L’amour, la politique, la mort
Après «Scheherazade», la Suisse est présente en compétition à Locarno avec «Happiness is a Warm Gun» du Lucernois Thomas Imbach, dont c'est le premier long-métrage. Une sorte d'OVNI.
«Happiness is a Warm Gun», chantait Lennon en projetant sur le canon de l’arme une métaphore très sexuelle. Et c’est à cette chanson qu’a pensé Thomas Imbach, après que la mort violente de Petra Kelly et de Gert Bastian, en 1992, eut fait la une des journaux, et qu’elle fut devenue pour lui une préoccupation dramatique à la limite de l’obsession.
Petra Kelly, la passionaria pacifiste et écologiste de l’Allemagne des années 80. Gert Bastian, un ancien général converti au mouvement «grün» par amour pour la militante survoltée. Un couple hors du commun, dont la trajectoire se termine brutalement: Gert tire une balle dans la tête de Petra, et se suicide ensuite. Rideau.
Reste le mystère. Certains y ont vu un coup des services secrets chinois ou de la Stasi… Imbach, lui, est sûr que cette double mort est une affaire interne au couple. Une ultime façon de s’envoyer en l’air, en quelque sorte. Point de vue qui dérangera les défenseurs de l’explication politique. Et qui, accessoirement, nous donne un éclairage sur le titre.
Du check in à l’envol
La construction du film est pour le moins originale. Tout commence par le premier coup de feu tiré par Gert Bastian (Herbert Fritsch). Puis, pendant 95 minutes, le réalisateur imagine ce qui se passe dans le cerveau de Petra Kelly (Linda Olsansky) entre la déflagration et le moment où la balle achève son parcours. Mélange de présent et de passé, de réalisme et d’onirisme, de fiction et de documentaire, cette fraction de seconde infiniment étirée se déroule dans un aéroport, lieu de transit par excellence.
Si on a tenu jusqu’à l’issue du film (et ce ne fut de loin pas le cas de tout le monde lors de la projection de presse), on en sort assez estomaqué. Impressionné, car le sujet est fort, et son traitement éminemment personnel. Et dérangé aussi. En ce qui me concerne, principalement pour deux raisons.
Problème structurel pour commencer. Un film se doit d’être relativement autonome. Or là, si le spectateur n’a pas lu les explications préalables, il a toutes les chances d’être très vite et totalement largué.
Point de vue que ne partage évidemment pas Imbach: «Dans la littérature, il y a beaucoup de mélanges de temporalités, ce n’est pas nouveau. Evidemment, par rapport au cinéma ‘mainstream’, c’est un peu étonnant de faire un film comme ça. Mais si on est prêt à jouer avec ces matériaux, si on est ouvert à cette méthode, on devrait pouvoir en profiter». S’il le dit.
Le goût de l’égout
Problème culturel ensuite, et là c’est davantage une question personnelle. Pourquoi certains réalisateurs germaniques goûtent-ils tant à la trivialité des choses? Caméra fixée sur la blessure à la tempe de Petra, gros plans sur la peau et ses imperfections, poils divers, mouchoir taché de sang, séquence aux toilettes quand Gert et Petra effectuent – ensemble! – un test de grossesse…
Tout cela est diablement clinique. «Le trivial, c’est le plus intéressant», répond tranquillement Thomas Imbach. «Les choses les plus simples sont les plus importantes pour moi. J’aime montrer une chose à la fois, je n’aime pas montrer trop sur une image. C’est aussi une façon de faire passer l’émotion. Mais vous avez raison, c’est un environnement parfois très clinique».
Problème culturel, disais-je. Il est des énigmes germaniques qui échapperont toujours au latin que je suis.
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