Un Suisse au service des droits de l’homme
Luzius Wildhaber dirige la Cour européenne des droits de l'homme depuis cinq ans. Incarnant ainsi, la voix de la Suisse à Strasbourg.
Jonathan Summerton a profité de son passage, cette semaine à Berne, pour faire le point sur son travail.
Il faut dire que Luzius Wildhaber a eu droit à tous les honneurs dans la capitale helvétique. Le Suisse s’est en effet adressé aux Chambres fédérales dans le cadre des célébrations du 40e anniversaire de l’entrée de la Suisse au Conseil de l’Europe.
Son parcours est aussi prestigieux qu’emblématique. Luzius Wildhaber rejoint la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) basée à Strasbourg en 1991. A cette époque, elle ne fonctionnait encore qu’à temps partiel.
Il faut attendre 1998 – date de l’élection de Luzius Wildhaber à la présidence de la CEDH – pour que cette institution soit opérationnelle à plein temps.
Il dresse pour swissinfo un premier bilan. Luzius Wildhaber met l’accent sur le rôle important qu’a joué la CEDH dans la formation des politiques en matière de droits de l’homme dans chacun de ses Etats membres.
swissinfo: Comment se traduit concrètement le succès de la Cour européenne des droits de l’homme ?
Luzius Wildhaber : Tout d’abord, elle a fait des droits de l’homme une réalité dans bon nombre d’Etats membres. Y compris dans les pays où la protection des droits humains reste encore fragile.
Jusqu’à un certain point, elle est devenue une cour constitutionnelle européenne. Pas dans tous les sens du terme, mais dans sa manière de faire accepter des valeurs qui pourraient constituer une partie du patrimoine commun de l’Europe.
Je pense que des valeurs comme la démocratie, l’autorité du droit et les droits de l’homme participent à la prévention des conflits.
Le travail de la Cour fournit un excellent moyen de maintenir une société pacifique, pluraliste, tolérante et ouverte. C’est également un outil performant pouvant changer la conception et la perspective des conflits intérieurs et extérieurs.
swissinfo : La Cour a reçu l’an dernier environ 38’000 plaintes. Comment choisissez-vous celles que vous traitez ?
L.W. : Le processus de sélection est une immense partie de notre travail. Il faut savoir que nous déclarons irrecevables 92% des plaintes. Soit parce que la demande est arrivée trop tard ou concerne des faits antérieurs à la ratification de la convention par le pays en question, soit parce qu’elle est manifestement sans fondement.
Nous devons aussi veiller à ce que l’affaire ait été d’abord soumise aux tribunaux nationaux. Les voies de recours internes doivent en effet avoir été épuisées.
La variété des cas qui nous parviennent est énorme. Nous avons des plaintes au sujet d’une amende infligée à un journaliste par exemple, au sujet de violations de la liberté de la presse ou d’atteintes au respect de la vie de famille parce qu’une personne ne peut plus voir ses enfants après un divorce.
Il y a des plaintes civiles et celles qui accusent l’iniquité de la procédure dans des affaires criminelles où la justice a manqué de moyen ou d’impartialité.
swissinfo : Comment se comporte la Suisse en matière de droits de l’homme ?
L.W. : En réalité, la plupart des pays de l’ouest et du centre de l’Europe se comportent plutôt bien. Mais il n’existe aucun pays qui ne soit pas touché par l’un de nos dossiers. Du reste, je serais très inquiet s’il n’y en avait aucun concernant la Suisse.
Si c’était le cas, cela pourrait vouloir dire que les gens ne sont pas informés sur la possibilité de saisir la Cour ou que le gouvernement s’active à les décourager de le faire.
swissinfo : En ce moment, quels sont les pays qui sont les plus visés par la Cour européenne des droits de l’Homme ?
L.W. : Nous pouvons aborder les choses de deux manières différentes. Prenons les pays qui comptent le plus de cas. L’an dernier, il s’agissait, dans l’ordre, de la Russie, la Turquie, la Pologne, la Roumanie, l’Ukraine, la France, l’Italie et l’Allemagne.
Ensuite, mettons en rapport ce nombre avec la population totale du pays concerné. Là, il est assez clair que l’Europe centrale est en haut de la liste : l’an dernier, on y trouvait la Croatie, la Slovénie, la Slovaquie et la Bulgarie.
swissinfo : Pourquoi avez-vous décidé de vous impliquer dans la question des droits de l’homme ?
L.W. : Je suis né avant la Seconde Guerre mondiale, ce qui a clairement joué un rôle dans ma manière de réfléchir à la prévention du conflit, aux atrocités de la guerre et à ce que l’on pouvait faire contre cela.
Quand j’étais à l’université, j’ai suivi ce qui était à ma connaissance le premier séminaire au monde portant sur la protection des droits de l’homme en droit international.
Il a été donné en 1964 à la faculté de droit de l’université de Yale, par Egon Schwelb, qui a contribué par la suite à développer les instruments de droit humanitaire des Nations Unies.
Puis, je suis rentré en Suisse et j’ai participé à la rédaction des rapports gouvernementaux sur la Convention européenne des droits de l’homme en 1968.
Ma carrière académique a commencé avec un cours magistral sur la question de savoir si la Convention européenne pouvait avoir force de constitution. J’ai donc toujours été intéressé par ce sujet.
Ceci dit, je dois ajouter que je suis de ceux qui n’ont pas qu’un seul domaine d’intérêt. J’ai pris part à de nombreux autres thèmes très variés au cours de ma vie et j’en suis heureux. En fait, je suis davantage un généraliste qu’un spécialiste.
swissinfo : Quand vous jetez un regard sur votre temps passé à la CEDH, pour quels résultats voudriez-vous qu’on se souvienne de vous ? Et que ferez-vous ensuite ?
L.W. : J’aimerais que l’on se souvienne de moi pour avoir mis en place une structure solide pour le droit humanitaire, une structure qui puisse faire son chemin dans le système juridique du plus grand nombre de pays possible.
Pour le moment, mon ambition est de bien faire mon travail. Après, nous verrons. Je ne pense pas que je réintégrerai ma place de professeur d’université en Suisse.
Si on me sollicite pour un cours quelque part, je pense que je préférerais aller en Europe centrale ou en Europe de l’Est où mon aide serait davantage nécessaire qu’ici.
Je pourrais être chargé de mandats spéciaux – ce serait parfaitement possible quand je me serai retiré. Je veux aussi écrire quelque chose sur ma vie et l’histoire de la Cour. Cela devrait largement m’occuper.
Interview swissinfo : Jonathan Summerton
(Traduction : Christine Salvadé)
La Cour européenne des droits de l’homme a été fondée en 1959 par le Conseil de l’Europe.
Elle est devenue une Cour à temps plein en 1998.
Chaque Etat membre du Conseil de l’Europe désigne un représentant pour officier comme juge.
La Cour a reçu environ 3′ 000 cas l’an dernier, mais environ 92% d’entre eux étaient irrecevables.
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