Qui fut vraiment le père de la Croix-Rouge?
Henry Dunant, le fondateur de la Croix-Rouge, est souvent décrit comme un idéaliste humaniste, voire un saint. Une nouvelle biographie révèle des aspects jusqu'ici méconnus d'une vie pour le moins contrastée, de la gloire à la déchéance.
A l’occasion du triple anniversaire de la Croix-Rouge (150 ans de la bataille de Solférino, 90 ans de la Fédération internationale et 60 ans des Conventions de Genève), swissinfo.ch revient sur la vie du fondateur, Henry Dunant. Cet article s’inscrit dans un dossier plus global consacré à l’organisation qui sera disponible en ligne dès juin.
Henry Dunant… «Tout le monde connaît son nom, qui figure sur des plaques de rues ou de places dans le monde entier, mais l’homme reste peu connu», résume Gerard A. Jaeger, auteur d’une nouvelle biographie, Henry Dunant: l’homme qui inventa le droit humanitaire.
Ce point de vue est partagé par le dramaturge Michel Beretti, qui a écrit une pièce sur Henry Dunant. «Ce n’est pas facile de le cerner», admet-il.
«Si c’est un saint, c’est un drôle de saint, car sa personnalité et sa vie sont remplies de contradictions», ajoute Michel Beretti. Selon lui, «il y a eu plusieurs Henry Dunant.»
Les débuts
Henry Dunant est né à Genève le 8 mai 1828, dans une famille religieuse, humaniste.
Elève médiocre, il quitte prématurément le Collège Calvin et commence un apprentissage dans une banque. A l’âge de 26 ans, il devient représentant de la Compagnie Genevoise des Colonies, à Sétif, en Algérie, et en Sicile.
Ingénieux, il bâtit un moulin et gère la fondation de la Société des moulins de Mons-Djémila. Pour obtenir les droits sur l’eau, il a l’idée de s’adresser directement à l’empereur Napoléon III. Or celui-ci est en train de diriger les armées françaises en Italie pour en déloger les Autrichiens.
Le choc
C’est ainsi qu’Henry Dunant se retrouve le 24 juin 1859 avec l’état-major de Napoléon, au moment où a lieu la bataille de Solférino, une petite ville au nord de l’Italie. Il découvre les effets de cette très violente bataille qui oppose l’Alliance franco-italienne et l’armée autrichienne.
Plus de 40’000 soldats gisent sur le champ de bataille, mourants, ou grièvement blessés. Avec l’aide des habitants, Henry Dunant organise les secours d’urgence.
«Ce fut un choc et une blessure psychologique profonde dont il ne se remettra jamais», selon Michel Beretti. De retour en Suisse, Henry Dunant écrit Un souvenir de Solférino, publié en 1862 et développe l’idée d’une organisation qui assistera les blessés de guerre.
Comité de Genève
En 1863, avec quatre amis, il fonde un comité qui deviendra le Comité International de la Croix-Rouge (CICR). «Ce lancement est incroyable, dit Michel Beretti. Cinq gaillards se retrouvent dans un appartement de la vieille ville de Genève pour fonder une organisation internationale! Il faut vraiment avoir la prétention des Genevois pour faire une chose pareille».
Une année plus tard, avec les cinq fondateurs, le gouvernement suisse organise une conférence diplomatique accueillant seize Etats. Cette réunion débouchera sur la signature de la première Convention de Genève.
Le traité fixe les limites et les règles à respecter en cas de guerre et établit que les blessés doivent être traités avec humanité. L’emblème d’identification – une croix rouge sur un champ blanc – est aussi décidé.
Au ban de la société
Les 30 années suivantes seront moins triomphales pour Henry Dunant. Ayant négligé ses affaires algériennes, celles-ci se portent mal. En avril 1867, la faillite de la banque qui le finance, le Crédit Genevois, cause un scandale dans lequel il est impliqué.
Le 17 août 1868, Henry Dunant, couvert de dettes, est condamné par un tribunal pour pratiques frauduleuses. Plusieurs de ses amis sont aussi impliqués. Il est mis au ban de la société. En quelques années, de patron florissant, il se transformera en mendiant.
«De plus, Gustave Moynier [un des fondateurs] avait peur que la faillite et la mauvaise réputation de Dunant n’affectent l’image de la Croix-Rouge. Il décide alors de l’éloigner du comité», rappelle Gerard A. Jaeger.
En 1875, profondément déçu, blessé par le manque de reconnaissance pour son travail humanitaire, Henry Dunant quitte Genève et s’établit à Heiden, un petit village d’Appenzell Rhodes-Extérieures.
Lorsqu’il tombe malade, Henry Dunant est transféré dans la chambre 12 de l’hospice de Heiden. Il y passera les 18 années suivantes, jusqu’à sa mort. «Les gens pensaient qu’il était mort, dit Gerard A. Jaeger. Pendant ce temps-là, le CICR a continué à se développer sans lui.»
Réhabilitation
Mais tout le monde ne l’avait pas oublié. En 1895, un article du journaliste allemand Georg Baumberger le rappelle au souvenir de l’opinion publique.
En 1901, il reçoit le premier Prix Nobel de la Paix. Le CICR le félicite, achevant ainsi sa réhabilitation: «Aucun homme ne mérite plus cet honneur que vous, car c’est vous, il y a 40 ans, qui avez mis sur pied l’organisation internationale pour alléger les souffrances des blessés sur le champ de bataille. Sans vous, la Croix-Rouge, la réalisation humanitaire suprême du XIXe siècle, n’aurait probablement jamais vu le jour».
«Grâce au dynamisme et à l’obsession d’Henry Dunant, les choses sont allées beaucoup plus vite. Cinquante ans plus tard, la Croix-Rouge serait probablement née, quelque part. Mais il a tout simplement accéléré l’histoire», estime Gerard A. Jaeger.
«Il fut un idéaliste, mais pas seulement: il a aussi voulu donner une expression concrète à ses idéaux», conclut le biographe.
Simon Bradley, Genève, swissinfo.ch
(Traduction et adaptation de l’anglais: Ariane Gigon)
1828: naissance à Genève
1856: fondation d’une société coloniale en Algérie
1859: assiste à la bataille de Solférino
1863: création de la Croix-Rouge
1867: faillite et exclusion de la Croix-Rouge
1881: se retire à Heiden
1901: reçoit le 1er Prix Nobel de la Paix
1910: décès à Heiden
12’000 collaborateurs. Le Comité international de la Croix-Rouge, créé à Genève en 1863, intervient dans le monde entier pour aider les victimes de la guerre et de violences. Il compte plus de 12’000 collaborateurs dans 80 pays.
Genève. Le CICR est un médiateur neutre en cas de conflit, il fait connaître le droit international et milite pour son respect. Le siège de l’organisation est à Genève.
Sociétés nationales. Il y a 186 Sociétés nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Elles sont l’épine dorsale du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge. Les sociétés nationales, où travaillent bénévoles et employés, offrent toute une série de services, de l’aide en cas de catastrophe à l’assistance aux blessés de guerre, en passant par la formation en premiers secours et l’aide au regroupement familial.
Fédération. Ces sociétés sont regroupées dans la Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, fondée à Paris en 1919. Celle-ci encourage les activités humanitaires des sociétés nationales au sein des populations vulnérables. Elle coordonne l’aide en cas de catastrophe internationale et promeut l’aide au développement, cherchant à prévenir et à atténuer la souffrance humaine. Elle a aussi son siège à Genève et compte quelque 1300 collaborateurs dans le monde entier.
100 millions. Il y a dans le monde quelque 100 millions de personnes, employées ou bénévoles, au service de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge.
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