Cully, village global du jazz
Des montagnes suisses à l'Afrique du Nord en passant par les Etats-Unis et la Norvège, autant de régions représentées au Cully Jazz Festival que de styles.
Les légendes vivantes côtoient les précurseurs. Dialogues et échanges.
Comme chaque année depuis plus de vingt ans, un tourbillon de notes bleues annoncent le printemps à Cully, du 21 au 29 mars.
Fait rare pour un festival, la population entière de ce petit village vigneron vibre pendant neuf jours aux envolées du jazz. C’est que, sans ses multiples caveaux, Cully ne se démarquerait guère des autres événements du genre.
Difficile effectivement de rompre avec la sympathique habitude qui consiste à déguster un vin du cru au son d’une petite formation locale. Le tout à la sortie d’une des deux scènes officielles où l’on aura religieusement écouté des pointures internationales.
Le Sud rencontre le Nord
Car finalement rien de révolutionnaire du point de vue de la programmation. Bien qu’elle reste toujours aussi qualitative et surtout métissée, offrant de belles rencontres entre le Sud et le Nord.
Le ‘oudiste’ (joueur de luth) tunisien Anouar Brahem joue par exemple avec deux Français: un pianiste et, plus surprenant, un accordéoniste. «Le pas du chat noir», l’album issu de ce trio inédit, emmène le public dans un univers sonore entre Eric Satie et Keith Jarrett.
Plus jeune mais également joueur de oud tunisien, Dhafer Youssef prend lui le chemin de la musique électronique, tout en conservant ses racines soufis. Il s’associe aux musiciens de Nils Petter Molvear, le pionnier norvégien de l’électro-jazz qui joue le même soir.
«Avec la facilité des échanges, on constate que de plus en plus de musiciens du Nord s’intéressent aux racines des musiques du Sud», analyse Carine Zuber, directrice du Festival.
Et inversement, les musiques du Sud se jouent de manière très libre et laissent une bonne place à l’improvisation. Ce qui les rapproche naturellement du jazz.
Ces alliances, comme celle de Youssef avec les Norvégiens, donnent des musiques très planantes, soutenues par le rythme propre au jazz.
«Cette qualité contemplative et hypnotique se retrouve d’ailleurs autant dans la musique arabe que norvégienne. Les nordiques sont en effet très doués pour créer des atmosphères prenantes. La nostalgie des paysages peut-être», analyse Carine Zuber
Les seniors à l’honneur
Cully c’est aussi l’occasion de voir ou revoir des papys du jazz, de ceux qui retrouvent miraculeusement une seconde jeunesse. On pense là à Jimmy Scott et au pianiste sud-africain Abdullah Ibrahim.
Pour Jimmy Scott, âgé de 78 ans, on peut carrément parler de résurrection. Pas étonnant quand on possède cette voix d’un autre monde, séraphique et androgyne. A donner des frissons, déclarait Quincy Jones dans les années cinquante déjà.
Mais avant de retrouver les feux de la rampe, ce petit bonhomme d’un mètre cinquante a traversé une quantité de galères qui auraient pu le rendre muet à jamais. Un parcours comparable à celui de Billy Holliday, dont il possède d’ailleurs l’intensité émotionnelle dans sa manière d’interpréter des ballades.
Fort heureusement, ni son handicap physique (syndrome de Kallman), ni un contrat misérable avec une maison de disque qui a mis en veilleuse sa carrière pendant trente ans, ni même la drogue et l’alcool n’ont eu raison de son talent.
Quant à l’enfant de l’apartheid, Abdullah Ibrahim, il renoue lui aussi avec le succès de sa jeunesse. Après un parcours semé d’exil et de pérégrinations sur tous les continents: Japon, Etats-Unis, France ou encore Suisse. En 1977, il a effectivement enregistré l’«African Suite for Trio and String Orchestra», à l’Abbatiale de Payerne.
Celui qui a joué avec Duke Ellington et Myriam Makeba revient avec «African Magic», un album magnifique où le jazz renoue avec ses racines africaines.
Jeune loup à l’avenir prometteur
Hormis ces toutes grandes références du jazz, les artistes suisses ne sont pas en reste. La découverte du festival est sans conteste Luca Stoll et son quartet.
Le pedigree de ce saxophoniste de 25 ans impressionne. «C’est un énorme bosseur qui a parcouru les quatre coins de la terre pour travailler avec les plus grands saxophonistes», raconte Carine Zuber.
A vingt ans, après des années de conservatoire en Suisse, il part pour New York où il parvient à suivre des cours dans l’atelier de Branford Marsalis.
«Il a sorti son premier album (« Mixing Memory And Desire ») à 24 ans avec son propre quartet. Et ce qui est exceptionnel, précise Carine Zuber, c’est qu’il en a composé tous les morceaux. C’est très rare pour un premier opus.»
D’autant que ses compositions très talentueuses démontrent une maturité étonnante. Voilà qui augure d’une belle carrière.
Voix et instruments traditionnels revisités
Et puis, du côté de talents helvétiques plus confirmés, mais pas moins originaux, Cully accueille deux duos. Stimmhorn ainsi que Sina et Stucki. Tous deux s’inspirent et retravaillent à leur manière les traditions suisses.
Stimmhorn, le duo bâlois joue sur des sonorités alpestres fascinantes avec l’album «Inland». Ou comment le cor des Alpes de Balthasar Streiff côtoie l’accordéon et les yodles de Christian Zender.
Ils marquent majestueusement le renouveau de l’art du souffle, tout en utilisant des méthodes et des instruments ancestraux. Fraîcheur et humour assurés.
Et enfin, Sina, star de la pop suisse-allemande et Erika Stucki, chanteuse de jazz mèlent leurs univers. Les Haut-Valaisannes présentent à Cully une création dont les germes remontent à Expo.02.
Après avoir chanté chacune sur un arteplage lors du spectacle d’ouverture de l’Exposition nationale, elles ont tourné un petit film pour la Journée valaisanne.
Assez surréaliste, il raconte une légende valaisanne sur lequel elles posent leurs voix…, tenez-vous bien, en patois. A Cully, elles poursuivent l’expérience, avec un film d’une heure cette fois-ci.
swissinfo, Anne Rubin
Le Cully Jazz Festival se déroule du 21 au 29 mars.
– Le Cully Jazz Festival en est à sa 21e édition
– Il se déroule sur deux scènes: le Next Step et le Chapiteau
– Le festival «Off» se déroule dans 9 caveaux
– Carine Zuber, programmatrice depuis longtemps, en a repris la direction en 2002
– Elle succède à Emmanuel Gétaz, le fondateur de Cully
– Les plus grands du jazz sont passés par le petit village vigneron
– Cette année, une quarantaine d’artistes se produiront sur les scènes «on»
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