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Electro et jazz, un mariage décapant

Gilles Peterson, un dénicheur de sons métissés et de sonorités méconnues. Montreux Jazz Festival

Depuis quelques années, le Montreux Jazz Festival s’est ouvert à la musique électronique, un genre plus proche du jazz qu’on ne le pense.

Certaines soirées électro explorent les territoires de la fusion dans un esprit très jazz. D’autres sont sans concession.

Depuis quatre ans, la soirée concoctée à Montreux par le dj anglais Gilles Peterson réunit un public aussi éclectique que les artistes qu’il présente.

De vieilles stars à redécouvrir, en l’occurrence Roy Ayers, se partagent habituellement la vedette avec de jeunes loups de la nouvelle scène électro-jazz.

Amateurs de «new electronica», de hip hop, de funk ou de breakbeat affluent de toute la Suisse au Miles Davis Hall (MDH) pour les traditionnelles «wednesday sessions» du cofondateur du label Talkin’ Loud.

Il faut dire aussi que Peterson a depuis toujours un faible pour la Suisse: il y est né, adore venir y skier et pendant des années a ravi les auditeurs dominicaux de Couleur 3, la troisième chaîne publique, avec son émission «Worldwide». Il s’adresse d’ailleurs au public en français.

Dénicheur de sons métissés et de sonorités méconnues, et d’une simplicité jamais désavouée malgré sa célébrité, le dj s’est à nouveau contenté mercredi d’assurer les transitions entre les groupes.

D’ailleurs, Gilles Peterson semble avoir compris qu’il faut donner à voir autant qu’à écouter sur une scène aussi grande que celle du MDH.

Et donc convier des groupes, qui, s’ils sont attachés à l’électronique, travaillent avec des musiciens et des chanteurs live. Il n’y a rien de plus désolant qu’un dj perdu sur scène, seul derrière ses platines ou ses machines.

Et cette formule permet d’ailleurs d’innover. L’an dernier, par exemple, Herbert, dj expérimentateur, s’était produit avec un big band de jazz. Résultat: un clash fascinant même si pas tout à fait convaincant.

Mélopées syncopées du «Nu jazz»

Parfaitement concluante, la prestation «Nu Jazz» du combo anglais Two Banks of four (2bo4) l’a été mercredi. Dès leur entrée en scène en grande formation, la soirée a réellement pris son envol.

Et, oh surprise et ravissement, au chant, Bembe Segue, l’égérie de la scène musicale du «West London», en duo avec Paul Jason Fredericks.

Ce petit bout de femme maîtrise sa voix comme personne, qu’elle emmène du grave velouté aux aigus piquants. Ses mélopées syncopées s’allient d’ailleurs parfaitement avec les «broken beats» (rythmes cassés) typiques du «nu jazz».

Et les morceaux du nouvel album de 2bo4 à paraître en octobre, présentés en primeur, n’ont pas déçu. Leur jazz, car c’est bien de ça qu’il s’agit, reste enchanteur et continue à explorer de vastes territoires sonores.

La «Nu soul» de Detroit

Un peu plus tard, Dwele, chanteur et musicien de Détroit, ville où est née la techno à la fin des années 80, a lui aussi réussi le pari du métissage des genres.

Réceptacle à lui seul des diverses facettes qui ont fait de Motown une référence musical, il peut être qualifié d’étoile montante de la «nu soul».

Joutes vocales avec la chanteuse ou plus impressionnantes encore avec les musiciens, comme ses textes engagés laissent pantois. Comme Peterson à la réception de son premier album.

En comparaison, la prestation des plus classiques du vibraphoniste de génie Roy Ayers, semblait manquer d’un zeste d’exploration sonore. Et le duo improvisé avec Jay Kay, leader de Jamiroquai, n’y a rien changé.

Et pourtant, le papi de la scène New-Yorkaise est un touche-à-tout par excellence. Depuis les années 70, il s’est essayé au jazz, à la funk, au disco et a même travaillé avec des producteurs house, qui l’ont d’ailleurs largement remixé et samplé.

L’expérimentation continue

Dès lors, on ne peut que constater que, contrairement à ce qu’affirment certains, l’électro a sa place au Montreux Jazz Festival. Et peut-être plus qu’on ne le pense.

Ce genre et ses multiples sous-genres, exceptées évidemment les innombrables productions commerciales, procèdent des mêmes principes que le jazz: des thèmes sont répétés et évoluent librement sur une grille d’improvisation donnée.

Et les amateurs d’expérimentation sonore digitale, ont déjà pu se régaler à Montreux cette année: ils ont pu apprécier Laurent Garnier, star incontestée de la house française avec l’incroyable Bugge Wesseltoft.

Jeudi soir, King Britt, maître de Philadelpy et roi aussi des fusions improbables, risque bien d’enflammer la scène aux côtés des Roots.

Quant aux purs et durs, leurs oreilles radicales seront comblées avec «Hi tek», la soirée de vendredi 18 qui présente Ellen Allien, Cajmere et Plastikman, rompus aux «beats» électroniques sans concession et carrément industriels.

Ils risquent de secouer la foule feutrée du Miles Davis Hall. Eux qui habituellement se produisent dans des clubs ou des halles d’usines désaffectées.

Si Cajmere (Chicago), aka Green Velvet, distille une house carrée, percutante et sexy, la Berlinoise Ellen Allien explore les bas fonds rugueux et sombres de l’électro. Ses breakbeats abruptes sont pourtant emprunts d’une étrange mélancolie tout allemande.

Quant au Canadien Plastikman, aka Ritchie Hawtin dont c’est le retour après quelques années de retraite, il a toujours privilégié les «blips» d’une techno minimaliste.

Mais en fait, on ne peut que saluer le risque pris par le vétéran des festivals de jazz suisses, qui par ailleurs fait des choix de programmation des plus conformistes et commerciaux.

Il est du moins certain de continuer à attiser la curiosité des plus jeunes.

swissinfo, Anne Rubin, Montreux

– Gilles Peterson propose depuis quatre ans une soirée découverte alliant jazz et électro.

– Le Montreux Jazz Festival s’est ouvert depuis quelques éditions à la musique électronique, comme il a d’ailleurs intégré les autres genres musicaux dès ses débuts.

– Cette année, on a vu les dj’s Laurent Garnier, Bugge Wesseltoft, Jazzanova, Michael Reinboth du label Compost ou King Britt.

– Vendredi (18) se produiront notamment Ellen Allien, Cajmere, Plastikman, et samedi (19), Two Many Dj’s.

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