Une dame de fer contre le blanchiment d’argent
Les résultats obtenus par les organes de contrôle contre le blanchiment d'argent sont souvent critiqués. Les uns trouvent la législation trop contraignante, pour les autres, le combat est perdu d'avance.
A la tête de l’Office de contrôle dans le domaine non bancaire depuis trois ans, Dina Balleyguier tire un bilan positif.
Entrée en vigueur en 1998, la loi contre le blanchiment d’argent couvre aussi le domaine non bancaire. Celui-ci comprend les fiduciaires, les gérances de fortune et autres entreprises actives dans les finances.
L’Office de contrôle dans le domaine non bancaire accorde les licences de fonctionnement à l’ensemble de grandes entreprises financières qui lui sont directement liées et supervise leurs activités. Celles-ci sont dotées d’organismes de régulation qui contrôlent leurs propres membres de manière autonome.
Il y a une année, la «Financial Action Task Force» de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a émis des recommandations pour améliorer la lutte internationale contre le blanchiment d’argent dans le domaine non bancaire.
Le gouvernement suisse a salué ces recommandations et installé un groupe de travail qui s’occupe de leur application.
Dina Balleyguier, juriste et avocate, est à la tête de l’Office de contrôle dans le domaine non bancaire depuis 2001. Elle avait auparavant une fonction de cadre dans le service juridique de la Commission fédérale des banques.
swissinfo: Vous dirigez depuis trois ans l’Office de contrôle dans le domaine non bancaire. Votre bilan?
Dina Balleyguier: Tout bien considéré, le bilan est plutôt positif. Nous avons atteint un grand nombre d’objectifs. Nous avons pu régler les questions ouvertes, ce qui nous permet maintenant de nous concentrer sur les dossiers, qu’il s’agisse de demandes de licence d’activité ou de questions sur la soumission à la législation bancaire.
swissinfo: Vous deviez en effet commencer par mettre en place un dispositif de contrôle. Où en êtes-vous?
D. B.: Je dirais que le système de contrôle que nous avons construit en collaboration avec les organisations de contrôle autonome fonctionne. Cela signifie que, depuis cinq ans, il est devenu beaucoup plus difficile de blanchir de l’argent en Suisse dans le domaine non bancaire
swissinfo: La loi contre le blanchiment d’argent fournit un cadre général. Quelle est votre marge de manœuvre dans son interprétation?
D. B.: Nous sommes, bien entendu, liés au texte de la loi. Mais dans le domaine de la convention relative à l’obligation de diligence des banques, celui-ci est court et concis. A ce niveau, nous avons une relative liberté de lui donner corps dans les détails.
Quand je dis nous, je parle bien sûr de la Commission des banques, de l’Office fédéral des assurances privées et aussi des douze organisations de régulation autonome, ainsi que de l’Office de contrôle dans le domaine non bancaire.
swissinfo: Une partie du monde de la finance trouve que l’Office de contrôle va trop loin. Les juristes déplorent des lacunes importantes dans la soumission à la loi bancaire. Comment réagissez-vous à cette pression?
D. B.: Aussi longtemps que la pression vient des deux côtés, elle s’équilibre. Et l’on peut partir de l’idée que nous avons affaire à un système qui fonctionne relativement bien. Il permet d’agir, sans pour autant alourdir le fonctionnement financier de manière injustifiée.
swissinfo: En 2003, vous avez retiré du marché sept intermédiaires financiers. C’est un maigre résultat.
D. B.: Si l’on considère que nous traitons plusieurs centaines de dossiers par an pour savoir si certaines personnes physiques ou morales tombent sous le coup de la loi, alors le fait de ne prononcer que peu de liquidations prouve que ceux qui doivent modifier leurs activités l’ont déjà fait.
swissinfo: Vous contredisez alors les experts en droit qui considèrent votre combat comme perdu d’avance?
D. B.: Ce n’est pas le nombre de liquidation qui permet d’expliquer si – et combien – d’argent est blanchi en Suisse.
Nous prononçons une liquidation quand nous sommes confrontés à une activité illégale. Et illégal signifie simplement sans autorisation. Cela n’indique en rien si quelqu’un blanchit ou non de l’argent.
