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Mario Botta à cœur ouvert

Mario Botta: en toile de fond l’œuvre (ici, la cave à vins Moncucchetto à Lugano-Besso), au premier plan, l’homme. Keystone

Dans un livre-interview publié en mars, Mario Botta se raconte à cœur ouvert. Ses conversations avec le journaliste et écrivain tessinois Marco Alloni permettent au lecteur de découvrir l'homme profond et modeste à la fois qui se cache derrière l'architecte de renommée mondiale.

«Bien sûr, beaucoup de livres ont été écrits sur Mario Botta, mais il s’agit d’ouvrages spécialisés sur ses travaux, sur sa façon de concevoir l’architecture. Rien encore n’avait été publié sur sa vie, son enfance, sur le parcours qu’il a entrepris pour devenir ce qu’il est» explique à swissinfo.ch Marco Alloni, journaliste et écrivain né en 1967 à Mendrisio et qui réside au Caire depuis 14 ans.

«Comme tout le monde, je connaissais Mario Botta depuis des années. Je le connaissais de réputation et de vue, quand je l’apercevais de temps en temps dans les rues de Mendrisio et je le connaissais pour ses constructions disséminées dans tout le canton, précise Marco Alloni. Mais j’étais intrigué par sa dimension humaine et je ne cessais de me demander qui il était vraiment, quel avait été son vécu, comment il était arrivé à l’architecture…»

 

C’est ainsi que le journaliste commence à recueillir toutes les informations possibles sur l’architecte: «j’ai cherché dans les bibliothèques, sur internet et je me suis rendu compte qu’il n’existait rien sur l’homme Mario Botta, même si des dizaines et des dizaines d’ouvrages – essais, monographies, catalogues – parlent de son art. J’ai donc décidé de combler moi-même cette lacune.»

Un récit passionnant et détaillé

Il faudra une grande force de persuasion à Marco Alloni pour convaincre Mario Botta d’accepter son projet de biographie. L’architecte, qui passe une grande partie de son temps à parcourir le globe, ne voyait pas l’utilité d’un énième livre sur lui: «l’idée a finalement échappé à ma volonté», explique-t-il à swissinfo.ch au retour d’un voyage en Chine où il construit une académie d’art à Shenyang, ville de cinq millions d’habitants au nord du pays.

Deux longues séances ont suffi à l’auteur pour recueillir les propos de l’architecte. «Je l’ai rencontré dans ses bureaux de Lugano avant son transfert à Mendrisio en juillet 2011 et notre conversation a été passionnante. Ensemble nous avons parcouru toute sa vie depuis l’enfance, explique Marco Alloni. Mario Botta racontait sans s’interrompre, avec une profusion de détails. Il m’a décrit sa passion d’adolescent pour le dessin et l’art en général, la manière dont il est arrivé à l’architecture, il m’a parlé de ses projets, de ses succès et de ses échecs, de ses voyages, de ses expositions».

 

Sur 220 pages, Mario Botta – vivre l’architecture, raconte donc l’homme derrière le créateur génial de la cathédrale d’Evry, de la médiathèque de Villeurbanne et de la Maison de la culture de Chambéry en France, de la Banque du Gothard à Lugano, du Musée Jean Tinguely à Bâle, du Centre Durrenmatt à Neuchâtel, du gratte-ciel Kyobo à Séoul, du Musée Mart de Rovereto, en Italie, ou de l’agrandissement de La Scala de Milan pour ne citer que quelques-unes de ses œuvres.

Une enfance heureuse

Né en 1943 à Mendrisio, Mario Botta a passé son enfance dans le village de Genestrerio, au sud du Tessin, «dans une modeste maison paysanne», comme il le dit lui-même. Dernier de trois enfants, il a été, de son propre aveu, «le chouchou de la famille». Une enfance heureuse donc, malgré l’abandon du père, un fonctionnaire cantonal, qui quitte sa famille lorsque Mario a sept ans. Une absence compensée par une forte présence féminine, celle de la grand-mère et des tantes maternelles qui secondent la maman Maria, couturière à domicile, «une femme filiforme qui me rappelait les figures de Giacometti» souligne l’architecte.

Les années d’après-guerre tout au sud du Tessin sont marquées par «une forte empathie avec l’Italie: de nombreuses familles, dont la mienne, avaient de la parenté de l’autre côté de la frontière, les mariages mixtes étaient fréquents et favorisaient un esprit d’amitié» raconte Mario Botta.

«A cette époque, se souvient-il, nous n’avions aucun sentiment d’appartenance à la Suisse “intérieure”, notre territoire s’étendait des deux côtés de la frontière […] et même Lugano nous semblait lointaine. Côme représentait notre centre urbain et lorsque ma mère nous emmenait en ville, c’est à Côme que nous allions, au marché du samedi dans le centre-ville».

 

Enfant à la santé relativement fragile, Mario Botta est particulièrement protégé par les femmes de la famille: «on m’interdisait les jeux dangereux, je devais rester tranquille et c’est peut-être à cause de cela que j’ai commencé à dessiner.»

