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L’alchimie, des cavernes à nos jours

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Imhotep, Avicenne, Nicolas Flamel et les autres... Rolf Kesselring publie «Alchimie, un rêve d'éternité» et nous rappelle que l'utopie alchimique ne se limite pas à la transmutation du plomb en or.

L’écrivain – et ancien éditeur – s’est toujours passionné pour l’Histoire. Pas prioritairement celle des rois, des palais et autres champs de bataille. Plutôt celle des «grands bizarres qui ont peuplé l’Histoire», selon son expression.

A ces «grands bizarres» et à leurs bizarres sujets d’études, il avait déjà consacré quelques livres lorsqu’il vivait en Ardèche. Aujourd’hui, ce sont environ 230 pages consacrées à l’alchimie – au sens très large – qu’il nous propose.

swissinfo: Dans votre livre, vous dites revendiquer «l’intuition poétique dont parlaient Jacques Bergier et son complice Louis Pauwels», notamment dans ‘Le matin des magiciens’. Intuition poétique et rigueur, c’est conciliable?

Rolf Kesselring: Des gens comme Gérard De Nerval, Victor Hugo ou d’autres ont eu parfois des intuitions qu’on peut qualifier de mathématiques ou de physiques, mais ils les disaient sous une forme poétique.

Leonard de Vinci, dans ses carnets, raconte que lorsqu’il regardait un mur blanc, c’est à partir du moment où dans le chaulage du mur il voyait une fissure que son esprit s’évadait et qu’il inventait. J’ai toujours pensé que le défaut dans la pureté, c’est la zone interstellaire, la zone qui nous met en communication avec le cosmos entier.

swissinfo: «Alchimie, un rêve d’éternité» est une vaste chronologie de personnages où défilent Imhotep, Marie la Juive, Avicenne, Nicolas Flamel, Nostradamus, Fulcanelli…

R.K.: Ce que m’a demandé mon éditeur, Pierre-Marcel Favre, c’est un survol des cinq millénaires sur lesquels on a des documents qui permettent de dire qu’on procédait à des expériences en la matière. La première expérience, c’est le type qui passe le doigt dans de la graisse qui a suinté dans le foyer d’une caverne, qui la mélange à de la cendre et qui fait un trait sur la paroi!

swissinfo: Sous l’étiquette «alchimie», vous placez les alchimistes habituellement reconnus comme tels, mais aussi les mages, les chamanes, les rebouteux, les prophètes, les magiciens… Vous ratissez large!

R.K.: A l’instar des Bergier et Pauwels cités plus haut, j’ai toujours pensé qu’il y a eu une culture planétaire. Les Sibériens ont essaimé dans le continent américain à travers le Détroit de Béring, en y apportant leurs traditions, y compris celles de leurs chamanes. En lisant l’histoire de Paracelse, j’ai appris qu’il avait été prisonnier des chamanes altaïques, qu’il est resté chez eux plusieurs années et qu’il a pratiqué la médecine du tambour, du rythme binaire qui est le rythme de la vie.

Au fur et à mesure que j’ai rencontré ces personnages, j’ai découvert que la médecine et l’alchimie étaient liés. C’est pour cela que mon bouquin porte un sous-titre: «un rêve d’éternité».

Les alchimistes médiévaux, qui recherchaient les subventions et la protection des seigneurs pour pouvoir manger, vivre, avoir un laboratoire, prétendaient savoir fabriquer de l’or. Mais la transmutation métallique n’est qu’une étape. La véritable quête, c’est l’élixir de longue vie, «l’Or du millième matin».

swissinfo: D’où la distinction entre alchimie opérative et alchimie spirituelle. La même relation qu’entre maçonnerie opérative et maçonnerie spéculative?

R.K.: Que ce soit chez Avicenne ou les médiévaux comme Paracelse ou Albert le Grand, la spiritualité était bien là, la foi dans un principe créateur. Et je crois que le fait de mener de longues recherches pousse les gens à devenir des quêteurs spirituels.

Même à l’heure actuelle, au CERN ou ailleurs. Parce qu’en procédant à une quête matérielle, on fait aussi une quête sur soi-même. La quête de l’alchimie, soit pousser la vie le plus loin possible, était aussi une quête moléculaire, même si alors on n’appelait pas ça des molécules.

swissinfo: Dans votre livre, on tombe sur plusieurs concepts associés à la franc-maçonnerie: la pureté et l’impureté, la lumière et l’obscurité, le chemin vers la connaissance… Est-ce à dire qu’alchimie et franc-maçonnerie se rejoignent?

