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Le Haut Moyen-Âge vaut mieux que sa (triste) réputation

Homme assis posant avec un livre
Grand spécialiste des Burgondes en Suisse, Justin Favrod ne voit pas du tout le Haut Moyen-Âge comme une période obscure. Bien au contraire. swissinfo.ch

Le Haut Moyen-Âge, qui s’étale de 500 à l’an mil, est souvent considéré comme une période sombre et violente. Une exposition et un livre veulent casser ce cliché et réhabiliter une époque qui a contribué à façonner la Suisse moderne.

Amphithéâtres, auteurs classiques, légions invincibles: l’Antiquité romaine est vue comme une période faste de l’Occident. Cathédrales, moines copistes, chevaliers en armure: le Moyen-Âge féodal, à partir de l’an mil, fait aussi rêver beaucoup d’amateurs d’Histoire. Mais entre les deux? Bien des gens n’y voient qu’une sorte de trou noir caractérisé par les invasions barbares, la violence et la régression culturelle.

Le Musée d’histoire du Valais et le Musée d’archéologie et d’histoire de Lausanne veulent casser ce «cliché». Inaugurée à la mi-juin, l’exposition «Aux sources du Moyen-Âge»Lien externe est visible à Sion jusqu’au 5 janvier. Elle le sera ensuite à Lausanne, sous une forme différente, à partir de février. Le public peut y découvrir les plus récentes découvertes des archéologues et des historiens, ainsi que des objets exceptionnels prêtés par diverses institutions pour l’occasion.

Cette collaboration entre les deux musées a abouti à la publication d’un livre intitulé «Aux sources du Moyen-Âge. Entre Alpes et Jura de 350 à l’an 1000»Lien externe, sous la direction de l’archéologue Lucie Steiner, l’une des meilleures spécialistes du domaine.  

Historien spécialiste du Haut Moyen-Âge, notamment des Burgondes, et co-directeur du mensuel romand d’histoire et d’archéologie «Passé simple»Lien externe, Justin Favrod a rédigé de nombreux textes de cet ouvrage. Pour lui aussi, le Haut Moyen-Âge mérite mieux que sa réputation.

crosse
Crosse de saint Germain, la plus ancienne crosse décorée au monde, provenant du trésor de Moutier-Grandval. (7e siècle) Musée jurassien d’art et d’histoire, Delémont; B. Migy

swissinfo.ch: Pourquoi cette période est-elle qualifiée d’«obscure»?

Justin Favrod: Les périodes historiques ont été créées aux 18e et 19e siècles, à une époque où la référence culturelle absolue était l’Antiquité gréco-romaine. Tout ce qui n’était pas influencé par le gréco-romain était considéré comme quelque chose de négatif. C’est la principale raison.

Il y a aussi des raisons historiques et culturelles. Les zones francophones avaient une vision très négative du monde germanique depuis la guerre franco-prussienne de 1870 jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Or, vu que le Haut Moyen-Âge constitue la grande période des peuples germaniques, c’est forcément une période «noire» pour les Français. Le regard sur la période est différent en Allemagne.

swissinfo.ch: Mais soyons francs, le Haut Moyen-Âge n’a pas laissé de prestigieux vestiges ni des trésors de littérature…

J. F.: Il y a eu une concomitance malheureuse pour la réputation du Haut Moyen-Âge. À la fin de l’Empire romain, on repasse à l’architecture celtique basée sur le bois et la terre, qui laissent peu de traces. Quant à l’écrit, il diminue peu à peu pour une raison toute bête: le papyrus n’arrive plus d’Égypte, car les routes commerciales sont coupées par les Vandales d’abord, puis par les Arabes. Le support de l’écriture devient alors le parchemin, c’est-à-dire de la peau de bête, qui coûte extrêmement cher. On écrit donc moins pour des raisons de coûts.

La disparition de l’écrit et des monuments en pierre, ce n’est effectivement pas très bon pour la réputation de cette période. Mais si l’on regarde en détail le travail des artisans des 6e et 7e siècles, on découvre un véritable talent. Par exemple, le vitrail est inventé à cette époque. Il existe alors un vent nouveau, de nouveaux objets que le public peut admirer à l’exposition de Sion.

swissinfo.ch: Une exposition dont le but affiché est de casser le cliché d’une période obscure.

J. F.: En effet, les organisateurs ont vraiment voulu montrer que ce n’était pas une période noire. Elle était certes compliquée, avec des guerres et de la violence, mais également brillante. On passe alors de la production en masse d’objets identiques dans les ateliers impériaux à de l’artisanat local de qualité. Par exemple, les boucles de ceinture deviennent des objets uniques finement ouvragés. Avec le fractionnement géographique apparaît toute une activité locale qui n’existait pas sous l’Empire romain.

swissinfo.ch: Est-ce que notre regard sur la période est en train de changer?