A Venise, aux côtés de Kahn et Le Corbusier

Le futur architecte termine sa scolarité obligatoire sans éclat: «j’étais un étudiant plutôt médiocre, je me contentais de suivre les matières qui m’intéressaient comme les maths – j’étais bon en maths car il n’y avait pas besoin d’étudier, il suffisait de comprendre – et le dessin».

Une passion, celle du dessin, qui l’amènera à réaliser, en 1959 à l’âge de 16 ans, son premier projet de maison familiale. Une année auparavant, au terme de l’école secondaire, Mario Botta a décidé d’entreprendre un apprentissage de dessinateur en bâtiment. «J’ai eu la chance d’être engagé par l’architecte luganais Tita Carloni. C’est à son contact que je me suis approché de l’architecture et que j’ai compris que je devais étudier.» Suivront donc trois ans de lycée artistique, la première à Milan, les deux autres en privé depuis chez lui: «j’ai réussi à obtenir la maturité artistique en trois ans au lieu de quatre» précise-t-il.

A partir de là, sa voie est toute tracée. Très attiré par l’Italie et par sa culture – «et vu que je ne savais pas l’allemand» admet-il – le Tessinois décide d’étudier l’architecture à Venise. Il a la chance d’y rencontrer ceux qui deviendront ses maîtres: Le Corbusier, l’Américain Louis Kahn et l’Italien Carlo Scarpa, qui le suivra dans sa formation jusqu’à sa thèse, soutenue le 31 juillet 1969.

La même année, Louis Kahn, avec lequel Mario Botta a collaboré au projet du Palais des Congrès de Venise, lui propose de le suivre à Dacca, actuelle capitale du Bangladesh où il est en train de construire un nouveau Parlement.

«Le projet était fascinant et Kahn un des architectes les plus admirés du moment, mais j’avais conscience du fait que mon temps de formation était terminé et que, si je l’avais suivi, je me serais retrouvé comme un étranger errant de par le monde. Je voulais travailler où j’étais né et où je pensais avoir plus de possibilités d’affronter les défis de cette profession, conclut Mario Botta. En 1969, je suis rentré en Suisse et l’année suivante j’ai ouvert mon bureau d’architecte à Lugano».

Plus de quarante ans ont passé. Mario Botta s’est entre-temps fait connaître dans le monde entier. Que l’on aime ou que l’on déteste son style, il a marqué l’architecture contemporaine de son empreinte, dessinant environ 600 projets et en réalisant une centaine. L’architecte à l’épaisse chevelure argentée et aux petites lunettes rondes a fêté ses 69 ans le 1er avril dernier. Mais pour lui l’heure de la retraite est loin de sonner.

A ce sujet, Marco Alloni n’a pas le moindre doute: «il mourra à sa table à dessin».

Né à Mendrisio le 1er avril 1943, Mario Botta est un des architectes suisses les plus connus au monde. Il est marié et père de trois enfants adultes.

Ouvert en 1970 à Lugano, son bureau d’architecte a été transféré en 2011 dans sa ville natale de Mendrisio. Il y a aussi son domicile dans une ancienne filature rénovée au cœur de la vieille ville, tout près de la Faculté d’architecture qu’il a contribué à fonder en 1996, qu’il préside et où il enseigne. Chargé de cours dans plusieurs écoles d’architecture en Europe, Amérique et Asie, il est aussi professeur dans les Ecoles polytechniques suisses.

Ses réalisations qui ont obtenu d’importants prix internationaux rassemblent toutes les types de construction possibles: maisons familiales, écoles, banques, bâtiments administratifs, bibliothèques, musées, églises…

Né à Mendrisio en 1967, il vit au Caire depuis 1998 avec son épouse égyptienne et leurs deux enfants. Journaliste et écrivain, il dirige la collection Dialoghi (Dialogues) des éditions italiennes Alberti.

Il est l’auteur du roman La luna nella Senna (La lune dans la Seine) paru en 1992 chez Casagrande, de l’essai Lettere sull’ambizione (Lettres sur l’ambition), sorti en 2005 chez Liberilibri et du compte-rendu Ho vissuto la rivoluzione (J’ai vécu la révolution) qui décrit la chute de Hosni Moubarak en Egypte et a été publié en 2011 aux éditions Alberti.

Fondateur du Mediterranean Literary Festival du Caire, il a créé une série anthologique en arabe sur les écrivains italiens contemporains. Trois nouveaux romans: Shaitan, Immobilità messicana (Immobilité mexicaine) et Il libraio di Addis-Abeba (Le libraire d’Addis-Abeba) vont être publiés prochainement.

Mario Botta – vivere l’architettura – conversazione con Marco Alloni, 222 pages, paru en mars 2012 simultanément en allemand aux éditions Stämpfli de Zurich (détentrices des droits d’auteur) et en italien aux éditions Casagrande de Bellinzone. Il n’existe pas encore de version en langue française.

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