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«Une intervention militaire en Libye est peu probable»

Des portraits de manifestants tués à Benghazi sont affichés sur un char d'assaut. Keystone

L’ONU a qualifié de «crimes contre l’humanité» la répression sanglante en Libye et exigé l’ouverture d’une enquête indépendante. Spécialiste de la justice internationale, Pierre Hazan fait le point sur les possibilités d’actions et de poursuites contre le régime du colonel Kadhafi.

Les institutions onusiennes sont sorties du bois mardi pour dénoncer la répression en Libye. Depuis le début du soulèvement il y a une semaine, 300 à 400 manifestants auraient trouvé la mort, selon un décompte de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH).

Le Conseil de sécurité de l’ONU se réunit en urgence mardi pour examiner la crise libyenne. La haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme Navi Pillay avait auparavant appelé à l’arrêt immédiat des violences. Elle a demandé à la communauté internationale de s’unir pour condamner des attaques systématiques contre les civils, qui équivalent à des «crimes contre l’humanité». L’ONU a par ailleurs confirmé l’utilisation d’avions par le régime libyen pour tirer sur la foule.

Le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) a lancé un appel à tous les pays voisins afin qu’ils gardent leurs frontières ouvertes. «Les personnes qui fuient ont des raisons très légitimes. C’est le moment de montrer notre générosité envers des gens qui traversent de graves traumatismes», a déclaré un porte-parole de l’institution. Quant au CICR, il a offert son assistance médicale pour soigner les blessés en Libye.

Au-delà de ces annonces, quels sont les moyens à disposition de la communauté internationale pour mettre fin à la répression sanglante en Libye? Et la justice internationale a-t-elle les moyens de condamner Mouammar Kadhafi et ses sbires? Les réponses de Pierre Hazan, spécialiste genevois de la justice internationale et maître de conférences à Sciences politiques Paris.

swissinfo.ch: L’ONU a envoyé en 2008 des troupes au Darfour pour protéger la population. Une telle intervention serait-elle envisageable en Libye?

 

P.H.: Du point de vue théorique, le Conseil de sécurité peut entreprendre énormément de choses. Mais en pratique, je serais très surpris que cela se produise. L’équation est totalement différente en Libye et au Soudan. Beaucoup d’Etats de la région s’inquiéteraient d’une éventuelle attaque contre la Libye, par peur d’un effet domino sur leur souveraineté nationale.  

Quant aux puissances occidentales, elles n’ont pas les moyens de se lancer dans une telle aventure. Beaucoup d’éléments s’y opposent. Les dettes des Etats-Unis et des autres grands pays occidentaux sont considérables, leur force militaire est restreinte; ces puissances sont déjà déployées en Afghanistan et en Irak. Et le principe même de cette ingérence serait problématique.

swissinfo.ch: La peur d’un afflux massif d’immigrés que pourrait entraîner la chute du régime de Kadhafi explique-t-elle la prudence des Européens?

P.H.: Non, au contraire. Plus vite le régime tombera, plus vite on pourra mettre en place un nouveau gouvernement et ainsi mieux contrôler les flux d’immigration. Kadhafi est complètement acculé, il n’a plus rien à perdre. Il peut utiliser l’arme du chantage de l’immigration sauvage. Avec un nouveau gouvernement, qui aurait besoin de l’aide internationale, la donne serait modifiée.

L’équation politique au niveau régional est également différente. La solidarité dans les pays arabes, que l’on brandissait il y a un mois, n’est plus d’actualité. Kadhafi a lancé une chasse aux étrangers dans son propre pays. Le prix du pétrole s’envole et  l’intérêt de nombreux pays consommateurs est de retrouver la stabilité. Je ne pense pas que le retour à la normalité passe pour ces pays par un maintien de Kadhafi au pouvoir.

En dernier ressort, les rapports de force seront déterminants. S’il a encore une armée suffisamment puissante et qui ne se divise pas derrière son dos, peut-être sera-t-il encore capable de rétablir l’ordre dans le sang. Mais sinon, sa chute sera inéluctable.

swissinfo.ch: Kadhafi et ses milices mènent pratiquement une guerre civile à l’encontre de leur propre population. La justice internationale a-t-elle les moyens de condamner ces actes?

P.H.: Navi Pillay, haut commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, a qualifié ces attaques de crimes contre l’humanité et a exigé la mise sur pied d’une commission d’enquête. La Cour pénale internationale (CPI) a la possibilité d’ouvrir une enquête. Le Conseil de sécurité peut également prendre un certain nombre de dispositions. Il peut imposer des sanctions et référer le cas à la Cour pénale, ce qui produirait un effet beaucoup plus fort.

