Une nouvelle norme pénale à usage symbolique
Le Parlement a complété le code pénal suisse pour l'adapter à deux conventions antiterroristes de l'ONU. Un acte purement symbolique, estiment plusieurs experts.
Parmi eux, le professeur Mark Pieth, qui répond à Hansjörg Bolliger, de swissinfo.
C’est fait, le Parlement a entériné mercredi les deux dernières conventions antiterroristes de l’ONU. Leur but est double. D’abord réprimer le financement du terrorisme, ensuite les attentats à l’explosif.
Le législatif est même allé plus loin. Pour rendre le code pénal suisse compatible avec les deux textes onusiens, il a adopté une nouvelle norme pénale. Elle touche au financement du terrorisme.
Plusieurs personnalités considèrent ce geste inutile sur le plan technique. Car le droit suisse est suffisant. Parmi eux, Mark Pieth, professeur de droit pénal à l’Université de Bâle, auquel Berne a fait appel comme expert.
swissinfo: Le Parlement a entériné les deux conventions de l’ONU. Qu’en pensez-vous?
Mark Pieth: La ratification des deux conventions de l’ONU fait sens. L’accord exige que les Etats contractants punissent le financement du terrorisme ainsi que les associations terroristes.
Ma critique porte plutôt sur la pertinence de la création de nouvelles normes pénales.
Depuis 1994, la Suisse remplit les exigences des conventions. Considérer que nous avons les lois nécessaires et s’y tenir, c’est respecter notre système.
Les Américains ont la mauvaise habitude de créer une nouvelle loi pour chaque problème. Cette façon de développer le droit, nous la connaissions aussi au Moyen-âge.
Aujourd’hui, les choses ont évolué. Notamment parce que nous édictons des lois plus abstraites. Exemple: nos lois contre le crime organisé couvrent aussi le terrorisme.
swissinfo: Le Parlement a voulu une nouvelle norme pénale sur le financement du terrorisme. Est-ce que cela vous gêne?
M. P.: Le problème est que nous faisons des choses inutiles pour des raisons purement symboliques. On crée une nouvelle loi en pensant que nous serons perçus comme «durs» par la communauté internationale, et les Etats-Unis en particulier.
Nous avons clairement de la peine à affirmer: nous disposons des lois nécessaires depuis 1994 et 1989. Ces lois suffisent. Nous n’avons pas besoin d’un «Patriot Act» à l’américaine. Un tel geste patriotique n’est pas utile à la Suisse.
Le fait que nous ayons une norme pénale contre les organisations internationales applicable au terrorisme est une bonne chose. Cela dit, le financement de tels actes était déjà couvert par une loi.
Pour moi, le Parlement a choisit une solution de compromis. Il faut s’en accommoder.
swissinfo: Quelle relation peut-il y avoir entre sécurité et liberté?
M. P.: Plus de surveillance ne signifie pas forcément plus de sécurité. Au contraire, cela peut provoquer un plus grand sentiment d’insécurité dans la population.
Cela dit, il faut s’attendre à davantage de surveillance. Surveillance téléphonique, télésurveillance de l’espace publique, fichage ADN… L’important est que l’on respecte l’état de droit.
Y compris lorsque l’on recourt à des mesures de surveillance téléphonique. Il y a en 6000 par an en Suisse. Elles doivent s’effectuer sous l’autorité des tribunaux et répondre à des règles légales.
swissinfo: L’affaire des fiches avait secoué la Suisse. En reste-t-il des traces?
M. P.: Oui, je pense. Dans ce sens, la nouvelle loi sur la surveillance téléphonique est un signal positif. Car, elle vise à définir un cadre clair.
Une telle loi est importante, car les Suisses ont traditionnellement confiance en leurs autorités. Cette confiance a relégué le droit à l’arrière-plan.
Il est relativement nouveau qu’en Suisse des mesures coercitives et de surveillance soient si précisément exprimées dans la loi. C’est un pas dans la bonne direction.
swissinfo, Hansjörg Bolliger
(traduction: Pierre-François Besson)
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