, mis sur pied une organisation de passeurs qui a permis à des dizaines de Yéménites, à des Irakiens ou à des Somaliens de venir en Suisse entre 1998 et 2004.
En amont, la filière bénéficiait de la collaboration de fonctionnaires locaux corrompus qui auraient délivré d’authentiques visas de manière indue. L’ancien consul honoraire de Suisse à Sanaa est suspecté d’avoir touché des pots-de-vin.
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Ministère public de la Confédération
Longue liste d’accusations
Pour ses services, l’organisation demandait jusqu’à 4000 dollars aux immigrés, parvenant ainsi à se constituer un important pactole. Arrivés en Suisse, ces derniers étaient privés de leurs véritables documents yéménites et devenaient dépendants de l’organisation criminelle.
Domicilié dans la banlieue lausannoise, l’un des accusés, un ressortissant somalien de 51 ans, s’occupait d’établir de faux documents, tels des permis de conduire ou des certificats de naissance, permettant aux Yéménites de déposer une demande d’asile en se faisant passer pour des Somaliens.
La liste des délits présumés est longue. L’acte d’accusation du Procureur général suppléant Claude Nicati retient principalement la participation et le soutien à une organisation criminelle, notamment pour les membres du réseau suspectés de liens avec Al Qaïda.
D’autres infractions s’y ajoutent, telles que la corruption d’agents publics suisses et étrangers, les faux dans les titres et les certificats ainsi que des violations de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers.
Sous pression
Pour le Tribunal pénal fédéral, il s’agit donc là d’un premier procès en liaison avec la nébuleuse Al Qaïda. Après quelques échecs et la démission du Procureur de la Confédération Valentin Roschacher, la pression est forte, et cela d’autant plus que les frais de ce procès sont évalués à plus d’un million de francs.
Par ailleurs, des critiques de plus en plus fortes se sont élevées quant au peu de fiabilité des preuves dont l’essentiel, selon certains avocats, se limite à quelques SMS et autres coups de téléphone. Les milieux politiques craignent un nouveau flop du Ministère public de la Confédération..
A noter également que le Procureur général suppléant Claude Nicati, en charge de l’affaire, a déjà subi un désaveu avant même le début du procès. Selon la Sonntagszeitung, la Cour a rejeté deux experts qu’il avait cités, un policier belge et un détective privé, jugeant qu’ils ne pouvaient contribuer en rien à l’éclaircissement de l’affaire.
Lugano plutôt que Bellinzone
Tous les accusés sont pour l’heure en liberté. On ignore donc s’ils se présenteront tous à leur procès. Celui-ci durera en principe 5 jours, et se tiendra non pas au siège du Tribunal pénal fédéral, à Bellinzone, mais dans la grande salle du Tribunal cantonal tessinois, à Lugano, cela pour des raisons de sécurité et d’espace.
Le procès sera présidé par le juge Bernard Bertossa, l’ancien procureur général du canton de Genève.
swissinfo, Gerhard Lob à Bellinzone
(Traduction et adaptation de l’allemand: Bernard Léchot)
7 accusés, âgés de 24 à 59 ans (5 Yéménites, 1 Irakien, 1 Somalien).
L’acte d’accusation comporte 17 pages contre l’accusé principal, A.A.Y.
4000 dollars au moins étaient perçus par l’organisation criminelle pour le transfert d’une personne en Suisse.
Frais de procédure prévus: 1,05 million de francs
Durée du procès: 5 jours
Trois autres cas en connexion avec le terrorisme islamiste sont pendants.
Un businessman saoudien, Y.K., est soupçonné d’avoir transféré des millions de francs de son compte en Suisse à des gens appartenant à la mouvance Al-Qaïda. Un juge enquête à son propos depuis juin 2005.
Une enquête préliminaire a été ouverte en septembre dernier à propos de plusieurs ressortissants nord-africains arrêtés en Suisse et accusés de vol en liaison avec une attaque terroriste envisagée contre un avion israélien.
Troisième cas: celui d’une suspecte, d’origine marocaine, qui aurait employé Internet pour appeler à des actes terroristes. Selon les autorités, des charges devraient être retenues contre elle dans les semaines à venir.
Enfin, le cas du businessman égyptien Youssef Nada et de sa société financière Al Taqwa, basée au Tessin, suspectés de soutenir financièrement le terrorisme. En juin 2005, après trois ans d’enquête, le Ministère public de la Confédération, abandonnait l’affaire par manque de preuves. Mais il figure toujours sur la liste onusienne des personnes suspectes, et est en résidence surveillée à Campione d’ Italia.
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