Le président de la Confédération doit être élu pour quatre ans
La Suisse a jusqu’à présent accordé avec prudence pouvoir et autorité. On le voit dans les limites qu’elle a mises à la fonction de président de la Confédération. À peine en charge, il arrive déjà en fin de mandat. Mais les temps actuels ne sont pas propices aux figures éphémères. Ils exigent constance et leadership.
On le sait, je suis un fan du système suisse de gouvernance.
Quand il en va de la cohésion du pays, le Conseil fédéral et ses sept membres font du bon travail. Il a certes fallu des crises pour que les conservateurs catholiques, les paysans et les ouvriers soient admis aux côtés de la bourgeoisie d’obédience libérale. Cet élargissement a fonctionné grâce avec l’intégration du PDC, de l’UDC puis du PS dans un Conseil fédéral à l’origine radical. Plus tard, le monde politique exclusivement masculin du pays s’est ouvert aux femmes. Ici aussi, la Suisse, alors lanterne rouge du suffrage féminin dans le monde, est parvenue en un demi-siècle à rejoindre le tiers de tête des pays où les femmes sont le mieux représentées.
Symptôme: une politique européenne fluctuante
Malgré ses avantages indiscutables, je considère que notre système a aussi des défauts évidents.
La plus grande faiblesse se situe au niveau de la direction stratégique, ce qui, à l’heure actuelle, apparaît très clairement dans le dossier européen. Le projet d’un accord-cadre avec l’Union européenne (UE) pour poursuivre sur la voie des bilatérales est en négociation depuis cinq ans. Il a toutefois fallu attendre 2018 pour que le Conseil fédéral fasse un pas en avant visible, sans toutefois s’assurer du soutien des acteurs passibles d’y opposer leur veto, syndicats, Union suisse des arts et métiers ou cantons. Le conseiller fédéral Ignazio Cassis, responsable de la politique étrangère, a toutefois conclu l’accord. Mais le collège gouvernemental l’a immédiatement contrecarré.
Le Conseil fédéral a ordonné la tenue d’un débat national public de six mois. L’UE a accepté cette étape, tout en soulignant que les négociations elles-mêmes étaient terminées.
«Cela renforce l’impression que l’accord-cadre est mort-né dans le pays»
Et c’est précisément ce que Ueli Maurer, notre nouveau président de la Confédération, veut maintenant remettre en question. Il exige de nouvelles négociations.
Cette manifestation supplémentaire des errements de la politique européenne de la Suisse renforce l’impression que l’accord-cadre est mort-né dans le pays. Selon certaines voix, il ne s’agirait plus maintenant que de savoir à qui on fera porter la responsabilité de l’échec.
L’auteur
Claude Longchamp est l’un des politologues et des analystes de la vie politique les plus expérimentés et renommés de Suisse. Il a été le fondateur de l’institut de recherche gfs.bern dont il est resté le directeur jusqu’à sa retraite et dont il préside encore le Conseil d’administration. Claude Longchamp a analysé pendant 30 ans les votations et les élections suisses à la télévision publique alémanique SRF.
Pour swissinfo,ch et sa plateforme pour la démocratie directe #DearDemocracy, il écrit chaque mois une chronique consacrée aux élections fédérales de 2019.
Diagnostic: manque de leadership
Je soutiens une autre thèse: la présidence de la Confédération constitue la composante institutionnelle du problème. Cette fonction n’a ni tâche ni compétence spécifiques. Elle découle d’une élection annuelle qui est surtout un rituel. Rien ni personne ne garantit la continuité des objectifs et des moyens.
Dans les négociations sur l’accord-cadre, la Suisse a été représentée successivement par Didier Burkhalter (PLR), Simonetta Sommaruga (PS), Johann Schneider-Ammann (PLR), Doris Leuthard (PDC) et Alain Berset (PS). C’est maintenant au tour de Ueli Maurer (UDC). Pendant ce temps, leur interlocuteur a toujours été Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne élu pour cinq ans.
Cela passait encore tant que les deux parties négociaient sur la substance de l’accord. Mais, maintenant que les choses se durcissent, l’asymétrie devient manifeste: une série de mouches éphémères qui négocient avec une araignée.
Le problème: la présidence comme activité accessoire
Pire encore: le ministre des affaires étrangères, soutenu par la diplomatie, est réduit au rang d’organisateur. La direction politique revient au Conseil fédéral et au président du moment. Cela peut devenir dangereux si le ministre des affaires étrangères et le président de la Confédération poursuivent des objectifs et utilisent des moyens différents.