Dans le cas du Darfour, c’est à travers une résolution du Conseil de sécurité que la CPI a été saisie. Le Conseil de sécurité pourrait faire la même chose dans le cas de la Libye. Les moyens d’action existent, mais ils sont relativement limités.

swissinfo.ch: Que peut-on attendre de l’enquête internationale exigée par l’ONU?

 

P.H.: Un établissement précis des faits, mais ça prendra du temps. Si les faits sont avérés, et qu’ils sont criminels comme on le suppose, Mouammar Kadhafi sera condamné. Mais cette condamnation n’aura une valeur effective que si un organe judiciaire s’estime compétent et s’en saisit. Pour cela, je ne vois que la Cour pénale internationale. Le principe de la compétence universelle pourrait également être activé. Ainsi, les responsables de ces massacres pourraient être arrêtés lorsqu’ils transiteraient dans un pays tiers qui ouvrirait une procédure à leur encontre.

swissinfo.ch: Le président soudanais Omar al-Béchir a été inculpé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Une première pour un président en activité. La Cour a-t-elle les mains libres pour entreprendre une telle action contre Kadhafi?

 

P.H.: L’attitude du Conseil de sécurité sera déterminante. S’il décide de saisir le procureur de la CPI, le signal serait suffisamment fort. Il faudra toutefois être prudent avec les qualificatifs. Certains opposants libyens parlent de génocide. Nous en sommes heureusement encore très loin, même si des faits criminels et sanglants se sont vraisemblablement produits.

swissinfo.ch : La Cour pénale internationale peut-elle également s’attaquer aux autres dictateurs déchus de la région, à savoir Hosni Moubarak et Zine Ben Ali?

P.H.: Les cas sont très différents. Le mitraillage de civils par des avions et des hélicoptères va bien au-delà de la répression en Tunisie et en Egypte. Le gouvernement tunisien a demandé l’extradition de Ben Ali. Il a fait preuve d’une volonté politique manifeste de poursuivre le dictateur déchu. La CPI n’intervient qu’en dernier ressort et dans ce cas elle n’a pas de raison de le faire.

Quant à Moubarak, il se trouve encore dans son pays. Les autorités égyptiennes sont les premières compétentes pour le juger. En revanche, un mandat d’arrêt à l’encontre de Mouammar Kadhafi serait un symbole puissant pour la justice internationale.

Dans un discours retransmis mardi à la télévision, Mouammar Kadhafi a menacé les manifestants armés de «la peine de mort». Il a affirmé qu’il se «battrait jusqu’à la dernière goutte de (son) sang» et a appelé l’armée et la police à reprendre la situation en main.

«Mouammar Kadhafi n’a pas de poste officiel pour qu’il en démissionne. Mouammar Kadhafi est le chef de la révolution, synonyme de sacrifices jusqu’à la fin des jours. C’est mon pays, celui de mes parents et des ancêtres», a-t-il dit, en guise de rejet des appels à son départ du pouvoir.

Le colonel Kadhafi est arrivé au pouvoir après avoir renversé le 1er septembre 1969 le roi Idriss.   En 1977, il avait proclamé la «Jamahiriya» – qu’il définit comme un «Etat des masses» qui gouvernent par le biais de comités populaires élus – s’attribuant le seul titre de «Guide de la révolution».

Plus de 70 organisations non gouvernementales (ONG) ont demandé mardi à Genève que la Libye soit exclue du Conseil des droits de l’homme en raison des «massacres» commis par les autorités de ce pays. Elles ont aussi appelé les membres du Conseil à se réunir d’urgence en session spéciale.

Les ONG se fondent sur l’article 8 de la résolution portant sur la création du Conseil des droits de l’homme en mars 2006. Il stipule que l’Assemblée générale de l’ONU pourra, à la majorité des deux tiers, suspendre les droits à siéger d’un membre du Conseil qui aurait commis des violations flagrantes et systématiques des droits

de l’homme.

La Suisse soutient l’initiative pour initier une session spéciale sur la Libye au sein du Conseil des droits de l’homme, a indiqué mardi le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE).

La Libye a été élue l’an dernier par l’Assemblée générale de l’ONU comme membre du Conseil des droits de l’homme. Une session régulière du Conseil des droits de l’homme commence lundi à Genève pour quatre semaines.

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