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Aux confins de la Terre, l’enfance…

Site de l'ancienne mine de fer à ciel ouvert de Bjornevatn (1906-1996).

Voyageur solitaire et photographe, Francis Besson signe un livre à la fois beau et rugueux: «ex nihilo». 120 images saisies en Norvège, au Groenland, au Chili, en Chine ou au Japon, qui, malgré la diversité des lieux et des sujets, dégagent une étrange cohérence.

Belle et désespérante à la fois. Pleine et vide. La planète Terre vue à travers le regard de Francis Besson est assez loin de l’image convenue que l’on a de la Planète Bleue. D’abord parce que la sienne est en noir et blanc. Ou plutôt en noirs et gris. Ensuite parce que des montagnes andines aux fjords norvégiens, des tourbières irlandaises aux icebergs groenlandais, c’est la nature brute qui domine.

Niant la vie animale, niant les agglomérations humaines, niant l’humain lui-même. Ou lui laissant tout au plus le droit à quelques empreintes, objets patinés abandonnés au détour de roches, d’herbe ou de glace qui, tôt ou tard, on le pense en tout cas, les absorberont.

Séchoirs à poisson sans poissons. Maison solitaire. Enormes éléments de brise-lames à moitié immergés. Brique de tourbe en attente. Mais en attente de quoi? «ex nihilo». Est-ce la nature qui est surgie de nulle part? Ou ces artéfacts, parenthèse d’existence, qui retourneront bientôt «in nihilo»?

Un livre de lieux

En janvier 2006, Francis Besson publiait «Océan immédiat», qui jouait également de la rugosité de la matière et de paysages de bout du monde. Quel lien entre les deux ouvrages?

«’ex nihilo’ n’est pas une suite. C’est plutôt un prolongement, répond Francis Besson. Il y a certains lieux qui sont identiques, mais vécus de manière différente. ‘Ex nihilo’ porte sur plus d’années de photographies, il y a des images plus anciennes, mais qui ont plus d’histoire pour moi».

Le photographe neuchâtelois insiste en particulier sur un point: «Ni l’un ni l’autre ne sont des livres de voyage, mais des livres de lieux, de noms, des livres un peu littéraires. Je pense à Sepulveda, à Marquez, ou même à Cendrars… Des voyages, j’en ai fait dans les quatre coins du monde, en long, en large et en travers. Mais ces lieux-là sont des lieux qui surnagent dans ma mémoire. Ce sont des lieux qui m’ont beaucoup impressionné, par leur démesure, par leur histoire, leur climat, leur isolement. Mais pas dans le sens du ‘voyage’.»

Et de préciser encore sa pensée: «Il y a beaucoup d’introspection dans ces paysages. C’est une manière de se livrer. Pour moi cela n’a rien à voir avec le voyage. C’est plus de l’ordre du rêve, de la poésie, de la littérature. C’est en tout cas la manière dont j’ai conçu ce livre».

Cohérence

A travers, «ex nihilo», Francis Besson nous emmène néanmoins à travers trois continents. Et étonnamment, des parentés étroites se tissent entre des lieux éloignés par des milliers de kilomètres. Ont-ils vraiment des points communs ou est-ce l’œil du photographe qui, peut-être avec une part d’artifice, les fait converger?

«Les seuls lieux qui captent mon regard sont les lieux qui me parlent intérieurement. Je ne pratique jamais la mise en scène. Par contre, c’est vrai que dans le choix fait parmi des milliers d’images, la sélection veut une certaine cohérence. Mais plusieurs personne m’ont dit que dans ce livre, ‘on saute du coq à l’âne’! En fait, c’est une sorte de lecture un peu rêvée, une image amène l’autre… Il n’y a pas de vraie cohérence.»

Pourtant, pour nous, cet ‘ex nihilo’ de Francis Besson dégage une forte impression d’unité… Pourquoi?

Derrière les images

Francis Besson parvient-il à définir ce que les instants passés dans ces lieux qu’il a fixés ont révélé en lui? «C’est difficile de mettre des mots là-dessus», répond-il.

Une hésitation, puis il poursuit: «C’est la sensation de moments absolument uniques. Je peux faire une errance de deux, trois mois, sans que rien ne se réveille. Et tout à coup, il y a un lieu, une image, quelque chose qui surgit. C’est un réveil intérieur, une espèce de fascination. Je me mets alors à photographier de manière presque incohérente, en ayant l’impression que tout doit être photographié, que c’est tellement rare, tellement important, tellement privilégié, qu’il ne faut rien rater, que je trierai plus tard!»

Francis Besson, alors, se dédouble: «Cela me fait vivre des instants comme lorsqu’on est enfant et qu’on a de la fièvre… on entend des bruits, on est dans un autre monde. C’est cela que je vis. Très souvent, pour moi, c’est ce qui resurgit dans ces lieux-là.»

Francis Besson ne voyage donc pas. Il part à la recherche de ces hasards où la rencontre d’un lieu et d’un instant suscitent un autre état de conscience. Le voyage, plus prosaïquement le mouvement, ne serait alors que l’outil pour parvenir à ces moments-là…

«En fait, c’est peut-être en cela que je ne suis pas photographe, dit-il soudain. Par exemple, c’est très rare que je fasse de la photo en Suisse. Des portraits, parfois… mais les paysages d’ici ne me mettent plus dans cette situation. En ce sens, c’est vrai que le déplacement en d’autres lieux me met en condition de ressentir des choses que j’ai oubliées ou qui tout à coup, différentes, m’émerveillent. Il y a beaucoup d’enfance là-dedans».

Et si le point commun entre ces paysages extrêmes résidait là: dans leur faculté à placer celui qui s’y plonge dans un no man’s land étrange, entre rêve et cauchemar, entre effroi et bonheur, une sorte d’état second que le lecteur ne percevra pas nécessairement comme tel, mais qui pour l’auteur, porte un nom: l’enfance.

swissinfo, Bernard Léchot

Jusque là président d’une manufacture suisse d’horlogerie, Francis Besson choisit la photographie en 1993.

Son nouveau choix de vie l’amène désormais «à parcourir la planète à son rythme, sans contrainte, appareil de photo en mains».

Ouvrages publiés:
– «Petits suppléments d’ailleurs» (2000)
– «Quelques traces d’ailleurs» (2001)
– «Regards d’ailleurs» (2002)
– «Océan immédiat» (2006)
– «ex nihilo» (2007)

Exposition à l’Espace Saint-François, Lausanne, jusqu’au 22 décembre.

«ex nihilo», de Francis Besson, est publié aux éditions in folio, à Gollion.

144 pages dont 120 de photographies en noir et blanc argentique.

Format 33.5 x 28.5 cm.

Textes en français et en anglais.

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