Regard sur un Népal dominé par les Maoïstes
En pleine transition vers une république dominée par les Maoïstes, le Népal cherche ses nouvelles marques. Le regard d'une consultante suisse, de retour d'une mission pour la coopération suisse.
En chassant le «dieu-roi» déchu Gyanendra de son palais, les Népalais ont consacré un spectaculaire processus de deux ans au cours duquel ils ont mis fin à une longue guerre civile et porté au pouvoir l’ex-rébellion maoïste.
Ce mouvement constitue la première force politique du pays depuis sa victoire, le 10 avril, lors de l’élection d’une assemblée constituante. Et jeudi dernier, suite aux pressions de l’ancienne guérilla, le Premier ministre Girija Prasad Koirala, chef du gouvernement intérimaire, démissionnait, un mois après l’abolition de la monarchie. Il ouvrait ainsi la voie à la formation du premier gouvernement républicain maoïste de l’histoire du Népal. Un pays qui a été le théâtre d’un sanglant conflit entre l’armée et la guérilla maoïste (13’000 morts en dix ans).
Aujourd’hui, ce petit pays de l’Himalaya, enclavé entre la Chine, le Tibet et l’Inde, tourne le dos à 240 années de royauté hindouiste. Les bases de ce tout nouveau Népal en devenir doivent donc être posées.
Enseignante aux Hautes Ecoles des Etudes Internationales et du Développement à Genève, spécialisée sur les questions de processus de paix et sur le rôle de l’aide au développement dans les pays fragiles et en conflits – Somalie, Sri Lanka, Népal – Thania Paffenholz rentre tout juste d’une mission au Népal, un des pays prioritaires de la coopération suisse depuis 50 ans. Interview.
swissinfo: Comment avez-vous ressenti le climat politique sur place?
Thania Paffenholz: L’atmosphère générale est plutôt positive. Les gens sont soulagés du départ du roi, mais ils restent sceptiques. Ils craignent que les rapports de pouvoir priment sur un réel agenda politique. Et surtout, la culture de la violence se perpétue. Comme durant la guerre, il y a des manifestations sous n’importe quel prétexte – parce que le bus est trop cher ou que le prix du pétrole flambe. Et presque chaque fois, cela dérape en bagarres et actes de violence. On ne se sent jamais sûr en ville.
swissinfo: Quand on entend «maoïste», on pense aux «Sentier lumineux» du Pérou ou aux «Khmers rouges» du Cambodge, des régimes extrémistes et très violents. Qu’en est-il pour le Népal?
T.H.: Il y a plusieurs mouvements maoïstes au Népal, mais celui dont on parle usuellement, c’est le parti communiste népalais (maoïstes). Il s’agit d’un acteur politique, avec un agenda clair: se rallier les populations sur le terrain. Ce n’était pas trop difficile car, par le système des castes, les exclus – des décisions politiques, de l’enseignement, de la santé – sont nombreux dans le pays et ils ont tout avantage à ce que leur situation change.
Si on observe les douze dernières années au Népal, on constate que le parti communiste népalais (maoïstes) n’a pas dévié de sa stratégie principale, il l’a adapté aux situations: dix ans de guerre et deux ans de manœuvres politiques.
Mais ces guerres, qui ont fait des victimes bien sûr, n’ont pas connu les excès de l’Ouganda ou du Cambodge.
swissinfo: Malgré la popularité des maoïstes, il semble que leur victoire politique ait créé la surprise générale.
T.H.: Il y a une grande différence entre les attentes de la population rurale et les discours tenus à la capitale par les médias, qui sont presque tous acquis aux royalistes. La plupart des gens à Katmandou ont été surpris que les maoïstes remportent les élections. Si les intellectuels avaient un discours très pro-maoïstes, ils en sont revenus quand ces derniers ont gagné les élections. Car les intellectuels font souvent partie des castes supérieures. Avec les élections, la théorie qu’ils défendaient sur un plan abstrait devenait réalité et, alors, menaçait leur statut.
swissinfo: La monarchie népalaise a été lâchée par l’Inde et les Etats Unis, qui ne sont pourtant pas amis des maoïstes. Que s’est-il passé?
T.H.: L’Inde soutenait la monarchie notamment pour la stabilisation régionale et à cause de son propre problème avec les maoïstes indiens. Et les Etats-Unis avaient dans la monarchie un allié pour sa politique de lutte contre le terrorisme. Mais l’autoritarisme excessif du dernier roi les a éloignés irrémédiablement. Cela a favorisé la position des maoïstes.
swissinfo: Comment est perçue la Suisse sur place?
T.H.: Très positivement. L’action de la Suisse combinant le service de coopération (DDC) et l’engagement de la Suisse pour les droits de l’homme et le processus de paix est très astucieuse. Durant les dix ans de guerre, la DDC était parmi les seuls donnateurs présents sur le terrain, avec ses services de coopération. Cette position privilégiée lui permettait d’informer la communauté internationale basée à Katmandou et dans le monde. En particulier, la division politique a pu profiter de ce savoir pour alimenter les débats sur le Népal à la Commission puis au Conseil des droits de l’homme à Genève.
D’autre part, la Suisse, par sa neutralité et son absence d’agenda politique caché, jouit de la confiance des Népalais, toutes tendances confondues. Cette perception très positive a permis au DFAE de jouer un rôle plus politique dans le pays, en favorisant, par exemple, la transition vers un régime républicain.
Interview swissinfo, Carole Vann / InfoSud
Thania Paffenholz s’est rendue au Népal comme consultante pour la coopération suisse au développement et la division politique IV (droits de l’homme) du ministère suisse des affaires étrangères (DFAE).
Elle y a aussi mené une étude sur les transformations des groupes armés pour un projet international dirigé par l’Université de Syracuse aux Etats Unis. Ce qui l’a amenée à se pencher sur le cas des Maoïstes.
La présence de la Suisse au Népal remonte aux années 1950. Dans un premier temps, l’aide suisse s’est concentrée presque exclusivement sur des projets agricoles et forestiers dans la «zone des collines», puis, dans les années 1990, sur des projets dans le domaine de la construction de ponts et de routes, sur l’exploitation durable des ressources naturelles ainsi que sur la formation professionnelle et la promotion de la petite industrie.
Suite à l’exacerbation du conflit entre les rebelles maoïstes et le gouvernement monarchique, dès 1998, l’engagement suisse s’est progressivement focalisé sur la promotion de la paix et la consolidation de la gouvernance. Elaborée conjointement avec la Division politique IV, la stratégie de coopération de la Suisse avec le Népal pour les années 2005 à 2008 forme le cadre stratégique actuel de l’engagement de la DDC dans ce pays.
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