Quand la Charia est appliquée avec humanisme
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Présenté en compétition au Festival de films de Fribourg (FIFF), «Justice à Agadez» du Français Christian Lelong dresse le portrait d'un Cadi local.
En sept chapitres, le documentaire illustre avec une belle simplicité le fonctionnement d’une justice coutumière si éloignée de notre système judiciaire.
Elle: «Il a pris une hache et il a dit: je vais te tuer»
Lui: «Ça fait des jours qu’elle ne veut plus qu’on couche ensemble. Elle dit que je sens mauvais et que je suis trop vieux.»
Une dispute de couple qui se déroule sous l’œil attentif, un peu amusé, du Cadi local (le juge) qui va finalement demander au mari de donner 10’000 CFA ou, à choix, une grosse chèvre à sa femme.
On est dans la cité nigériane d’Agadez. Ici, avant de s’en remettre aux tribunaux laïques, on s’adresse à la justice coutumière. Nommé par le Sultan, le Cadi se base sur la Charia, la justice tirée du Coran.
Juge de proximité
Divorces, sorcellerie, chameaux volés… Ce juge de proximité traite uniquement des cas de la vie courante.
Lorsqu’il estime que c’est nécessaire, face à une femme battue notamment, il s’en remet à la justice moderne (à l’occidentale).
Tantôt compréhensif, tantôt autoritaire, toujours à l’écoute, il s’en remet aussi souvent à Dieu, par exemple pour calmer ce vieil homme qui n’est pas satisfait de son verdict: «Dieu voit tout. Accepte les choses comme elles sont!»
«Le Cadi a une pratique et un regard très humaniste sur cette justice basée sur la Charia, observe Christian Lelong. Je le qualifierais plus de conciliateur que de juge parce qu’il essaie de faire en sorte que les gens sortent réconciliés.»
Avec son documentaire, le réalisateur français avait envie de montrer «un autre Islam que celui dont on parle souvent dans les médias, un Islam tolérant et humaniste». Envie aussi de questionner l’Occident sur son propre système judiciaire.
Un modèle pour les banlieues?
«En France, nous avons eu récemment ces problèmes de révolte dans les banlieues. Je ne vois pas, à Agadez, des jeunes brûler des voitures», commente Christian Lelong.
«Dans notre fonctionnement moderne occidental, nous avons tendance à parachuter les choses. Pour régler le problème des jeunes dans tel quartier un peu difficile, on va mettre un commissariat qui n’était pas là auparavant.»
«A Agadez, le conflit se règle déjà au sein de la collectivité familiale. Ensuite, si le problème subsiste, c’est le chef de village qui va intervenir. Enfin, le Cadi, qui pratique une véritable justice de proximité, dans le sens où il vit avec les gens qu’il juge.»
«Il y a donc une forte pression sociale. Et, en Afrique, un jeune ne peut pas se permettre d’être exclu de la société parce que ce serait invivable. Du coup, il n’y a pas de mobylettes pétaradantes à Agadez…»
Peu de place pour l’individu
Bien sûr, revers de la médaille, l’individu a peu de liberté. «Il n’a pas le choix. Il doit prendre sa place au sein de la communauté. S’il ne veut pas le faire, il doit partir», analyse le réalisateur et ethnologue.
Par exemple, celui qui travaille doit partager l’argent gagné avec toute la collectivité familiale (sa femme et ses enfants, mais aussi ses frères et sœurs, ses cousins, son oncle, etc.)
«Une situation contraignante qui n’incite pas beaucoup à travailler, constate Christian Lelong. C’est l’une des raisons qui peuvent expliquer que l’Afrique a du mal à se développer».
Un regard sur une réalité
Voilà quelques-unes des questions que soulève «Justice à Agadez», sélectionné pour la compétition documentaire au Festival international de films de Fribourg et diffusé tout prochainement sur la chaîne Planète.
«C’est précisément parce qu’on fait de plus en plus de films pour la télévision que j’apprécie de pouvoir montrer mes films dans des festivals, ajoute Christian Lelong. Ici, on peut partager et débattre avec le public. Et le débat m’intéresse, parce que je ne détiens pas la vérité. Je ne fais que donner mon point de vue sur un sujet.»
swissinfo, Alexandra Richard à Fribourg
20e édition du Festival international de films de Fribourg (FIFF): 12-19 mars 2006
10 longs métrages (dont un film philippin de près de huit heures) et 9 documentaires en compétition
3 panoramas: le cinéma iranien et la guerre, le cinéma philippin numérique et un hommage à l’actrice brésilienne Helena Ignez
Christian Lelong a étudié l’ethnologie et le cinéma. Il a réalisé plusieurs documentaires dont «Agadez nomade», en 2003.
Séduit par le travail du Cadi local dans cette cité du Niger, il a décidé d’y consacrer un film à part entière: «Justice à Agadez».
Parallèlement à son métier de réalisateur, Christian Lelong est aussi producteur (Cinedoc Films) et directeur de formation depuis 1992.
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