J. F.: Ce qui est frappant dans cette période, c’est son côté romanesque. Il y avait des rebondissements, des guerres, des histoires d’amour et de vengeance. Cela stimule beaucoup l’imagination. On le voit dans des séries comme «Kaamelott» ou «Game of Thrones». Elles remettent les projecteurs sur cette période.

Clef en bronze
Clef en bronze provenant de Martigny, en Valais. (8e-9e s.) Musées cantonaux du Valais, Sion. Michel Martinez

swissinfo.ch: Plus important, c’est à cette époque que commencent à apparaître des phénomènes qui marquent encore la Suisse moderne, notamment par rapport aux langues.

J. F.: C’est en effet à cette époque que la frontière linguistique commence à se mettre en place. À l’ouest, il y a les Burgondes, qui se sont établis à Genève dès 443. Ce peuple germanique protège les populations locales gallo-romaines et leur langue. À l’est, on trouve les Alamans, qui se sont installés sur la rive sud du lac de Constance en 506. Ceux-ci soumettent les populations locales et font progresser la langue germanique.

Les Alamans grignotent progressivement le territoire gallo-romain qui dépend des Burgondes. La frontière linguistique actuelle correspond en gros au point d’équilibre entre le duché des Alamans et le royaume de Burgondie. Ce mouvement progressif s’est achevé au 12e siècle.

Les Burgondes n’ont pas protégé les populations locales par pure bonté d’âme. Simplement, peu nombreux et entourés d’autres tribus germaniques plus puissantes (Francs, Alamans, Ostrogoths, Wisigoths), ils avaient un besoin vital de collaborer avec les Gallo-Romains pour survivre.  

Ce qui est le plus passionnant durant cette période, c’est la confrontation de deux cultures totalement différentes d’un point de vue culturel et social. Germains et Gallo-Romains ont dû s’entendre et ont fini par fusionner pour créer le monde médiéval.

swissinfo.ch: Des migrations de populations et des confrontations culturelles. Encore quelque chose qui sonne très actuel…

J. F.: Effectivement, on peut se dire qu’il existe quelque chose du genre aujourd’hui et imaginer que de la confrontation naîtra un mélange, et du mélange émergera quelque chose de nouveau. L’avenir le dira.

Boîte décorée de pierres précieuses.
Coffret mérovingien provenant du Trésor de l’Abbaye de Saint-Maurice. (7e siècle) © Glassey Jean-yves, Martinez Michel

swissinfo.ch: La sensibilité différente entre Romands et Alémaniques en politique trouverait aussi ses racines dans cette période.

J. F.: Les Germains avaient tous une conception extrêmement sommaire de l’État. On fait partie d’un État, d’une nation ou d’un peuple si on suit un roi. Si un Vandale suit un roi franc, il devient Franc. Très intégrés à la population locale, les Burgondes ont développé une notion d’État beaucoup plus forte, à la romaine. Cela se ressent probablement encore aujourd’hui dans les résultats de votations. On sent les héritiers des Burgondes chez les Romands et peut-être les Bernois d’aujourd’hui, qui sont plus étatistes que les habitants de la Suisse orientale, descendants des Alamans.

Notre géographie administrative est aussi fortement marquée par cette période. Les grandes cités romaines périclitent et les campagnes se peuplent. La plupart des localités que nous connaissons encore aujourd’hui se créent à cette époque, sur la base de la paroisse. Autre phénomène, les petites villes qui abritent le pouvoir de l’évêque ou du comte au 7e siècle deviendront plus tard des chefs-lieux cantonaux: Lausanne, Sion, Coire, Genève, Bâle. On sent vraiment que nous sommes les héritiers d’une structure urbaine et de localités qui s’est mise en place à cette époque.

Des dates fluctuantes

Les historiens fixent à 476 la fin de l’Antiquité et le début du Moyen-Âge. Cette date marque la déposition du dernier empereur romain d’Occident par un roi barbare.

Deux dates peuvent marquer la fin du Moyen-Âge. Traditionnellement, il s’agit de 1453, date de la chute de Constantinople et de la fin de l’Empire romain d’Orient. Mais de plus en plus d’historiens retiennent 1492, date de l’arrivée de Christophe Colomb aux Amériques.

La durée du Haut Moyen-Âge fluctue aussi. On fait généralement aller cette période de la fin de l’Empire romain (476) à l’an mil. Mais certains – comme c’est le cas des concepteurs de l’exposition de Sion et Lausanne – la font remonter à 350, date qui marque le début de l’affaiblissement définitif du pouvoir central romain. Et certains historiens fixent la fin de cette période à 888 déjà, moment où disparaissent les structures politiques carolingiennes. 

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