Vision: une direction plus forte et des tâches claires
Une réforme du système suisse de gouvernance doit commencer par la présidence de la Confédération, dont il faut modifier la durée et les compétences.
Tel que je l’imagine, le président de la Confédération de demain sera responsable de la stratégie globale du Conseil fédéral. Celle-ci découle des objectifs de la législature élaborés par les partis gouvernementaux et approuvés par le Parlement. Les objectifs qui ont la plus haute priorité relèvent du département présidentiel. Actuellement, ce serait la politique européenne.
«Une série de mouches éphémères qui négocient avec une araignée»
Le président ou la présidente de la Confédération en est responsable. C’est à lui, ou à elle, de développer les projets stratégiques et de les promouvoir, dans le pays et à l’étranger.
Solution: un mandat présidentiel plus long
C’est évidemment impossible avec un mandat limité à un an et exercé de manière accessoire. Il faut que la présidence devienne une fonction indépendante et il faut prolonger sa durée. Il y a eu deux propositions concrètes en ce sens au cours des dernières années: Doris Leuthard s’est prononcée pour une présidence de deux ans alors que Moritz Leuenberger a soutenu un mandat de quatre ans.
Je préfère la seconde proposition. La première représenterait certes un progrès et elle pourrait être réalisée dans le cadre actuel. Mais elle ne supprimerait pas la double charge que constituent la conduite du département et l’exercice de la présidence. C’est une entrave au travail stratégique.
Une présidence de quatre ans aurait l’avantage d’en renforcer l’autorité tout en permettant de définir plus précisément ses tâches.
Mesure: le peuple choisit son dirigeant
Revaloriser la présidence demanderait certainement un nouveau mode d’élection. Il me semble que la meilleure solution est l’élection du président de la Confédération par le peuple. Seuls les membres du Conseil fédéral qui ont déjà effectué une législature complète pourraient se porter candidat. On s’assurerait qu’ils sont bien ancrés dans cette instance et ont les qualifications nécessaires.
L’élection aurait lieu au début du mandat après une campagne électorale brève mais intense. Les candidats ou les candidates y formuleraient leurs perspectives pour le pays tout en faisant valoir leur leadership. Et finalement, le peuple déciderait de manière démocratique.
Il faudrait certainement aussi s’assurer que les différentes régions du pays soient représentées de manière équitable, comme le veut la Constitution. Pour cela, le président désignerait un ou une vice-présidente. Cela permettrait à la fois d’assurer la représentation des régions linguistiques et d’équilibrer l’orientation politique de la présidence – tout en s’assurant d’une suppléance en cas de nécessité.
Solution: un département présidentiel
Cette solution ne déboucherait pas sur une démocratie présidentielle analogue à celle des États-Unis, par exemple. Parce que le Parlement continuerait d’élire les membres du Conseil fédéral. Le président ne pourrait renvoyer personne et il n’aurait pas de pouvoirs spéciaux dépassant les compétences spécifiques de ce département. En revanche, dans son rayon, il devrait manifester plus d’initiative, créer des interactions avec d’autres départements et impliquer les groupes d’intérêts et les partis gouvernementaux. Il lui faudrait prendre davantage de responsabilités et être en mesure de poser la question de confiance au Parlement.
Le canton de Bâle-Ville connaît déjà un système similaire et a réalisé de bonnes expériences. De nombreuses villes fonctionnent également ainsi. Ces exemples montrent qu’une telle présidence est compatible avec le système collégial. Elle le renforce même, parce qu’elle exige impérativement que le président et le collège trouvent un consensus sur les questions d’importance stratégique. À défaut, les divisions et les camps apparaîtront aussi sur les autres questions.
Cette idée représente évidemment une rupture avec la tradition du «primus inter pares» (le premier entre ses pairs). Mais c’est précisément son objectif. Parce qu’aujourd’hui déjà, le président de la Confédération se prend parfois pour un peu plus que les autres, sans qu’on n’ait jamais défini en quoi il le serait. En dépit de ses nombreuses qualités, c’est un défaut manifeste du système politique suisse.
Les partis politiques
UDC: Union démocratique du centre (droite conservatrice)
PS: Parti socialiste (gauche)
PLR: Parti libéral-radical (droite libérale)
PDC: Parti démocrate-chrétien (centre droite)
Les Verts: Parti écologique (gauche)
Les Vert’libéraux: Parti écologique libéral (centre droite)
PBD: Parti bourgeois démocratique (centre droite)
Traduction de l’allemand: Olivier Huether
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