Déshabillez-moi… toujours
Aragon, Prévert, Ferré, Brel, Gainsbourg, mais aussi Manset, Miossec ou Carrière se sont invités au Casino de Montreux à travers la voix de Juliette Gréco. Une dame dont l’espièglerie et le goût pour la poésie sont restés intacts. D'un autre temps? Oui. Mais magique.
Et voilà que cette 29e édition attaque déjà sa deuxième semaine. Dans le désordre, The Corrs, Isaac Hayes, Garbage, Patti Smith, BB King, CS&N, Lauryn Hill, Elvis Costello, Tori Amos, Marianne Faithfull, José Feliciano, Kraftwerk, Audioslave, notamment, ont déjà fait escale cette année à Montreux…
Et le Cubain Ibrahim Ferrer comme le Californien Brian Wilson – Beach Boy! – jouaient au Centre des Congrès dimanche soir, alors que du côté du Casino, c’est Juliette Gréco, précédée de Gonzales, qui était à l’affiche.
Gonzales, un petit génie canadien du piano venu offrir un mini-récital, seul avec son instrument. S’il a déjà collaboré avec Jane Birkin et – de façon avortée – avec Charles Aznavour, c’est plutôt du côté d’Eric Satie, de Keith Jarrett voire de Yann Tiersen – lorsque ce dernier ne fait pas dans le bretonnant – qu’il faut aller chercher des parentés.
Plutôt doux-amer, donc, sauf quand notre Canadien monté sur ressort décide de revisiter façon jazzy «Another One Bites the Dust» de Queen, ou de faire carrément exploser «Over the Rainbow»…
Respect!
Que va-t-on voir, précisément, lorsqu’on va écouter Juliette Gréco en concert en 2005? Une chanteuse? Une légende? Un mythe, celui de Saint-Germain-des-Prés et de l’existentialisme? Une dame âgée dont le dernier tour de piste approche inexorablement?
Un peu de tout cela, nécessairement. Et le début du concert nous plonge d’ailleurs dans un temps qui n’existe plus. Musiciens assis, tout de noir vêtus, serrés dans un coin de la scène. Le reste de l’espace étant à disposition de LA chanteuse. Un peu comme quand l’orchestre se trouvait dans la fosse, ou quand, comme chez Montand, un rideau séparait l’orchestre du chanteur…
Après l’introduction musicale de rigueur, Juliette Gréco entre en scène d’un pas alerte. Sa voix est ferme. Et elle ne se départira pas de son énergie, de sa vivacité, de sa fraîcheur – osons le mot – pendant plus d’une heure et demie. Impressionnante.
Elle commence son récital par «Je jouais sous un banc», chanson signée Gérard Manset, qui ouvre son dernier album, «Aimez-vous les uns les autres ou bien disparaissez…». Et bifurque immédiatement sur «Jolie môme» de Léo Ferré…
Car les incontournables de Gréco seront au rendez-vous de ce spectacle, qui n’est autre que celui qu’elle a présenté à l’Olympia en 2004.
Défilé de classiques
«Un petit poisson, un petit oiseau», «Sous le ciel de Paris», «Trois petites notes de musique», «Accordéon», «La Javanaise», «Les feuilles mortes», «Paris canaille» seront donc de la partie… Moins connue mais superbe, la chanson «C’était bien» de Bourvil, qu’avait également reprise il y a quelques années le groupe genevois «Le Soldat Inconnu».
Et puis il y a ce moment attendu, qu’elle aborde avec intelligence: «Celle-ci, c’est une chanson que je ne devrais pas chanter… Ne vous inquiétez pas, je n’ai pas perdu le sens de l’humour, ni les boulons! La chanson s’appelle…. ‘Déshabillez-moi’!»
Le public rit, ou sourit. N’empêche, la magie fonctionne: sous le feu des projecteurs, la silhouette est éternelle, la même qu’il y a vingt ans, trente ans, quarante ans… Et le mélange d’espièglerie et d’autorité que Juliette Gréco glisse dans son injonction – déshabillez-moi – fait vite oublier la réalité de son âge.
Dans l’ombre, Gérard Jouannest
Arrangements sophistiqués, mais d’un autre siècle, déjà. Interprétation parfois surjouée, selon les critères actuels. Bien sûr, on le disait, on est là dans une époque, révolue.
Mais le choix de Juliette Gréco a le mérite de la clarté: même si elle a fait appel à de jeunes talents sur son dernier album (Miossec, Benjamin Biolay), pas question, musicalement, de faire dans le jeunisme. Et confiance absolue, manifestement, dans un homme qui dessine son univers depuis des années: Gérard Jouannest.
Gérard Jouannest, son pianiste, qui depuis l’angle de la scène veille sur elle. Mais aussi son compositeur attitré, son arrangeur… et son mari. Gérard Jouannest qui, faut-il le rappeler, fut également, avec François Rauber, le bras droit de Jacques Brel.
Certains chansons qu’ils ont cosignées sont d’ailleurs au programme: «Bruxelles», «La chanson des vieux amants», et «J’arrive», ce monumental dialogue avec la mort, ou plutôt ce monologue, car la mort, elle, ne dit rien, elle attend. Ce monologue, Juliette Gréco le balance dans un phrasé qui tient du cri, de l’aboiement. Peur. Urgence.
Et puis il y a de nombreux autres titres où la patte Jouannest est bien là, «Le contre-Ecclésiaste» ou ce sombre «Train de nuit» (deux chansons dont les paroles sont signées Jean-Claude Carrière). Et la plupart des chansons du dernier album.
Jouannest et Gréco, une histoire de chansons, une histoire d’amour. A croire que c’est pour eux que, sans le savoir, Brel écrivit un jour «La chanson des vieux amants»:
«Finalement, finalement
Il nous fallut bien du talent
Pour être vieux sans être adultes…»
swissinfo, Bernard Léchot à Montreux
Le 39e Montreux Jazz Festival a lieu jusqu’au 16 juillet.
Il se décline en une multitude de lieux: le cœur de la manifestation, le Centre des congrès (Auditorium Stravinsky et Miles Davis Hall), mais aussi le Casino Barrière pour les concerts plus spécifiquement jazz.
La fête se prolonge en général au ‘Montreux Jazz Café’ ou au ‘Montreux Jazz Club’.
Et c’est sur plusieurs scènes le long des quais que se tient le festival off, gratuit, rebaptisé depuis peu ‘Montreux Jazz Under The Sky’.
Parallèlement aux concerts proprement dits, des concours instrumentaux et des workshops ont lieu chaque année.
– Juliette Gréco est née en 1927 à Montpellier. Enfance à Bordeaux, Paris, puis en Dordogne. Elle est emprisonnée pendant la guerre à cause des actes de résistance de sa mère.
– A la Libération, petits rôles à la Comédie française et vie de bohême entre le Quartier Latin et Saint-Germain des Prés. Devient une personnalité ‘people’ du Paris branché.
– Se lance dans la chanson en 1949, avec des textes de Reymond Queneau, Jules Lafforgue, Jacques Prévert…
– Elle ne cessera de chanter depuis, tout en pratiquant également le métier de comédienne au théâtre, au cinéma et à la télévision (série «Belphégor», 1965).
– Son dernier album en date s’intitule «Aimez-vous les uns les autres, ou bien disparaissez» (2003). On y trouve des collaborations avec Gérard Manset, Art Mengo, Bernard Lavilliers, Christophe Miossec ou Benjamin Biolay.
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