R.K.: Bien sûr. Les francs-maçons se réclament des constructeurs du Temple de Jérusalem, et de son architecte, Hiram. Les francs-maçons sont les compagnons spéculatifs, mais répètent encore rituellement les nombres d’or de la construction.

Mais la «construction» ne concerne pas que les temples. Les temples étaient à l’époque à ciel ouvert, ce qui explique la voûte étoilée des loges maçonniques. Où l’on vise à construire… l’univers. Ce qui est un programme vachement plus vaste qu’un petit temple à Jérusalem ou ailleurs.

swissinfo: Au fil des pages, vous mêlez allègrement récits, rumeurs, miracles, sans jamais trancher entre légende et histoire.

R.K.: Maintenant que j’ai atteint un âge presque canonique, je m’aperçois d’une chose: j’ai peu de réponses et beaucoup de questions. Donc beaucoup de doutes. Cela explique peut-être cette manière de dire et de ne pas dire, de suggérer. Globalement, j’ai toujours été un peu outragé par les certitudes humaines.

Avec «Monsieur Mauve», un alchimiste qui est interviewé à la fin de mon livre, quelqu’un que j’ai côtoyé pendant plus de quarante ans, il y a des choses que j’ai vues, que j’ai touchées. Des choses qu’il faisait avec ses compagnons – car ils sont en liaison – et à propos desquelles je ne suis pas très sûr de moi. Est-ce que j’ai rêvé? Est-ce que j’ai voulu voir les choses comme ça? Des années plus tard, il est difficile de trancher.

swissinfo: Aujourd’hui, quel est le lien personnel de Rolf Kesselring avec l’Art royal, autre nom de l’alchimie?

R.K.: Fascination et curiosité. Je me tiens au courant des travaux récents, puisque j’ai la chance, grâce à l’ami dont je parlais, de correspondre avec un certain nombre de savants très officiels, qui jamais ne diront à haute voix qu’ils font des recherches alchimiques: on leur enlèverait leurs subventions!

On a conçu des filières qui spécialisent les gens, ce qui est une erreur: «université» veut dire «universalité». Mais les gens, dès qu’ils en ont la possibilité, se remettent à chercher tous azimuts. Un chercheur, c’est quelqu’un qui regarde le monde et qui est en quête des secrets de notre existence. Une quête qui est à la fois matérielle et spirituelle, et dont il ne faut pas brûler les étapes.

La connaissance – et l’alchimie en fait partie – a souvent été symbolisée par une montagne avec des stades pour arriver au sommet: la caverne du loup, du lion, de l’aigle etc. Celui qui pratique la recherche noire, ce que le peuple a appelé la magie noire par rapport à la magie blanche, c’est celui qui essaie de monter la montagne en ligne droite, en prenant des raccourcis.

Celui qui passe par toutes les étapes parvient à la connaissance. Il est alors à l’image de la peinture que j’ai choisie pour la couverture de mon livre: l’homme parfait, celui qui a réussi sa recherche matérielle et spirituelle. Il devient lumineux comme un soleil.

Interview swissinfo, Bernard Léchot

Rolf Kesselring est né en 1941 à Martigny.

Années 70 et 80: librairies et édition «La Marge». Kesselring publie des gens comme Gilles Vigneault, Roland Topor, Fernando Arrabal, Milo Manara, Hugo Pratt.

1990: A Paris, il crée les Editions de Magrie. Puis part dans le Sud de la France, où, entre fiction et journalisme, il vit de l’écriture. Aujourd’hui, Rolf Kesselring vit à nouveau en Suisse, dans le Jura vaudois.

Il collabore depuis plusieurs années avec swissinfo en y publiant notamment des chroniques littéraires.

La 4e Classe (Ed. Favre, 1985)

Putain d’amour (Ed. Favre, 1986)

La lettre à Mathieu (Ed. Campiche 1991)

Allez Tapie (Ed. de Magrie, 1994)

Plusieurs petits ouvrages sur l’ésotérisme aux Editions Credel, collection ‘Les Héritiers De L’impossible’.

«Piège», roman (Ed. de l’Aire, 2004).

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