Une conquête médiatique de l’Everest
Evelyne Binsack attend la fenêtre météo qui lui permettra, peut-être, de devenir la première Suissesse à gravir le Toit du monde. Les médias alémaniques s'enthousiasment pour l'aventure. Mais, côté romand, c'est le silence radio. Quant aux professionnels de la montagne, ils restent plutôt discrets.
Fin mars, Evelyne Binsack quittait la Suisse pour rejoindre l’expédition du guide néo-zélandais Brice Russel. La cordée, formée de quatorze membres, projette d’atteindre les sommets de l’Everest en empruntant la voie nord.
Arrivés au camp de base à la mi-avril, les alpinistes attendent maintenant la fenêtre météo qui leur permettra de donner l’assaut final au sommet mythique. Evelyne Binsack et le photographe Robet Bösch envisagent de se lancer en duo d’ici mercredi.
Si elle parvient au sommet, Evelyne Binsack sera la première Suissesse à toucher le Toit du monde. Un exploit largement anticipé par la presse suisse alémanique qui suit son entreprise dans le détail. Il est vrai que la jeune femme n’en est pas à son premier succès médiatique. En 1999, elle avait participé à l’ascension de la face nord de l’Eiger. Un spectacle filmé et transmis en direct par la DRS.
Cet exploit médiatique n’a toutefois pas suffi à asseoir la notoriété de la jeune guide d’outre-Sarine. En effet, aucun média romand ne suit son épopée dans l’Himalaya. Pire, son nom n’évoque rien ou presque dans l’esprit des professionnels de la montagne.
Après réflexion, l’alpiniste fribourgeois Erhard Lorétan lance tout de même: «Vous parlez de la nana qui vend la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Dans le métier, on préfère toucher le sommet avant d’en parler».
Et celui qui a conquis les quatorze 8000 de la planète d’ajouter: «Avec cette mentalité, la montagne devient une compétition comme les autres. Pour satisfaire les médias et les sponsors, les alpinistes sont toujours tentés de prendre des risques. Et dans un environnement aussi extrême, ça ne pardonne pas».
L’alpiniste regrette donc l’attitude clairement commerciale de certains adeptes des hautes cimes. Il dénonce également le battage médiatique fait autour de ce qu’il considère comme un non-événement. «La face nord de l’Everest est totalement équipée. Il suffit d’un bonne condition physique et d’une fenêtre météo propice pour réussir son coup.»
Convaincu que l’ascension de l’Everest reste une belle aventure individuelle sans pour autant représenter un exploit athlétique, l’alpiniste Jean Troillet évoque, quant à lui, le travail des sherpas: «Ils organisent le parcours, sécurisent les crevasses et transportent le matériel vers les camps de base». «Dans ces conditions et avec plus de 300 personnes qui font le voyage par année, la voie normale n’a rien d’exceptionnel» relativise encore l’alpiniste valaisan. «En revanche, je connais un unijambiste qui a fait le sommet sans même utiliser d’oxygène. C’est formidable. Mais là, il n’y avait personne pour en parler.»
Aucun sexisme dans l’interprétation des faits, affirment d’une même voix les deux alpinistes. Seulement la volonté de remettre l’église au milieu du village. «D’ailleurs, il y a des femmes qui font des parcours moins médiatiques mais beaucoup plus difficiles», souligne Erhard Lorétan.
«Cent pour cent juste déclare Andrea Gasser, l’une des rares guides de montagne féminines à avoir accepté de s’exprimer ouvertement sur le sujet. «Il y a beaucoup de bruit pour pas grand-chose autour d’Evelyne Binsack. Il ne faut pas oublier que 57 femmes de 23 nationalités ont déjà gravi l’Everest». Et d’ajouter: «Aujourd’hui, les alpinistes qui grimpent pour leur propre plaisir choisissent des itinéraires moins courus».
Vanda Janka
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.