Un rapport met les Nations unies sous pression
Les procédures du programme de l'ONU 'Pétrole contre Nourriture' en Irak ont été systématiquement violées, affirme un expert suisse chargé de l'enquête.
Dans une interview à swissinfo, le professeur Mark Pieth nous en dit davantage sur les conclusions du rapport intermédiaire concernant la gestions des fonds de ce programme.
Mis sur pied en 1996 par le Conseil de sécurité de l’ONU, le programme ‘Pétrole contre Nourriture’ a été abandonné lorsque les Etats-Unis ont envahi l’Irak en 2003. Il devait permettre au régime de Saddam Hussein d’exporter du pétrole pour pouvoir acheter, en échange, des produits de consommation courante.
Mais le programme a été perverti par le gouvernement irakien de Saddam Hussein et plusieurs milliards de dollars ont été détournés. L’ancien dictateur aurait obtenu le soutien de citoyens et de sociétés dans une cinquantaine de pays.
Parmi les entreprises suspectées: la société Cotecna, basée en Suisse, qui employait… le fils du secrétaire général des Nations unies Kofi Annan.
Une commission d’experts indépendants a été créée pour enquêter sur ce scandale. Un rapport intermédiaire a été publié jeudi. Le document final devrait être terminé cet été.
Professeur de dreoit à l’université de Bâle, Mark Pieth est l’un des trois membres de cette commission. Il nous en dit plus.
swissinfo: Quelles sont les principales conclusions de ce rapport préliminaire?
Mark Pieth: Nous avons analysé de près le fonctionnement du programme Pétrole contre Nourriture. Et nous avons découvert que le processus était extrêmement politisé.
Les responsables des Nations unies contournaient de manière systématique les procédures établies pour satisfaire des Etats membres, particulièrement les membres permanents du Conseil de sécurité.
Certaines allégations ont également été formulées contre Benon Sevan, qui dirigeait le programme. Notre enquête a démontré qu’il avait sollicité le gouvernement irakien pour qu’il offre des contrats à l’un de ses amis. Benon Sevan s’est placé lui-même dans une situation de conflit d’intérêts.
Nous ne savons pas s’il a lui-même touché de l’argent… Mais j’ajouterais que notre enquête n’est pas encore terminée sur ce point.
swissinfo: Avez-vous aussi enquêté sur le rôle du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan dans cette affaire?
M.P.: Dans ce rapport intermédiaire, nous n’avons pas encore étudié la question, ni celle qui concerne le fils de Kofi Annan et la compagnie Cotecna.
Ces deux sujets seront abordés dans un autre rapport qui sera publié tout prochainement.
swissinfo: Votre enquête vous a mené un peu partout dans le monde. En Suisse, les autorités se sont-elles montrées coopératives?
M.P.: Le Secrétariat d’Etat à l’économie nous a beaucoup aidé. Nous avons reçu une grande quantité d’informations que nous sommes encore en train de lire et de trier.
swissinfo: Les traces qui mènent en Suisse sont-elles nombreuses?
M.P.: Comme beaucoup de pays, la Suisse est concernée sous différents angles par cette affaire.
Evidemment, plusieurs sociétés, qui sont basées en Suisse, ont été impliquées, soit parce qu’elles ont acheté du pétrole, soit parce qu’elles ont vendu de la nourriture.
Ensuite, il y a les comptes bancaires. Certains clients ont peut-être pu dissimuler les commissions qu’ils avaient touchées (en relation avec le programme Pétrole contre Nourriture), grâce au secret bancaire.
Cela dit, nous n’avons pas rencontré de difficultés avec les banques suisses, excepté un ou deux cas de clients qui ont utilisé leur droit au secret bancaire (pour bloquer l’enquête), ce qui a un peu retardé notre travail.
swissinfo: Quelles sont les leçons à tirer?
M.P.: Je tiens tout d’abord à dire clairement que notre but n’est pas de démanteler les Nations unies. Nous espérons que notre travail permettra de réorganiser ce qui doit l’être.
Or je pense qu’une réforme est indispensable. Et le rapport aura certainement un impact sur la gestion et l’organisation de l’ONU à l’avenir.
Interview swissinfo, Ramsey Zarifeh
(Traduction de l’anglais: Alexandra Richard)
Le programme ‘Pétrole contre Nourriture’ a duré de 1996 à 2003.
Il permettait à Bagdad de vendre du pétrole et d’acheter en échange des biens de consommation courante.
Il s’est trouvé perverti par le gouvernement irakien de Saddam Hussein et plusieurs milliards de dollars ont été détournés.
– Professeur de droit pénal à l’Université de Bâle, Mark Pieth a été nommé en avril 2004 à la commission d’experts indépendants chargée d’enquêter sur les détournements de fonds du programme ‘Pétrole contre Nourriture’, l’un des plus grands scandales de l’histoire de l’ONU.
– Les autres membres de la commission sont Paul Volcker, ancien président de la Réserve fédérale américaine, et Richard Goldstone, l’ancien procureur du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie.
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