Nous avons encore moins découvert de cas de blanchiment d’argent. Mais vraiment parce que – et j’en suis convaincue – la convention relative à l’obligation de diligence des banques fonctionne, parce que les intermédiaires financiers font bien leur travail et ne sont pas du tout disposés à accepter des blanchisseurs d’argent comme clients.
swissinfo: D’où vient votre certitude que, si quelqu’un voulait blanchir de l’argent, on vous en informerait?
D. B.: Parce qu’il existe des centaines d’annonces dans le domaine parallèle aux banques et que la tendance est à la hausse. C’est la raison pour laquelle je pars de l’idée que les intermédiaires financiers ont compris le système et l’appliquent.
swissinfo: Effectuez-vous aussi des contrôles?
D. B.: Nous en pratiquons un grand nombre, nous étudions en détail le registre du commerce, nous suivons les médias et, heureusement, recevons des informations des autorités et de privés. Nous suivons chaque indice. Nous savons que nous pouvons aussi tomber parfois sur des actes répréhensibles.
swissinfo: Fin mai, vous avez dû arrêter d’utiliser le moteur de recherche qui procurait des informations sur certains acteurs, et ce contre votre gré.
D. B.: C’est exact. Un certain nombre d’intermédiaires financiers ne souhaitaient pas être reconnus comme tels. Nous le regrettons, naturellement.
Il est aussi exact que la loi n’est pas parfaite. On peut l’améliorer, notamment en matière de transparence, et annoncer à l’extérieur qui est intermédiaire financier, et qui ne l’est pas. Et ceci aussi contre la volonté des personnes concernées.
Mais pour cela, nous avons besoin d’une base légale – ainsi que l’a affirmé la Commission de la protection des données -. Elle nous fait défaut jusqu’à présent. Et si elle nous manque, c’est probablement parce que, lors de l’élaboration de la loi il y a six ans, personne n’a prévu un tel besoin.
swissinfo: La loi contre le blanchiment d’argent a d’autres faiblesses. Les commerçants en biens immobiliers et en pierres précieuses, mais aussi les notaires et les avocats, ne sont pas touchés par cette loi.
D. B.: Je précise que plus de 1000 avocats et notaires se sont annoncés comme intermédiaires financiers et qu’ils sont membres des organes de régulation autonome.
Dans l’immobilier, dans le commerce de détail de pierres précieuses et d’art, là il y a sûrement des aspects qui ne sont pas pris en compte.
Un groupe de travail étudie la nécessité de faire tomber ces derniers sous la loi – loi qui doit alors suivre des directives internationales – et, si oui, comment l’appliquer.
Ce groupe de travail s’occupe aussi de la façon dont les moyens financiers ont été procurés, du problème des actions au porteur et d’autres modifications légales que nous estimons nécessaires.
swissinfo: Quelle importance accordez-vous à la collaboration avec la Commission des banques et les gouvernements étrangers?
D. B.: Nous collaborons étroitement avec la Commission des banques. Nous échangeons des informations sur les progrès de notre travail et les collaborateurs sont toujours en contact.
En respectant les directives de la loi sur la protection des données, nous échangeons aussi des informations et des dossiers.
Nous sommes habilités à collaborer avec les autorités étrangères et, dans le cadre de la coopération entre administrations, à échanger des informations. Mais c’est plutôt rare, car l’Office du contrôle ne s’occupe pas en priorité des questions internationales. C’est, et cela reste, le travail de la Commission des banques.
swissinfo, Andreas Keiser
(Traduction et adaptation: Thomas Thöni)
La juriste Dina Balleyguier dirige depuis 2001 l’Office de contrôle contre le blanchiment d’argent dans le domaine non bancaire.
Cet Office est le pendant de la Commission des banques au niveau bancaire, de l’Office fédéral pour les assurances privées au niveau des assurances vies et de la Commission des banques de jeu auprès des casinos.
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